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Après la soumission aux marchés, la soumission aux classements universitaires

Publié le 08 juillet 2010 par Monthubert

L’expérience vaut le coup d’être tentée. Allez de l’autre côté de l’Atlantique, et expliquez à des universitaires américains que vous subissez des transformations incessantes du cadre académique avec une obsession : le classement de Shanghaï. Le résultat est reproductible : l’interlocuteur ne comprend même pas ce dont il s’agit, tant ce classement est ignoré là-bas.

Pourtant, puisque le gouvernement a décidé d’en faire l’alpha et l’omega de sa politique universitaire, Valérie Pécresse a décidé d’aller rendre visite aux initiateurs de ce classement pour leur « expliquer les bienfaits de la réforme de l’université en cours dans l’Hexagone », selon un article paru dans Les Echos :

« Sa réforme sous le bras, le sourire aux lèvres, Valérie Pécresse s’en est allée hier défendre l’université française auprès des auteurs du classement de Shanghai, au deuxième et dernier jour de sa visite officielle en Chine. »

L’article est merveilleux tant il met en lumière l’absurdité de ce que nous vivons. Ainsi, devant le fait que le classement de Shanghaï est fondé en grande partie sur les publications, Valérie Pécresse explique qu’il faut mettre en place une signature unique au niveau des Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur : plutôt que d’avoir des chercheurs qui signent au nom de leur université, école ou organisme, ils signeront au niveau du PRES : université de Lyon, de Toulouse, etc. Forcément, le nombre d’articles ayant le même établissement dans leur signature augmentera fortement. Mais pour autant, la qualité scientifique aura-t-elle progressé ? Evidemment non, comme je l’ai déjà écrit. Toutefois, le comble de l’absurde de la visite de Valérie Pécresse est atteint quand à la fin de l’article la journaliste nous cite le vice-président de la Shanghai Jiao Tong University au sujet du fameux classement auquel on aime tant se référer en France :« Est-ce que les critères sont raisonnables et scientifiques ? C’est encore à discuter… ».

Nous sommes typiquement face à deux phénomènes graves. Premièrement, le pilotage politique à coup d’indicateurs qui ne veulent rien dire, et qui suscitent la colère dans l’ensemble du service public. Des indicateurs dont on voit comment on peut en fait les manipuler, comme le nombre de publications. A ce titre, j’ai envie de proposer que tous les chercheurs et enseignants-chercheurs utilisent la même signature : Université de France, palais de l’Elysée… cela placerait l’Elysée en tête du classement de Shanghaï, et Nicolas Sarkozy en serait certainement très fier !

Second phénomène : la soumission au marché. Il y a quelques semaines, un plan de sauvetage européen a été dévoilé quelques heures avant l’ouverture des bourses, montrant ainsi clairement la subordination dangereuse de nos dirigeants vis-à-vis des marchés tout-puissants parce que nous leur laissons la possibilité de l’être. Sur le terrain universitaire, la visite de Valérie Pécresse à l’université de Shanghaï pour se faire la VRP de sa politique est de même nature. Pourtant, ce n’est pas parce qu’elle arriverait ainsi à faire remonter les universités françaises de quelques places que la recherche française irait mieux, que les étudiants verraient une amélioration de leur contexte d’études. Trafiquer le thermomètre est tellement plus simple !


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