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Xynthia, un trop bel emblème

Publié le 30 juin 2010 par Blanchemanche
mercredi 30 juin 2010
Il faut dire haut et fort que des espaces naturels fragiles, indispensables aux complexes équilibres des écosystèmes, sont menacés par un urbanisme soumis à la dictature du profit.
La tempête qui s’est abattue sur la Vendée et la Charente-Maritime a été l’occasion de mettre en cause la politique immobilière sur le littoral. L’État a répondu à l’émotion par des expropriations, mais celles-ci ne sont pas fondées pour autant.* Les appétits des spéculateurs immobiliers sur le littoral doivent être dénoncés sans relâche.
Il faut tirer les conséquences des modifications climatiques – largement provoquées par des activités humaines –, notamment la montée inexorable du niveau des océans, et se préparer à abandonner des territoires.
La tempête Xynthia vient à point nommé illustrer ces excellentes thèses ? Oui et non ! C’est bien le problème avec les situations concrètes, elles ne se conforment pas toujours complètement avec des idées, aussi nobles soient-elles, que celles des Verts ou autres défenseurs de la nature parfaitement respectables.
Et parfois, croyant défendre une juste cause, on apporte son soutien à une décision politique qui en est bien éloignée.
Rappel rapide des faits
Le 28 février à 4 h 30, la tempête Xynthia atteint le littoral des départements de Vendée et de Charente-Maritime, submergeant de vastes territoires et provoquant le décès de 53 personnes. Sarkozy, surfant sur l’émotion, comme à son habitude, survole les lieux en hélicoptère et déclare qu’il ne permettra pas qu’on revienne s’installer dans ces zones « mortifères ». C’était censé être percutant, radical, courageux, etc. Ensuite, bricolage hâtif d’un zonage coloré, avec tous les bidouillages qu’on devine. Jamais une opération de délocalisation d’une telle ampleur et menée avec une telle célérité n’a été entreprise par l’État. Le nombre de biens visés, porté au 27 avril 2010 à 1 531, dépasse largement le chiffre de l’ensemble des propriétés indemnisées par le fonds Barnier depuis sa création.
Dans la foulée, s’est constituée une douzaine d’associations de victimes atterrées, subissant une sorte de double peine, d’abord la tempête ensuite une condamnation à la délocalisation vécue comme absurde par un grand nombre d’entre elles.
Les élus locaux de la majorité présidentielle et départementale, Bussereau, président du conseil général et ministre des Transports, Léonard, député-maire de Châtelaillon, et deux ou trois maires et conseillers généraux chevauchent vaillamment la mobilisation des associations de victimes de leurs communes et département, jusqu’à provoquer ce déplacement surprise d’une partie du gouvernement à La Rochelle et à La Roche-sur-Yon, Borloo, Jouanno, Apparu et Bussereau, pour une fumeuse mise au point, qui maintient le zonage mais rebaptise les zones noires « zones de solidarité et de rachat ».
Les associations ne désarment pas. Le 24avril, elles bloquent notamment le pont de l’île de Ré, exigent la communication des études qui fondent le zonage (au vu des expériences connues, il est impossible en un délai aussi court que des experts désignés aient pu rendre un rapport circonstancié pour conduire l’État à justifier les mesures prises) et en appellent aux tribunaux administratifs. Un premier jugement positif a été prononcé.
À gauche, le député-maire de La Rochelle, Maxime Bono, dont la ville a curieusement été épargnée par le zonage, a tout de suite jugé celui-ci globalement positif. Pour les Verts, Xynthia est un trop bel emblème. Ils soutiennent Borloo et approuvent ses décisions « courageuses ».
Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, a choisi de prendre la tête de la révolte des victimes, elle leur apporte des moyens juridiques et subventionne leurs associations.
Quelques remarques
sur la situation concrète
Si on regarde l’événement d’un tout petit peu plus près, on s’aperçoit qu’on a affaire à une submersion très peu probable, résultat de la conjonction de trois facteurs : un fort coefficient de marée, une dépression importante provoquant une surcote et la coïncidence exacte entre le passage de la tempête et l’heure de la marée haute. Autant dire qu’un événement comme celui-ci est à peu près aussi fréquent que la chute d’un astéroïde. Et raser la zone d’impact parfaitement absurde.
Quand bien même il s’agirait d’une tempête à retour fréquent, il est bien évident que la prévention concerne l’ensemble du littoral ; il est vrai qu’alors ce n’est pas 1 500maisons qu’il faudrait détruire, en suivant les mêmes principes, mais des dizaines de milliers. C’est quand même beaucoup plus simple de s’en tenir à la zone déjà atteinte et puis tellement plus percutant pour un « coup médiatique », avec parfum de sacrifice et victimes expiatoires… (à la prochaine éruption volcanique, on jettera les sinistrés dans le cratère).
Une autre remarque  ? Si les Verts ont cru que les zones débarrassées de leurs habitations allaient devenir ou redevenir des zones naturelles, qu’ils lisent la lettre de Borloo aux élus : ils verront qu’on s’y intéresse aux « capacités d’utilisation à des fins d’activités économiques » (de ces territoires). Alors, à quand les zones de loisirs (marchands) et autres marinas ?
Allez, une troisième remarque, pour la route : la composition sociale d’une zone noire. Par exemple la route de la plage à Aytré (agglomération de La Rochelle) comporte environ 30 % de propriétaires résidents permanents dans des habitations diverses, de modestes à plus…, 30 % de résidences secondaires plutôt modestes, et pour le reste des locataires, notamment des étudiants, qui trouvent là des loyers moins chers qu’en ville, dans des mobil-homes. Ce n’est donc pas tout à fait l’image de nantis, les pieds dans l’eau.
Cela dit, l’événement a utilement attiré l’attention sur un certain nombre de réalités du littoral : les problèmes d’urbanisme, de dégradations de certains milieux naturels, de carences d’entretien des protections, de faiblesse des systèmes d’alerte, de retards considérables dans la mise en place de Plans de prévention des risques (PPR).
Et prendre ces réalités à bras-le-corps est évidemment indispensable. Ce n’est pas le premier des soucis de Sarkozy.
A la date du 22 mai, où en est-on ?
Les procédures de « rachat » des habitations sinistrées sont enclenchées : les services de France Domaines réalisent des estimations afin de procéder à des propositions de rachat. Les préfectures communiquent beaucoup et très vite sur le nombre de ces estimations (en le gonflant allègrement, par une confusion volontaire entre le nombre de gens qui s’informent et celui des personnes, qui, légitimement, veulent quitter un site où ils ont vécu une épreuve traumatisante). Les préfets envoient ainsi un signe à ceux qui s’opposent à leur expulsion : « vous êtes de moins en moins nombreux ! »
De « bonnes » propositions de rachat auraient été faites, mais curieusement, aucune des personnes « satisfaites » n’a souhaité en divulguer le montant.
Des travaux d’urgence de réparation des digues, commencés dès le lendemain de l’événement pour parer aux marées d’équinoxe de fin mars, ont été réalisés par des entreprises de travaux publics. Le 5 mai, le ministère des Finances n’avait toujours pas honoré ses factures1.
Alors la suite ? Nous attendons, d’ici la fin du mois, des réponses aux requêtes déposées par les associations et les communes, devant le tribunal administratif de Poitiers.
Des commissions sénatoriale et parlementaire poursuivent leurs travaux d’audition ; certaines recommandations, venant des sénateurs, pointent en filigrane les incohérences de l’État.
Au-delà, que peut-il se passer ?
Pour les personnes entrées dans la procédure de rachat de leurs biens par l’État, même si les premiers paiements intervenaient rapidement, on peut craindre qu’il se passe beaucoup de temps avant que les opérations soient achevées. Et le maintien d’un niveau de rachat équitable n’est pas assuré non plus sur la durée. Il faut se souvenir d’événements comparables comme en 1999, dans la vallée de l’Aude, par exemple. Dix ans après, on est très, très loin du compte.
Le temps peut jouer en faveur de ceux qui refusent la procédure « amiable ». En effet, l’État peut abandonner son projet d’expropriation, surtout si les premières décisions des tribunaux sont favorables aux requérants. Il se peut aussi qu’on entre dans une bataille judiciaire de dix ans... avec éventuellement d’autres interlocuteurs au pouvoir.
Quant à la part qui revient aux assurances, d’ores et déjà des difficultés sont signalées.
Les associations restent mobilisées : dans tous les cas de figure, elles sont indispensables, pour la centralisation des informations, l’organisation des recours judiciaires ou les possibilités d’expression publique.
Simone Grange
* Au moment où nous imprimons, il semblerait que l’état fasse marche arrière sur les démolitions.
à suivre…
1. L’hebdomadaire “Le phare de Ré titrait“, dans son édition du 5 mai, L’État défaillant.

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