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De Gaulle exalté mais Pétain au cœur

Publié le 22 juin 2010 par Argoul

Les médias parlent beaucoup de juin 1940 et du général de Gaulle ces temps-ci. Le Président se fend même d’un voyage à Londres où les Anglais, indifférents, se demandent où est la victoire. La France s’est en effet effondrée en 1940 et son empire colonial ne s’est pas rallié. Les rares Français qui ont choisi la liberté ont du trahir leur gouvernement et être condamnés à mort par les Français de France ralliés à Pétain. N’oublions pas que les Chambres ont accordé les pleins pouvoirs au Maréchal le 10 juillet 1940 par 569 voix contre 80 et 17 abstentions… Très rares ont été ceux, même « de gauche », qui ont dit non.

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Philippe Pétain comme Charles de Gaulle étaient nationalistes. Ils n’aimaient ni l’un ni l’autre cette IIIe République incapable de cohérence, qui préférait Munich à la grande politique et l’apéro au travail. Mais il y a une différence : Pétain se sentait investi d’une mission paternelle de protéger et d’éduquer les Français, tandis que de Gaulle les incitait au courage de se battre pour bouter l’ennemi hors de France. L’un a composé avec l’occupant pour purger la France de ses ennemis intérieurs (communistes, hédonistes, parlementaires, étrangers). L’autre a désigné l’ennemi extérieur à combattre (l’Allemand, le nazi).

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Le gaullisme, c’est une certaine idée de la France qui fait la synthèse entre le sacre de Reims et la fête de la Fédération, selon les mots de Marc Bloch. Le pétainisme, c’est le retour à la France d’Ancien régime, celle de la contre-révolution. Attitude démissionnaire due au traumatisme de la défaite. Les Français deviennent schizophrènes, se replient sur eux-mêmes, sur leur famille proche, leur petit travail, leur étroite communauté villageoise ou provinciale. Il y a, sous Pétain, régression vers l’enfance, déni de réalité, nostalgie du passé. Comme la nature est belle sans l’industrie des hommes ! Comme les jeunes scouts sont heureux, à moitié nus sous le soleil de juin ! Comme la France sera pure sous l’égide du maréchal ! Travail, famille patrie : la trilogie verticale remplace la trilogie horizontale de liberté, égalité, fraternité. Elle substitue un lien d’affectivité au lien de légitimité, remplace la raison par l’émotion – comme aujourd’hui ! Les citoyens infantilisés se laissent volontiers faire, délégant l’effort de survivre hier au vainqueur de Verdun, aujourd’hui au Président, demain à qui ? Pétain incarnait le Père de cette génération sans père en raison de la guerre 14-18. Lui-même n’avait pas d’enfant et a transféré sur la nation son désir de paternité. Montherlant se gaussait de cette période “zenfandeyzécols”.

C’est contre cet abandon à la nature des choses que de Gaulle s’oppose. S’il croit aux valeurs éternelles, comme Pétain, elles ne vivent selon lui que si elle sont incarnées. De la France il a une certaine idée qui va bien au-delà des communautés naturelles de la famille, du métier et du terroir. La France est une terre, mais aussi un empire et surtout un rayonnement universel. L’artisanat donne le sens du travail bien fait mais c’est le monde qui est son domaine, pas la petite ville. Le cosmopolitisme, le libéralisme et le capitalisme sont les ennemis de Pétain – pas ceux du général de Gaulle. Le vainqueur de Verdun se vend aux Allemands et appelle à la collaboration ; le prisonnier de 1917 s’associe aux Anglais et appelle à la résistance.

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La France 2010 est-elle si différente de celle de 1940 ? Le traumatisme de la crise financière fait aisément lâcher prise. Quand on ne comprend pas, on accuse les forces obscures et cosmopolites. Le libéralisme anglo-saxon, voilà l’ennemi ! La vertu et l’austérité allemande, voilà le modèle. Il s’agit aujourd’hui comme hier de reconstruire la France comme entité organique par la collaboration des classes sous la dictature éclairée d’une élite technocrate.

Martine Aubry, parmi tant d’énarques au PS, propose la consolation du « care » pour panser les plaies de l’ego. Ségolène Royal victimise tous ceux à qui il manque quelque chose et veut un Etat maternant, aussi providence que possible. En 1940, la providence s’appelait Pétain et la consolation était le recours aux communautés organiques, organisées par un Etat paternel. L’écologie elle-même est trop souvent méfiance envers l’homme prométhéen et confiance aveugle dans la nature mère… L’isolement du moi dont les repères disparaissent conduit à se réfugier dans l’ailleurs et dans le passé, ou dans l’exclusif local de la famille, des potes et de la communauté. Régionalisme, corporatisme, localisme sont les maîtres mots de 1940… et de 2010.

Le regret de l’Etat-providence des Trente glorieuse fait penser à l’autoérotisme infantile du schizophrène. Freud fait du caractère maniéré des mots et de leur bizarrerie un symptôme, la prédominance de la relation de mots à la relation de chose. La « bravitude » comme le « care » ne sont-ils pas de ce genre ? Il est curieux qu’Alain Badiou, enfermé dans le bunker de la pensée marxiste, accuse Nicolas Sarkozy de pétainisme dans son livre ‘De quoi est-il le nom’. Sarkozy n’aime ni les énarques, ni les héritiers, ni les bavards qui pérorent du haut de leur statut – tout ce que la Révolution nationale a promu. Le pétainisme serait plutôt à gauche en ce moment, dans ce refus du monde réel, dans cet appel au Nom du Père, dans cette nostalgie des zacquis de l’âge d’or mitterrandien, dans ce caporalisme énarque sur le bas-peuple ignorant et exploité, dans cette fixette sur les “zenfandeyzécols”, dans cette méfiance envers tout ce qui vient de l’économie libérale…

J’attendrais plutôt de la gauche, pour ma part, des accents gaulliens. Hélas ! Jean-Pierre Chevènement a été dissuadé par quelques crasses du PS malgré un « accord » avec Martine Aubry. Dominique Strauss-Kahn aura-t-il ces accents, s’il revient du FMI ? Promettra-t-il du sang et des larmes comme jadis Churchill ? A droite, ce n’est certes pas François Bayrou qui tentera du de Gaulle. Peut-être Dominique de Villepin, mais il a tant fait de politique confuse, de coups bas politiciens, de livres exaltés, que son gaullisme paraît frelaté comme une mauvaise copie. Car de Gaulle n’était pas une posture mais un état d’esprit – l’inverse même de l’enflure médiatique qui tient lieu de conviction aujourd’hui.

Qui a donc, en 2010, « une certaine idée de la France » qui corresponde à son histoire bimillénaire ? Et qui dans le peuple, au fond, le désire ? Aujourd’hui voit de Gaulle exalté par l’élite médiatique, mais constate que Pétain reste au cœur du Français moyen : telle est la schizophrénie française. Même en foot on se résigne à la défaite !


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