L'article de Rolling
Stone qui a précipité le renvoi de McChystal est un solide travail
d'enquête : le journaliste a eu la chance d'être à Paris en même temps que
McChrystal et son équipe pendant qu'ils y étaient coincés par l'éruption du
volcan islandais en Avril dernier, et a donc pu vivre avec eux presque tout un
mois. Il a fait de cette expérience un portrait fouillé, complexe... humain,
simplement, de l'homme et de son entourage.
Mais cet homme et cet entourage sont aux commandes de la guerre la plus longue
et probablement la plus coûteuse de l'histoire des États-Unis; il n'est donc
pas pensable qu'ils n'aient pas posé de conditions à ce que le journaliste
pouvait citer de leurs conversations, ne serait-ce que pour des questions de
secret militaire. Cela pose la question de la confiance entre le journaliste et
ceux qu'il interroge. Il me paraît impossible que le journaliste n'ait pas ici
trahi la confiance de ses interlocuteurs compte tenu du ton de l'article
(légèrement ironique, le type cultivé qui prend un malin plaisir à caser les
plus beaux exemples d'humour viril-gras de ses interlocuteurs) et des citations
: jamais un militaire haut gradé ne critiquerait un gouvernement étranger et
Obama publiquement, et encore moins quelqu'un qui a dirigé la branche
opérationnelle des services secrets américains juste avant!
Des journalistes professionnels m'ont dit que comme journaliste on pouvait se
permettre deux ou trois incartades de ce type mais qu'après plus personne ne
voulais vous parler: fin de la carrière de journaliste... En tout cas en
France. Cela représente assez bien le fonctionnement de l'accès à l'information
: je viens de lire (par Rue89) une magnifique
description de l'exercice journalistique comme d'une "séduction-trahison",
je trouve cela vraiment bien vu. D'autant que le jeu fonctionne dans les deux
sens : l'interviewé cherche aussi à séduire le journaliste pour obtenir le
meilleur compte rendu possible de l'entretien - lui aussi attend donc du
journaliste qu'il trahisse.
Un argumentaire qui revient en faveur du journaliste est celui d'une nécessaire
transparence. Je suis très partagé sur cette notion. La transparence est
essentiellement un fantasme, à mon avis, et un fantasme dangereux en ce qu'il
rêve de "déplier" le réel (je pense bien que la première occurrence du mot dans
les politiques publiques a eu lieu dans le champ des banques centrales, il
faudrait vérifier). Mais la transparence des individus, il faudrait plutôt dire
leur lisibilité, est aussi une réalité en pleine croissance. Les technologies
de l'information et de la communication "déplient" le réel qu'on le veuille ou
non.
http://blog.nepigo.net/post/2007/08/17/e-homo-%3A-encore-une-race-superi...
L'enjeu démocratique de ce développement est que cette transparence soit
dirigée dans la direction de ceux exercent le pouvoir plutôt que vers ceux qui
le subissent. En ce sens, la "trahison" de Hastings (le journaliste qui a écrit
le reportage) se justifie.
Il reste que j'ai toujours du mal à voir un type devoir démissionner sur
pression de l'opinion publique parce qu'un de ses subordonnés a fait des
remarques désobligeantes devant un journaliste, ou qu'il se permet des
jugements personnels sur son supérieur hiérarchique. Je trouve attristant que
le renvoi de ce général (dont, je dois le dire quand même, le cynisme
stratégique me répugne) soit advenu pour cette raison. Parce qu'une volonté de
transparence totale mène aussi au risque que la politique devienne un monde où
être un bon acteur totalement paranoïaque devient bien plus important pour
survivre qu'être compétent et imaginatif. Quoi, c'est déjà le cas?... ;-)