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A propos de l'artillerie

Publié le 10 juillet 2010 par Egea

Ce billet est dédié à mon artilleur de grand-père, observateur d'artillerie à Verdun et autres lieux de la 1GM.

Comment caractériser l'artillerie (en précisant que je ne parle pas de la seule artillerie de campagne, terrestre, mais de l'artillerie inter-milieux) ?

A propos de l'artillerie

Par quelques caractéristiques : tir indirect, distance, imprécision et saturation.

1/ Tir indirect. La première caractéristique de l’artillerie c’est l’éloignement qui la distingue de l’affrontement direct entre deux ennemis. Cet affrontement direct est symbolisé soit par la lutte à main nue, soit par l’interposition d’une arme (bâton, puis épée, sabre, masse d’arme, lance,…) qui est toujours le prolongement « direct » du bras. Toujours, les ennemis peuvent se toucher. Il y a une extension moderne de cet affrontement direct, avec le fusil ou le char : toujours, les adversaires se font face et peuvent se voir. Dans ces derniers cas, s’il y a utilisation d’arme à feu, celle-ci utilise un tir tendu qui signe le combat direct, celui de la ligne de front, celui où les combattants se font face. Alors, la guerre est un duel, pour reprendre la métaphore de Clausewitz : un face à face.

L’artillerie utilise une autre figure, celle du projectile. Dès l’instant où l’arme quitte le corps d’un des deux combattants, dès l’instant donc où il y a « projection » d’un « projectile », on entre dans le domaine de l’artillerie. Elle revêt de multiples formes : de la brave pierre (la lapidation), mais aussi le jet de lance, l’arc, l’arbalète, les catapultes, bombardes, fascines, et autres instrument de jets. Dans quasiment tous ces exemples, le tir est indirect, car en cloche : le projectile passe par-dessus les « premières lignes » ce qui augmente la puissance de projectiles sur la ligne de combat. Une seule exception : l’arbalète, qui introduit un tir tendu et, malgré les apparences, ne s’assimile pas à l’arc mais au char. C’est d’ailleurs sa puissance qui la fit voir comme une arme diabolique que l’on tenta vainement d’interdire.

2/ Conséquence de ce tir indirect : l’artillerie permet la distance, et donc la profondeur des diapositifs. Nous évoquions à l’instant des lignes : avec l’artillerie, ces lignes deviennent des fronts. On parle désormais de « zone des combats » et le nombre des combattants s’accroit d’autant. Les perfectionnements techniques ne cesseront de vouloir augmenter cette distance, pour d’une part éloigner ses propres pièces, d’autre part frapper loin sur les arrières de l’ennemi. Cette distance passe par l’augmentation des calibres, permise par les progrès technologiques (assemblages des aciers) mais aussi la mobilisation économique de facteurs de production. Une artillerie est le résultat d’une industrie lourde, ce qui explique que très longtemps, des puissances émergentes n’en disposaient pas (sauf les inévitables mortiers transportables, qui sont une artillerie de proximité). Cette augmentation de calibres passe par une augmentation des masses (d’où les canons sur train, mais aussi les canons sur bateau avec des calibres jusqu’à 400 mm). L’invention du bombardier constitue une sorte d’adaptation de l’artillerie à l’avion : celui-ci, lâchant ses bombes du sommet de la parabole, bénéficie de l’effet du tir courbe mais aussi de la puissance de perforation du projectile tombant de haut.

La distance passe également par d’autres systèmes de propulsion que la seule détonation de poudre dans une culasse fermée : c’est l’invention de la roquette et du missile. Le missile ne cesse d’augmenter sa portée, utilisant même les couches exo-atmosphériques dans le cadre des missiles « balistiques » nucléaires.

3/ L’imprécision et la saturation sont les conséquences des deux caractéristiques précédentes. En effet, plus le temps de vol du projectile est long, plus il est sensible à des facteurs extérieurs (humidité de l’air, vent, chaleur) qui affectent sa course. Dès lors, à la différence d’un projectile à tir tendu dont la vitesse initiale permet d’avoir une trajectoire grossièrement plane, limitant donc l’imprécision, l’artillerie parcours l’ensemble d’une trajectoire de parabole (le tir tendu ne parcourant que le sommet « plat » de cette parabole) : la montée, le point de retournement, la descente. Il s’ensuit qu’on ne peut en déduire le point d’impact final. Le tir d’artillerie est imprécis. D’où la nécessité, permanente, d’un « régleur » : cet observateur avancé décrit la position de la cible (les artilleurs sont les meilleurs topographes des armées), puis corrige le tir. De là l’invention des bonds de hausse (et la célèbre règle : « petit bond, petit con ») pour encadrer l’objectif, avant de parvenir au tir d’efficacité.

L’efficacité est en effet la conséquence de l’imprécision. Puisqu’on ne sait pas vraiment comment vont tomber les obus, si ce n’est pas une estimation statistique, on va augmenter les chances de parvenir à des dégâts en augmentant le nombre de projectiles. Ainsi, on estime pouvoir lancer une cinquantaine d’obus sur un demi-terrain de foot à 35 Km de distance. Cette saturation sera développée par plusieurs moyens : shrapnells (obus explosant juste avant le sol pour disperser des éclats meurtriers contre les fantassins) ou bombes à sous-munitions, au départ lancée d’avion puis désormais de lance-roquette.

Plusieurs facteurs vont essayer de corriger ces difficultés. Tout d’abord, l’amélioration des techniques topographiques permet de raccourcir, voire de supprimer les tirs de réglage, pour parvenir à une efficacité d’emblée : cela favorise la surprise et donc l’effet des obus, cela permet surtout de déménager de sa propre position de tir pour éviter le tir de contre-batterie, et donc préserver ses propres pièces. L’alternative consiste à augmenter la puissance explosive de l’explosif, dont l’effet destructeur se répand alentours : là est la première origine de la bombe nucléaire, qui est une super artillerie.

Ensuite, l’amélioration du guidage : autrefois à la radio (par contact direct entre le TACP et l’avion qui attaque au sol) puis par illumination laser. Autre système, le guidage terminal des munitions qui, au moment de la redescente, détectent et choisissent leurs cibles (véhicules blindés ou bunkers). Dernier exemple, l’invention du missile de croisière, mélange de drones et d’artillerie : le missile se propulse sur son trajet (planifié) pour rejoindre, à plus ou moins basse altitude, sa cible qu’il va détruire avec précision. Le fin du fin consistant à coupler le missile de croisière et la bombe nucléaire, performance technologique rare…. Et qui invalide les théories de bouclier anti-missiles, qui contrent tous des missiles balistiques, endo ou expo atmosphériques….

Il s’ensuit une furtivité accrue qui permet de réduire le nombre de munitions projetées, celles-ci étant corrélativement plus chères, mais avec une empreinte logistique moins lourde. Cette hausse technologique permet en fait de sortir de la courbe parabolique des trajectoires, qui est la grande tendance des artilleries contemporaines : on ne recherche plus la saturation, même si le tir indirect demeure un fondement.

4/ Dès lors, un observateur qui, comme moi, n’y connaît pas grand-chose, se pose une question : ce tir indirect est-il le symbole de l’approche indirecte ? N’est-il pas frappant de voir que tous les engagements actuels en Afghanistan, creuset de la COIN, passent par l’usage immodéré de l‘artillerie, qu’elle soit terrestre ou aéroportée (ou héliportée) ? et que la grande évolution dans la directive Mc Chrystal réside principalement dans l’identification des cibles, pour éviter les « bavures » dues à un usage immodéré de tir indirect de saturation, donc imprécis ? Mais que cette remise ne cause ne va pas jusqu’au bout de la logique, celle du retour à l’affrontement direct ?

O. Kempf


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