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Fraude fiscale et affaire Woerth... le dossier s'envenime

Publié le 01 juillet 2010 par Juan
Fraude fiscale et affaire Woerth... le dossier s'envenimeDans sa dernière livraison de rapports sur l'année 2009, la Cour des Comptes s'est attardée sur la lutte contre la fraude fiscale. Un sujet très en vogue, en pleine polémique sur la tolérance supposée d'Eric Woerth, quand il était ministre du Budget, à l'encontre de Liliane Bettencourt, employeur de son épouse. En parallèle, voici l'Elysée directement mouillée dans l'affaire Bettencourt.
De la fraude fiscale...
Le rapport de la Cour des comptes sur le contrôle fiscal a été publié il y a quelques jours. Les conclusions de l'institution sur les failles du système sont éloquentes. Elles contredisent également certains arguments raccourcis utilisés ces derniers jours pour témoigner de l'attachement gouvernement à lutter contre la fraude des puissants.
1. Les contrôles fiscaux externes, c'est-à-dire suite à des dénonciations, des soupçons, des procédures judiciaires ou des décisions de l'administration, s'élèvent à plus de 50 000 par an, dont 10% environ frappent des particuliers. Les contrôles sur pièces sont beaucoup plus nombreux, et consistent en la vérification des justificatifs fournis par les contribuables au moment de leurs déclarations. Dans son rapport, la Cour rappelle les enjeux du contrôle fiscal: «52 000 contrôles fiscaux externes ont été réalisés en 2008, dont 47 800 vérifications d’entreprises (1,4 % des entreprises recensées) et 4 200 examens de situations fiscales personnelles (0,013 % des ménages). Les contrôles sur pièces se comptent en centaines de milliers et sont deux fois plus nombreux sur l’impôt sur le revenu que sur l’impôt sur les sociétés et la TVA. Ces contrôles ont mobilisé 12 400 agents de la DGFiP (sur un total de 127 000).»
2. Les droits rappelés et les pénalités appliquées se sont élevés en 2008 à 15,7 milliards d'euros en 2008, un chiffre stable par rapport à 1998 (15,0 milliards d'euros). Ces recettes des contrôles proviennent pour 9,6 Md€ pour le contrôle externe et pour 6,1 Md€ pour le contrôle sur pièces. Elles représentent 4,1 % des impôts et taxes prélevés par l’Etat et les collectivités locales.
3. L'Etat recouvre très mal le fruit de ces contrôles. La Cour note qu'aucune amélioration n'a été apportée en la matière depuis des années. En 2008, le recouvrement a même chuté à 37% des sommes dues, contre 43% en moyenne les années précédentes.  
4. Les moyens dédiés au contrôle fiscal ont été réduits de 2000 à 2008: «Les brigades de contrôle fiscal externe, pour lesquels les données sont plus fiables, ont vu leurs effectifs (4500 agents) baisser de 0,2 % par an de 2000 à 2008 en moyenne et le nombre de contrôles augmenter de 0,4 %
5. La Cour note que la méthode la plus utilisée par les services de Bercy pour les particuliers consiste à programmer ses contrôles en repérant les contribuables «à profil pénal». Plus généralement, le fisc traque en priorité les abus les plus facilement repérables et les plus rentables.
6. Les Douanes et le fisc, pourtant sous la responsabilité du même ministère, collaborent peu: «Moins de 1 % des droits rappelés par la DGFiP résulte d’informations transmises par les Douanes et la DGFiP ne connaît pas les suites données aux informations qu’elle transmet.» La collaboration avec les services sociaux est tout aussi improductive (moins de 0,5% des droits rappelés).
7. Les droits rappelés au titre de l'Impôt de Solidarité sur la Fortune sont marginaux : le fisc a récupéré ainsi 273 millions d'euros en 2008 (sur les 16 milliards d'euros mentionnés plus haut). Et encore, la Cour note que ces montants «résultent essentiellement de la relance de contribuables qui ont omis de déposer une déclaration alors que la possession de certains biens les place manifestement au-dessus du seuil d’imposition à cet impôt
8. La Cour critique également la scission des services de contrôles en trois départements : ceux dédiés au contrôle des particuliers, ceux pour la fiscalité immobilière, et, enfin, les services en charge des entreprises. Cette scission nuit, selon elle, à la qualité du contrôle.
9. L'utilisation des niches fiscales par les contribuables est très peu contrôlée: environ 1% des droits rappelés concernent des redressements pour abus de niches fiscales (particuliers et entreprises, cf. page 18 du rapport).
10. Le nombre de plaintes pour fraude fiscale par l'administration a certes cru (de 860 en 2000 à 992 en 2008), mais cette hausse n'a rien à voir avec les grandes déclarations de chasse à l'évasion fiscale prononcées par Eric Woerth en 2008-2009: elle est intégralement due à une augmentation des plaintes contre des entreprises du bâtiment (de 112 en 2000, 319 en 2008).
Ce rapport permet d'invalider quelques déclarations récentes du gouvernement : le produit des contrôles fiscaux progresse peu, la chasse à l'évasion fiscale à l'étranger est marginale, l'ISF et les niches fiscales sont mal contrôlées.
... à l'affaire Woerth...
