Magazine Juridique

La Cour d’Appel de Paris offre un coffret-cadeau «rappel des principes de procédure civile»

Publié le 07 juillet 2010 par Gerardhaas

La Cour d’Appel de Paris offre un coffret-cadeau  «rappel des principes de procédure civile»La Cour d’Appel de Paris, le 19 mai 2010 a rendu une décision pleine d’enseignements pour qui s’intéresse à la responsabilité délictuelle en générale, mais particulièrement en matière de nouvelles technologies.

Dans cette affaire, les faits sont les suivants, une société proposant des coffrets cadeaux thématiques contenant des chèques-cadeaux, a assigné une société concurrente en concurrence déloyale pour divers motifs qui seront détaillés ci-après.

Le tribunal de commerce de Paris a condamné ce concurrent déloyal par un jugement du 29 janvier 2009 dont appel a été relevé, et qui a donné lieu à la présente décision.

  • Charge de la preuve

Le premier enseignement de cet arrêt porte sur un enjeu capital du procès : la charge de la preuve.

En l’espèce, la demanderesse avait fait constater, par divers constats d’huissier, que des liens commerciaux redirigeant vers sa concurrente apparaissaient lorsqu’une recherche sur ses noms commerciaux et domaines était effectuée sur Google.

De cette apparition, elle en a déduit fort logiquement, que la société concurrente avait réservé les mots clés litigieux auprès de Google afin de profiter de la notoriété de sa concurrente.

La Cour d’appel de Paris rappelle à bon escient, dans un considérant de principe, les règles en matière de charge de la preuve :

«Considérant que l’apparition du lien avec Multipass lorsque ces mots clés sont saisis ne suffit pas à prouver l’implication de cette dernière, ni à constituer une présomption que Multipass devrait combattre en apportant la preuve contraire ; que les règles de la preuve et de la responsabilité civile, résultant notamment de l’article 1382 du Code civil, ne sauraient être écartées ou inversées en matière informatique.»

Ce rappel des règles juridiques n’est a priori pas sans conséquence dans ces affaires de nouvelles technologies, où à défaut de preuve tangible chaque partie a recours de manière récurrente aux présomptions.

  • Définition de la faute

Le deuxième apport de cette décision porte sur la définition de la faute reprochée à la Société concurrente : la Cour d’appel reproche à cette dernière d’avoir commis une faute «en ne mettant fin au trouble allégué qu’en février 2008, alors qu’elle en avait connaissance depuis août 2007 et qu’elle avait la possibilité de le faire en inscrivant un ‘’mot clé négatif’’».

La faute par omission en droit civil a fait couler beaucoup d’encre en doctrine depuis de nombreuses décennies : notamment la thèse de la distinction entre abstention dans l’action et abstention pure et simple.

En termes de jurisprudence, force est de reconnaitre qu’il est difficile de trouver une ligne directrice en la matière, afin de dégager des critères nets permettant de savoir à partir de quand une abstention devient une faute.

En effet, la jurisprudence sanctionnait au départ uniquement les absentions à une obligation édictée par une norme : loi, règlement voire norme professionnelle, mais les tribunaux ont modifié leur ligne de conduite et ont sanctionné des abstentions en dehors de toute norme prescrivant une action positive.

En l’espèce, il faut reconnaître que la Cour d’appel de Paris est particulièrement sévère lorsqu’elle sanctionne pour faute, une abstention de la société concurrente d’inscrire en mot clé négatif, les noms utilisés par sa concurrente alors que cette même Cour a reconnu dans un premier temps qu’il n’était pas prouvé que c’était la société qui avait mis en place le référencement payant.

Certes, elle connaissait les faits, mais ne peut-on pas imaginer qu’elle puisse rester passive dans ce cas puisqu’il n’est pas prouvé qu’elle a mis en place le système de référencement, et en l’absence de toute décision judiciaire lui intimant de faire cessé le trouble allégué ?

  • Evaluation des dommages et intérêts

Le dernier apport de l’arrêt résulte de l’évaluation des dommages et intérêts alloués à la société victime de concurrence déloyale.

Le mode de calcul de ces dommages et intérêts est intéressant en l’espèce puisque la Cour d’appel estime «qu’en l’absence de démonstration chiffrée précise de la part de Smart&Co, la Cour évalue à 100 000 €, toutes causes incluses, le montant de son préjudice.»

Cette formulation peut laisser le lecteur quelque peu dubitatif et pose la question de savoir où se situe la limite entre absence de préjudice et absence de démonstration chiffrée du préjudice.

Pourtant, la limite entre ces deux notions est capitale puisque du premier côté de cette limite, il n’y a pas de responsabilité civile qui puisse être engagée faute de réunir tous les éléments constitutifs de la procédure, et de l’autre côté de cette limite, il n’y a qu’une «difficulté» pour indemniser justement la victime d’un délit civil.

En effet, la jurisprudence a parfois su rappeler que «si les faits de concurrence déloyale, générateurs d’un trouble commercial, impliquent l’existence d’un préjudice, la Cour d’Appel a retenu souverainement que la Sté Roblot ne rapportait pas la preuve de l’étendue du préjudice» (C.Cass 10 janv. 1989, SA Roblot c/ Sté Pompes funèbres nîmoises, Bull. civ., IV, n° 12).

Mais ce n’est pas toujours le cas et les juges, même en l’absence de la moindre preuve d’un préjudice, allouent, à la louche un montant toutes causes incluses.

Cette pratique, ne doit pas être encouragée sauf à dénaturer les principes mêmes de la réparation en matière de responsabilité civile délictuelle.

Source :

-  Cour d’appel de Paris Pôle 5, 4ème chambre, Arrêt du 19 mai 2010;  -Voir le document


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gerardhaas 406 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazine