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L’intelligence des bêtes

Publié le 12 décembre 2007 par Argoul

Article repris dans Medium4You. 

J’aime bien quand la science, dans son développement, renverse cul par-dessus tête les idées les mieux reçues. C’est le cas pour l’intelligence des bêtes et surtout des oiseaux. Il y a peu encore, héritière d’une tradition biblique sûre d’elle-même et dominatrice, renforcée par les Lumières qui disaient du bon sens que c’était la chose du monde la mieux partagée, l’opinion commune était persuadée – dur comme fer – qu’il n’y avait d’intelligence qu’en l’homme. Rapidement, il a fallu se rendre à l’évidence : l’homme « descendait » du singe (ô scandale dans la bonne société !). Ou plutôt, hommes et singes descendaient d’un ancêtre commun, antérieur à Lucy même. On admit alors, du bout des lèvres, que si c’était la cas, le singe devait avoir une forme d’intelligence. Le chimpanzé surtout, qui ressemblait le plus à un petit d’homme.

On en était là encore le mois dernier. Jusqu’à la parution dans la revue scientifique ‘La Recherche’ (n°414, décembre 2007) d’un article sur « le geai buissonnier, malin comme un singe ». Nicky Clayton, éthologue britannique alors à l’université de Californie, remarqua l’étrange comportement des geais sur le campus, à l’heure du déjeuner : ces fins oiseaux gris et bleu, de la famille des corbeaux, venaient piquer les restes de sandwiches que les étudiants laissaient. Mais, au lieu de les dévorer de suite, ils allaient les cacher. Elle se dit qu’un tel comportement avait tout de l’humain et n’était probablement pas un « instinct ». Revenue à Cambridge, elle a mis au point un grand nombre de tests avec ses collègues pour vérifier les capacités cognitives des corvidés : l’intelligence sociale et la capacité à se projeter dans l’avenir.

L’intelligence sociale est la capacité à expliquer son propre comportement en fonction des autres : il voit, il sait, il fait croire. La pratique de la tromperie est par exemple, pour les geais, d’empêcher qu’un congénère qui les voit vienne piller sa cachette de nourriture. On mit des geais en cage avec la possibilité de cachettes éclairées ou dissimulées par des barrières ou dans des coins sombres. « Face à ce choix, les geais ont préféré les cachettes les plus difficiles à trouver. Fait remarquable, dès lors qu’ils pouvaient cacher leur nourriture sans être observés par des congénères, ils ne montraient plus ce type de préférence. » Si le congénère peut tout voir, la tactique est de cacher et de recacher sa nourriture plusieurs fois, afin de perturber l’espion. Pas bête, la bête !

La projection d’expérience consiste à supputer sa propre expérience chez un autre. Une expérience a mis en présence des geais ayant déjà l’habitude de piller les cachettes des autres et d’autres geais qui n’avaient pas cette expérience de voleur. Tout le monde cache sa nourriture. Puis on met chaque geai en mesure de retrouver sa propre cachette à l’abri des regards des autres. « Résultat : seuls ceux ayant déjà eu une expérience de voleur déplacèrent leur nourriture vers une autre cachette. » Rien d’inné, seulement de l’expérience sociale.

Le voyage mental est une autre capacité. Il permet de se souvenir d’événements passés pour en imaginer de possibles pour le futur. On donna aux geais la possibilité de cacher des vers et des cacahuètes. Les geais adorent le ver bien frais mais ne le mange plus quand il est avarié. Comme nous – ou presque. Les vers pourrissent vite, mais pas les cacahuètes. Un geai intelligent devrait donc revenir chercher dans ses cachettes d’abord les vers, et ensuite les cacahuètes. Il faut pour cela qu’il puisse se remémorer des choses évoluées comme « quoi, quand, où ». « Or, à la grande surprise de l’équipe, c’est exactement ce qu’ils firent. Ils se rappelèrent ce qu’ils avaient caché, où et quand ils l’avaient fait. »

Planifier le futur permet d’anticiper ses besoins et de faire aujourd’hui ce qu’il faut pour les satisfaire demain. Eh bien, vous n’auriez pas deviné, les geais savent le faire. Une étude a même montré que cette faculté d’anticipation ne résultait pas d’un apprentissage social mais d’une capacité propre. Les geais furent mis en une cage à trois pièces. Pendant 6 jours, on les a fait se réveiller aléatoirement dans l’une ou l’autre pièce. Quand ils se réveillent dans la première pièce, ils trouvent un petit-déjeuner ; dans la seconde pièce rien avant le déjeuner. La troisième pièce était réservée à la journée, il y avait des aliments non-transportables à disposition et tout le monde pouvait y accéder. Le clou fut le sixième jour : dans cette pièce n°3 furent placés cette fois des aliments qui pouvaient être transportés. Que croyez-vous que les geais firent ? Bien que s’étant déjà gavé, ils cachèrent spontanément de la nourriture. « Et, fait remarquable, ils préférèrent cacher la nourriture dans la pièce sans petit-déjeuner, là où ils pourraient en avoir besoin le jour suivant. » En sophistiquant l’expérience, on réveillait les petit-déjeuneurs soit avec des cacahuètes, soit avec des graines. La journée, ils avaient accès aux deux dans la pièce ouverte. « Résultat, ils cachèrent la plus grande partie de ces cacahuètes dans la pièce où ils avaient trouvé des graines au réveil et vice-versa. »

Il y a donc des capacités d’intelligence chez les geais.
Comme ces oiseaux, tout comme les autres corvidés, sont des animaux sociaux, il est fort probable que la pression de sélection ait choisi de privilégier les individus intelligents, par exemple aptes à se projeter dans l’avenir pour résoudre les problèmes sociaux.
Les cerveaux des mammifères et des oiseaux n’ont pas la même architecture neuronale donc le gros cortex préfrontal, fierté des primates, « n’est pas la seule plateforme à partir de laquelle l’intelligence peut se développer. »
La science n’arrête jamais de nous surprendre. Comme disait Flaubert, « la bêtise est de conclure » - par un dogme, une idée toute faite, une bible.


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