Rue89 a publié lundi 28 juin quelques témoignages d'agents du fisc sur la réalité de l'interventionnisme gouvernemental en matière de contrôle fiscal. La polémique Woerth-Bettencourt a en effet rebondi le weekend dernier. L'ancien ministre du budget a du reconnaître qu'il avait fait contrôler François-Marie Banier, le protégé de Liliane Bettencourt accusé d'abus de faiblesse par la fille de cette dernière. Et dimanche, il a au contraire expliqué qu'il n'intervenait jamais dans la décision de contrôle fiscal. Selon les témoignages recueillis par Rue89, la réalité est bien différente. Un des agents interrogés explique ainsi qu'« il n'y a pas de texte officiel pour décrire la relation entre le ministre et son administration, il y a des règles non-écrites» et qu'«en fonction de la complexité et de la sensibilité, le dossier atterrit au cabinet du ministre. » Un autre confirme : «pour les contrôles de la DNVSF, s'il n'y a pas d'aval politique, le cas ne sera jamais vérifié.» La Direction Nationale des Vérifications de Situations Fiscales (DNVSF) est notamment en charge des gros contribuables. Les moyens dédiés aux contrôles fiscaux, comme le révèle le rapport de la Cour des Comptes, sont faibles par rapport aux enjeux. La fraude fiscale est estimée à 25 milliards d'euros par an. A peine 10% des 127 000 agents du fisc sont affectés au contrôle. Et la DNVSF ne compte qu'une centaine d'agents.
Mardi 29 juin, le directeur général des Finances Publiques Philippe Parini a démenti toute implication d'Eric Woerth, quand il était son ministre de tutelle, dans l'affaire Bettencourt. Il s'inscrit en faux contre les différents témoignages relevés par Rue89 : «Depuis que je suis en poste, jamais je n'ai reçu d'instruction de faire ou ne pas faire un contrôle fiscal».  Il ajoute: «Ce qui est clair, c'est qu'Éric Woerth ne nous a jamais donné l'instruction de faire ou ne pas faire sur une situation fiscale individuelle. Et dans le dossier Bettencourt, l'administration ne lui a pas fait remonter de rapports particuliers. Nous n'avions pas d'éléments sur ce dossier à ce moment là. Les choses ont évidemment changé
Qui croire ? Certains agents, ou leur patron ?
Mardi, Alain Juppé puis Christine Lagarde ont suggéré qu'Eric Woerth clarifie sa position, et choisisse entre ses fonctions de trésorier de l'UMP et de ministre. Une première brèche dans l'unanimisme de façade en vigueur à l'UMP depuis le début de l'affaire. Luc Chatel, porte-parole du gouvernement et ancien salarié de L'Oréal, a tenu la position inverse : «Eric Woerth a été nommé trésorier de l'UMP en 2002, il a professionnalisé cette fonction (...) Il était trésorier bien avant d'être membre du gouvernement, il le restera sans doute après.»  François Baroin, successeur d'Eric Woerth au Budget, a annoncé mercredi soir qu'il avait saisit l'inspection générale des finances pour qu'elle enquête sur l'affaire Woerth/Bettencourt.
... et à l'Elysée
Vendredi dernier, Eric Woerth a annulé un dîner du  Premier Cercle, le club des 400 plus gros donateurs de l'UMP, qui devait se tenir lundi dernier. «Chers amis, Nous avons le regret de vous informer du report de la réunion d'actualité prévue le lundi 28 juin à 19 heures. Cette réunion sera reprogrammée à la rentrée de septembre. En vous remerciant très sincèrement pour votre compréhension.» Le ministre a-t-il enfin compris ? Pour la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy avait reçu quelques 9 millions d'euros de dons de personnes physiques. Le Premier Cercle fonctionnait à plein. Depuis, des réunions régulières sont organisées entre ces généreux donateurs et des membres du gouvernement, voire Nicolas Sarkozy.
Mercredi 30 juin, de nouvelles révélations sont venues accabler le camp présidentiel, à la suite de la publication de nouveaux extraits des enregistrements pirates des conversations entre Mme Bettencourt et son gestionnaire de fortune. Selon le Point, la présidence de la République a recommandé un avocat aux proches de Liliane Bettencourt, dans le conflit qui l'oppose à sa fille: «Cet avocat, Me Paul Lombard, a effectivement représenté la milliardaire durant huit mois, de février à octobre 2009, et s'est efforcé, au nom de sa cliente, d'empêcher les poursuites pour "abus de faiblesse" engagées contre le photographe François-Marie Banier par sa fille, Françoise Bettencourt Meyers. » Selon le Point, la séquence est facile : l'Elysée conseille l'embauche de M° Lombard en 2008, parce qu'il serait proche du procureur en charge de l'affaire, Philippe Courroye. Ce dernier classe l'affaire pendant l'été 2009. De Maistre est prévenu du classement par le conseiller justice, Patrick Ouart, de Nicolas Sarkozy. M° Lombard est congédié en octobre de la même année.
Autre information d'après le Nouvel Observateur, Nicolas Sarkozy a rencontré deux fois M. de Maistre, dont une première fois fin 2008, pour évoquer les conséquences du litige entre Liliane Bettencourt et sa fille sur l'actionnariat de l'Oréal. Début 2010, Mme Bettencourt offrait 7 500 euros, légalement, à Eric Woerth et Nicolas Sarkozy.
Aux dires de députés UMP présents à un déjeuner avec le Monarque, ce dernier envisage un remaniement d'ici l'automne, notamment pour sanctionner «certains comportements» de ses ministres. Il ne visait pas Eric Woerth : «Si je dis à Eric de partir, ça voudrait dire qu'il a quelque chose à se reprocher». De toute façon, c'est trop tard. Il est mouillé.
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Crédit illustration: Alain Lagorce

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