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Max | Épaule

Publié le 11 juillet 2010 par Aragon

Peu de temps avant sa mort le 23 janvier 1989, il déclare «Je pense à la mort, surtout quand je mange des sardines en boîtes ».

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Elle est assise dans le jardin ombragé. La chaleur pèse sur nous de tout son poids. Tous nos gestes sont ralentis pour imiter les animaux aquatiques et profiter ainsi de la fraîcheur imaginaire de l'eau sur nous. Elle rêve, elle est ailleurs, elle dirige un orchestre symphonique dont je ne suis que le témoin discret. Elle est dompteuse d'ours blanc, aventurière en partance pour l'Amazonie, reporter en Afrique, qui sait…

Je m'approche doucement d'elle, non pas pour la surprendre, car elle sait toujours qui s'approche, mais pour l'apprivoiser. C'est une femme sauvage, intérieurement sauvage, si rétive à toute garde rapprochée qu'elle préfère le danger brut des hommes à leurs grillages. Elle tourne la tête vers moi. Elle me sourit. Je me sens pris en faute, saisi par une culpabilité mordante, moi qui l'ai laissée là deux minutes, deux minutes seule avec elle-même, deux minutes sans profiter  de sa présence, de son aura magnifique, de son regard si pénétrant.

Je m'approche encore. Je suis pris dans son magnétisme, dans sa candeur enfantine qui me tient à distance. Mais je m'approche. Elle rassemble tout ce qu'elle a de douceur muette pour me faire une place dans cet espace-là. Je me penche sur elle, je suis tétanisé par le bonheur d'être là, si près, charmé au sens propre du terme, accablé par la simplicité de ce geste que je vais faire.

J'approche mes lèvres de son épaule qu'elle a nue, comme pour tenir le ciel peau à peau. Je me penche et dépose un baiser sur cette épaule, qui s'envole dans un bruit d'ailes froissées. Juste un baiser tendre et délicat, un baiser de dévotion, un baiser pour dire au monde que tout le bonheur est résumé dans ce geste-là : faire s'envoler une épaule nue une fin d'après-midi d'été.

Elle allume son regard de bougies inventées, elle respire le baiser que je viens de déposer, elle l'aspire, elle l'avale, elle le fait sien, elle s'en nourrit, elle s'en asperge les sens comme une ondée revigorante, elle se suffit de ce geste pour exister, elle n'a besoin que ce de ce geste pour savoir qu'elle vit. Elle a l'épaule toute fraîche. Je viens d'y poser mes lèvres, il fait très chaud, elle a l'épaule fraîche et moi je brûle.


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