Magazine Poésie

Chateaux anglais et autres images

Par Balder

33221790_34991fbf8c

Fallait-il prendre l'autoroute, ou bien couper à travers les auréoles?
Nous étions descendus bien tard dans ce château anglais. Avec ses armures, ses lits osseux et leurs voiles de catafalques, des sabres croisés sous les têtes figés de venaisons poussiéreuses, l'immensité des fauteuils, la faiblesse du feu dans la cheminée, ne manquait qu'un fantôme, une tombe gothique et quelques fariboles qu'un moine en guenilles aurait pu débiter du fond d'un vieux grimoire pour donner au décor son air définitif, un air de sépulture.
Mais d'autres airs, ceux d'un flamenco brûlant souvent ponctué de percussion brésilienne tombant des murs ex-abrupto désorganisèrent rapidement  toute tentative d'épanchement mélancolique.
Sur ces murs, des écrans géants proposaient plusieurs programmes.
Sur le premier une danseuse transparente, fragile presque imperceptible entre les mouvements, danse avec un homme en combinaison de plongée bleue au milieu d'un supermarché, sur une musique qui d'après l'évolution de leurs pas n'avait rien à voir avec celle venant des murs, autour d'eux les clients du magasin poursuivent leurs achats et dans la pièce autour de nous d'autres personnes entrent par les portes fenêtres ouvertes sur un parc.
Nous regardons maintenant un autre écran, un autre programme.
Tube d'aspirine vide duquel un homme tente de s'extraire mais dès qu'il arrive sur le rebord du tube il se rend compte qu'il lui est impossible de descendre, il regarde en bas mais tout est blanc, il grimace, hurle, gesticule dans le néant, un stylo plume se met à écrire autour du tube et à chaque mot, un morceau du corps de l'homme disparait, il s'efface de l'écran, qui devient au final un texte illisible qu'une main découpe, enferme dans le tube d'aspirine et jette à travers l'écran, l'homme n'existe plus et dans la grande salle, le public de plus en plus épais, commence à le chercher, à chercher ce tube, celui de l'écran, celui où l'homme est enfermé avec ses mots.
Je ressens un étrange malaise, ma lèvre se tord d'incompréhension, je change d'écran pour ne plus voir ceux qui cherchent l'homme dans son tube, dans le, hier du maintenant.
Nous avançons un peu dans la salle, mon amie commence à s'inquiéter pour l'homme, me dit qu'il est perdu parmi les mots découpés dans le tube que c'est notre rôle de le rassembler, mais je n'entends pas, je ne veux pas rendre possible son message, elle n'est qu'un trait de plume qui gigote dans la fumée bleue de la salle, je l'abandonne là dans la quête des autres
Je trouve un autre écran, près de la cheminée et du grand fauteuil où Louis XIV, version poupée gonflable chevauche une courtisane inanimée.
Les images sont moins nettes que sur les écrans précédents, c'est une rue, celle d'un village de France.
Une Jaguar grise roule lentement entre les maisons, au coin de la rue un homme en complet gris allume une cigarette, il fait très chaud, c'est sans doute l'été. C'est des Gauloises sans filtre, l'odeur est acre, la fumée pique l'écran.
Une jeune fille prie à une fenêtre, elle est très belle. La Jaguar s'arrête devant l'homme de la rue et attend.  Au dessus de la jeune fille une tache noire apparaît, une nuit spirituelle qui vient cherche à envahir son âme effrayée, le ciel s'assombrit, l'homme tente de monter dans la voiture mais n'y parvient pas. La voiture s'en va, l'homme reprends une cigarette, s'adosse contre le mur et attends, une larme coule de la prière, il fait nuit.
Je ne tiens plus en place dans cette salle, je décide de sortir, d'aller voir le parc, de chercher un fantôme, quelqu'un à qui parler.
J'avance sur la terrasse, d'autres se dirigent en contrebas, vers l'autre côté du jardin, vers ce qui semble être un  plan d'eau. Étang ou grand canal?
j'ai à la bouche le goût  rassurant des dimanches d'automne à Versailles, je n'ai pas trouvé mon amie, j'avance vers l'eau.
La jeune fille  du dernier écran à finie sa prière, elle laisse tomber sa robe près d'une statue et avance nue vers l'étang. Nous la suivons, nus aussi.
De l'autre côté du chemin, la jaguar grise arrive, un chauffeur déguisé en ours en peluche en descend il ouvre la porte de derrière et c'est au tour de l'homme du tube d'aspirine d'apparaitre.
Le silence est compact plus de bruits de nuit, juste le canon des pulsations et une file de gens nus derrière la fille à la prière.
L'homme du tube s'avance et commence à faire des bulles avec l'eau de l'étang, d'immenses bulles de savons, vortex géants s'étirant ectoplasme dans l'apesanteur éthérée du silence des bulles.
La jeune fille fait un pas et entre dans la bulle, la bulle n'éclate pas, la fille n'est plus là, plus de ce côté là, un à un nous la suivons et traversons.

BALDER


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Balder 8 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazines