Magazine Société

La grève, ou un peu d'air frais

Publié le 23 juin 2010 par Edgar @edgarpoe

"Aux préfets de Charles X comme aux lecteurs du Figaro d'aujourd'hui, la grève apparaît comme un défi aux prescriptions de la raison moralisée : faire grève, c'est se "moquer du monde", c'est-à-dire enfreindre moins une légalité civique qu'une légalité "naturelle", attenter au fondement philosophique de la société bourgeoise, ce mixte de morale et de logique qu'est le bon sens.

Car ceci, le scandale, vient d'un illogisme : la grève est scandaleuse parec qu'elle gêne précisément ceux qu'elle ne concerne pas. C'est la raison qui souffre et se révolte : la causalité directe, mécanique, computable, pourrait-on dire, qui nous est déjà apparue comme le fondement de la logique petite-bourgeoise dans les discours de M. Poujade, cette causalité-là est troublée : l'effet se disperse incompréhensiblement loin de la cause, il lui échappe, et c'est là ce qui lui est intolérable, choquant.

Contairement à ce que l'on pourrait croire des rêves petit-bourgeois, cette classe a une idée tyrannique, infiniment susceptible de la causalité : le fondement de sa morale n'est nullement magique, mais rationnel. Seulement, il s'agit d'une rationalité linéaire étroite, fondée sur une correspondance pour ainsi dire numérique des causes et des effets. Ce qui manque à cette rationalité-là, c'est évidemment l'idée des fonctions complexes, l'imagination d'un étalement lointain des déterminismes, d'une solidarité des événements, que la tradition matérialiste a systématisée sous le nom de totalité".

Roland Barthes, L'usager de la grève, in Mythologies, 1957

Demain y'a grève. Les protestations me font rire d'avance. Ceci dit, Barthes pourrait écrire, en 2010, la même chose des syndicats qui ont voté oui à Lisbonne et manifesteront demain. Il leur manque l'idée des fonctions complexes...


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Edgar 4429 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine