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Sophie motive Jean-Benoît

Par Jean-Louis Richard

"Tu vois Sophie, le problème, c'est que j'ai beau m'agiter, les troupes ne suivent pas." Jean-Benoît était sous pression. Le rapport que son DRH venait de lui remettre était sans appel : 42% des cadres de Swen Games très peu ou peu motivés, 61% de leurs propres collaborateurs d'après eux dans le même cas, et 77% des cadres estimant que la motivation collective de Swen avait baissé depuis un an.

"Il cherche à se faire licencier, votre DRH, ou il est inconscient?"

"Ni l'un ni l'autre, c'est un brave type, il a commandé le sondage à un cabinet indépendant, dès qu'il a eu le résultat il est venu me l'apporter, il en tremblait, le pauvre."

"Je vois, maintenant c'est vous qui avez le chimpanzé baveux sur votre épaule, malin, votre DRH."

"Ah Sophie, ça va, je me passerai de ton cynisme. Le chimpanzé, ça passe encore, c'est les puces livrées avec qui commencent à me gratter. Tu veux pas plutôt m'aider?"

(Résumé des deux précédents épisodes : la petite Sophie s'est incrustée dans le bureau présidentiel de Jean-Benoît, au sommet de la tour Swen Games. Jean-Benoît a pris goût à leur dialogue inattendu.)

"Et si vous commenciez par refermer votre bouquin?"

"Justement, je me demandais, en l'étudiant, on trouverait peut-être de quoi avancer..."

"De quoi vous noyer surtout. Et depuis quand les solutions se trouvent dans les études des consultants? C'est vous, le Président de Swen Games, ou c'est vos sondeurs d'âmes?"

Jean-Benoît rangea son précieux rapport en soupirant. Au moins, il avait essayé... mais Sophie ne semblait pas encline à laisser passer grand-chose. "Bon, alors, par quoi on commence?"

"Vous ne manquez pas de toupet, c'est moi qui dois vous le dire?"

"OK Sophie, j'ai compris, c'est à moi de jouer. En fait, ce résultat ne m'étonne pas, je sentais ça depuis quelque temps. Lorsque j'ai présenté le plan "Swen Ultimate 2012" à tous les cadres en juin dernier, déjà, quelque chose ne marchait pas. Le show était techniquement parfait, je l'avais répété avec un spécialiste. Mais ça ne vibrait pas, si tu vois ce que je veux dire..."

"Votre plan, là, avec un nom de rasoir pour gamin imberbe, ça rime à quoi?"

"Te moque pas, veux-tu. Ultimate, on a eu beaucoup de mal à trouver le nom"

"Ca se sent, pas la peine de le préciser. Pourquoi vous avez besoin d'un plan 2012, alors qu'on est en 2007?"

"Eh bien, vois-tu, ce plan est le résultat d'un processus de planification qui a mobilisé tous les niveaux décisionnels de Swen pendant six mois avec l'implication du comité exécutif et l'aide des meilleurs consultants..."

"C'est un tic, chez vous, les consultants. Ne me prenez pas pour une idiote, je vois ce que c'est qu'un papier pondu par plein de gens. Ce que je vous demande, c'est à quoi ça sert au juste?"

"Euh, je me pose la même question. Six mois plus tard, les équipes sont de plus en plus démobilisées et on n'a pas avancé d'un iota."

"On avance. Oublions Ultichose. Qu'est-ce que ça fait vibrer, chez vous, le devenir de Swen Games?"

"Je ne sais pas si ça a un rapport, mais juste après ma présentation de juin dernier, j'ai fait un rêve bizarre."

"Dites toujours..."

"J'étais au restaurant d'entreprise, je sortais de mon comité de direction, et j'annonçais à chacun que je démissionnais."

"En effet, Swen Games, ça vous tient à coeur..."

"Ne recommence pas à te moquer Sophie, c'est déjà beaucoup pour moi de te confier tout ça."

"Dans votre rêve, vous ne seriez pas entouré d'une foule quelque peu hostile, par hasard ?"

"Je ne sais pas, mais quand tu me parles de foule hostile, je me souviens d'un épisode dans la cour de récréation, à l'école primaire, j'étais entouré par une vingtaine de gamins qui hurlaient, c'est par miracle que j'en suis sorti indemne..."

"Indemne, indemne, ça se discute. Revenons à Swen Games, ça serait quoi, votre pire cauchemar?"

"C'est très clair dans mon esprit : notre concurrent China Venture Games nous rachète, la limousine du chargé de mission se gare dans la cour, il entre dans mon bureau et me laisse deux minutes pour emporter les photos de ma femme et de mes enfants..."

"En effet, pas la peine de déranger le grand patron de China Ventures pour ça... vous ne seriez pas en train de rendre ce cauchemar possible, par hasard?"

Jean-Benoît resta silencieux quelques instants. La question était moins stupide qu'il n'y paraissait. Quelques points de motivation plus bas et deux exercices comme celui-ci plus tard, Swen Games tomberait comme un fruit mûr dans le panier de China Ventures. "Je suis un peu perdu, Sophie, tu peux me résumer ce que nous sommes en train de mettre à jour?"

"Volontiers. Derrière votre masque de patron engagé, vous êtes indifférent au sort de votre entreprise. Vous misez des haricots sur la table de jeu, pas du vrai argent. Vos cadres les plus énergiques et ambitieux sont aussi les premiers à comprendre que vous préférez vous entourer de petits marquis poudrés qui ne vous feront aucun mal. Dans ces conditions, aucune pirouette intellectuelle ne peut masquer la réalité : Swen n'a plus cette colonne vertébrale de tripes d'hommes et de femmes avec le désir de dominer leur marché qui a fait, dans le passé, son succès. Ca vous parle, ou vous voulez que je continue?"

Jean-Benoît était, pour la première fois depuis longtemps, attentif à ses sensations. Il sentait monter en lui quelque chose qu'il n'avait pas ressenti depuis bien longtemps. Le coup des petits marquis poudrés, c'était tellement juste... plutôt s'entourer de petites frappes que d'hommes menaçants... Mais comment gagner face à China Ventures avec une armée démotivée?

Sophie fixait maintenant Jean-Benoît. Il soutint son regard quelques instants.

"Je ne te l'ai jamais dit, Sophie, j'ai fait un peu de boxe au service militaire."

"En effet, je ne l'aurais pas deviné."

"Ce que je ressens en ce moment, c'est ce que je ressentais face à un adversaire plus fort que moi. Et pourtant, il m'est arrivé de rester le seul debout, tellement je la voulais, cette victoire..."

"Palpitant, vos exploits de Rambo, ça vous aurait bien été utile, en primaire. Et si vous laissiez parler vos tripes, comme au bon vieux temps?"

Jean-Benoît prit une profonde inspiration. Tout restait possible, il avait redressé des situations plus désespérées. D'abord, jeter Ultimate et ce rapport du DRH. Ensuite, uppercut du gauche, pied droit, oui, c'est ça, droite, droite, China allait en avoir pour son argent, pas question de jeter l'éponge."

"Et comment tu crois que je devrais... Sophie, où es-tu passée ?"

Sophie avait disparu, Jean-Benoît était seul, tout commençait.


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