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Saramago est mort

Publié le 19 juin 2010 par Jplegrand

Décès de José Saramago – premier prix Nobel de Littérature lusophone et militant communiste jusqu'à ses derniers jours

Saramago Décès de José Saramago – premier prix Nobel de Littérature lusophone et militant communiste jusqu'à ses derniers jours



Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net



« On privatise tout, on privatise la mer et le ciel,

on privatise l'eau et l'air, on privatise la justice et la loi,

on privatise le nuage qui passe,

on privatise le rêve, surtout s'il est diurne

et qu'on le rêve les yeux ouverts.

Et finalement, pour couronner le tout et en finir avec tant de privatisations

on privatise les Etats, et on les livre une fois pour toutes

à la voracité des entreprises privées,

vainqueurs de l'appel d'offre international

Voilà où se trouve désormais le salut du monde...

Et, en passant, on privatise aussi

la pute qui est notre mère à tous »



José Saramago, dans les Cahiers de Lanzarote



C'est plongé dans une immense tristesse que nos camarades portugais, et plus largement les communistes et progressistes du monde entier, ont appris hier le décès de l'écrivain José Saramago, à l'âge de 87 ans, sur son île de Lanzarote, dans les Canaries.

Du serrurier fils de paysans pauvres du Ribatejo au prix Nobel

Enfant d'une famille de paysans pauvres du Ribatejo, au sud de Lisbonne, serrurier de formation, rien ne prédestinait José Saramago à devenir le premier et unique, à ce jour, prix Nobel de Littérature lusophone. Et pourtant, lui qui ne connut la renommée que la soixantaine passée avec son troisième roman, publié en 1982, Le dieu manchot,sut être le digne continuateur des grandes figures de la littérature portugaise, de Eça de Queiroz à Fernando Pessoa.



Considéré comme un maître dans le maniement de la langue portugaise, adepte d'une prose au style inimitable, faite de longues phrases interminables mêlant discours direct et indirect, José Saramago n'a jamais sacrifié ses inquiétudes par rapport au sens du monde dans lequel il vivait à son imagination débordante. Au contraire, elles l'alimentaient. Dès sa première œuvre postérieure à la Révolution d'Avril, « Levantado do chão » (Redressé du sol), qui relate les luttes des petits paysans de l'Alentejo contre les latifundistes depuis la fin du XIXème siècle jusqu'à la Révolution d'Avril, ses préoccupations sociales et ses opinions politiques imprégnaient ses œuvres sans jamais, pourtant, les alourdir.

De l'Église vaticane à l'Union Européenne: les pouvoirs institués sous le feu de la parabole

Athée et libre-penseur, il ne fut connu du grand public qu'à partir du scandale causé par son « Évangile selon Jésus-Christ », publié en 1991 et qui déclencha les foudres de l'Eglise catholique portugaise et surtout vaticane. L'Osservatore Romanoqualifiant alors sa « vision de profondément anti-religieuse ». Fatigué de cette hystérie cléricale, Saramago s'exilera alors sur son île de Lanzarote, où il continuera son œuvre littéraire ainsi que la rédaction de Cahiers de réflexion politico-philosophiques (les Cahiers de Lanzarote).



C'est dans le genre de la parabole que Saramago parvint à manier, avec le plus de brio, son imagination débordante et sa passion pour l'histoire et la politique. Critique truculente de l'Union Européenne dans le « Radeau de pierre », où Saramago imagine amusé une péninsule ibérique dérivant loin des ambitions hégémoniques de l'Europe et du Nord, et faisant cap sur le sud. Critique de l'expansion phagocytaire capitaliste et de l'argent-roi dans « La caverne ». Critique de la bureaucratie envahissante dans « Tous les noms ».



Un appel à la « Lucidité » pour lutter contre l' « Aveuglement » ambiant

Saramago préférait interpeller plutôt que donner des leçons, appeler à la vigilance face aux processus de déshumanisation, et dont chacun peut se faire complice, victime d'un « Aveuglement » collectif. Appel à la « Lucidité » avant tout, y compris envers la sacro-sainte démocratie, minée par les forces de l'alternance tuant toute alternative, l'absence de perspectives qui pousse le peuple à la révolte et sert de prétextes à la réaction la plus brutale.

L'immense œuvre du Prix Nobel de Littérature ne peut se synthétiser en quelques formules, ni se résumer à ses engagements politiques. Néanmoins, qui ne comprend son engagement de toute une vie, sans renoncement, ne peut comprendre toute la profondeur de son œuvre.

Militant communiste depuis 1969: une fidélité sans faille, un homme de combats

Car José Saramago fut un militant communiste de 1969, date de son adhésion sous la dictature salazariste, à sa mort. Il n'a jamais renoncé, est toujours resté fidèle au Parti, et n'a jamais cédé aux sirènes modernisatrices et liquidatrices, car le fils de paysan du Ribatejo conserva envers le parti une gratitude éternelle. En 2009, il avait accepté de figurer sur la liste du Parti Communiste Portugais pour les européennes, à titre symbolique.

Il fut un homme de combats, toujours ouverts aux nouveaux élans émancipateurs. Défenseur inlassable du socialisme Cubain, observateur attentif et enthousiasmé des expériences latino-américaines, avocat de la cause palestinienne contre l'occupation israélienne (jusque dans ses romans et « L'Histoire du siège de Lisbonne » qui peut se lire aussi ainsi), il regardait avec amertume et perspicacité les démocraties libérales européennes creuser le fossé entre gouvernants et gouvernés, démocratie proclamée et démocratie de fait, entre peuples élus et peuples déchus. Cette rage au ventre, cet espoir dans le cœur a animé jusqu'à son dernier souffle son élan créateur.

Le PCP regrette « une perte irréparable pour le Portugal (…) ainsi que pour le Parti dont il fut jusqu'à ses derniers jours »


Hier dans la soirée, Jéronimo de Sousa, secrétaire-général du Parti Communiste Portugais (PCP) a tenu à rendre hommage au camarade José Saramago, « dont la mort constitue une perte irréparable pour le Portugal, pour le peuple portugais, pour la culture portugaise ». Pour Jéronimo de Sousa, la « figure majeure de notre histoire »dont « l'œuvre a marqué de manière impressionnante l'histoire de la littérature portugaise »est indissociable de l'homme engagé, « du constructeur d'Avril, acteur de la résistance anti-fasciste, et du processus révolutionnaire qui transforma de manière profonde et positive notre pays avec la construction d'une démocratie qui ait comme première référence les intérêts des travailleurs, du peuple et du Pays ».

Homme de parti et militant communiste avant tout: « José Saramago était militant du Parti Communiste Portuguais depuis 1969 et sa mort constitue une perte pour toute l'organisation partisane communiste – pour le Parti dont il voulait être et dont il fut jusqu'à la fin de sa vie »

Lors de son discours devant l'Assemblée du prix Nobel, José Saramago avait déclaré: « La voix qui a lu ces pages se veut être l'écho des voix de tous mes personnages ».Le secrétaire-général du PCP, en 2008, dix ans après, avait ajouté: « Et toutes ces voix sont un écho du peuple, des travailleurs, des êtres humains imparfaits qui construisent l'histoire ».

En ce triste jour pour tous les communistes du monde entier, le message ne peut être que celui-ci:merci d'avoir été la voix des sans-voix, de s'être fait l'écho de ce peuple, de ces travailleurs qui font l'histoire et qui sont les oubliés de l'histoire.


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