Magazine France

Les révélations du "rapport" de l'IGF dont Sarkozy ne parlera pas.

Publié le 12 juillet 2010 par Juan
révélations Les conseillers de l'Elysée expliquèrent que la prestation présidentielle était prévue depuis plus d'un mois. Prévue, mais tenue secrète ! La réalité est tout autre. Nicolas Sarkozy a cédé à la pression d'une folle semaine. Et dimanche soir un rapport, non pas de l'IGF mais de son directeur, était opportunément publié pour soutenir la cause présidentielle. A quelques heures de cette intervention ultra-préparée, voici ce que l'on sait, et ce que l'on fait au sujet de cette affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy. Des faits qui ne seront pas évoqués ce soir, à partir de 20h15 sur France 2. On se souviendra aussi que c'est la seconde fois que le nom de Sarkozy apparaît dans une polémique sur un financement politique illégal. De Karachi à Neuilly, les chemins de Sarkofrance sont parfois tortueux.
Ce que dit le «rapport» de l'IGF
Dimanche soir, alors qu'une partie du pays regardait la finale de la Coupe du Monde de football, le fameux rapport expresse du directeur de l'Inspection Général des Finances était publié. En une dizaine de jours, la mission a eu accès à 6 247 dossiers identifiés et traités par le pôle fiscal cabinet du ministre. Les auteurs du rapport sont prudents : «compte tenu des délais de réalisation des travaux, ce rapport d'enquête n'a pas été soumis à la contradiction».  François Baroin n'avait posé que deux questions aux auteurs du rapport, une enquête très ciblée :
«1. M. Eric Woerth, durant la période où il était ministre du budget, a-t-il été informé de la situation fiscale et financière de Madame Bettencourt , de Messieurs Banier et de Maistre, ainsi que des sociétés Téthys et Climène, et est-il intervenu pour demander, empêcher ou orienter un contrôle ?
2. Les informations obtenues dans le cadre du contrôle fiscal de M. Banier, notamment de source judiciaire, étaient elles de nature à conduire l'administration, avant les récentes révélations à l'origine de l'affaire, à déclencher un examen de la situation fiscale personnelle de Madame Bettencourt ?»
Sans surprise, les auteurs du rapport n'ont pas trouvé de trace d'intervention d'Eric Woerth sur le traitement fiscal de Mme Bettencourt. Mais d'autres révélations et interrogations méritent le détour. 
- L'énoncé des questions livre une première confirmation : le ministère du budget reconnaît implicitement que depuis «les récentes révélations à l'origine de l'affaire», grâce notamment à Mediapart, la situation fiscale de Mme Bettencourt mérite un contrôle. A celles et ceux, autour du président, qui accusaient la presse et Mediapart de colporter des ragots, on répondra que cet acquis est un premier cinglant désaveu.
- Il existe bien, au sein du cabinet du ministre, une «équipe dédiée au traitement des situations fiscales individuelles.» Eric Woerth prétendait le contraire, en expliquant que le ministre n'a rien à voir avec les travaux du fisc. Il mentait. Les auteurs du rapport précisent que «le moyen le plus fréquent de l'intervention est le courrier».
- De mai 2007 à juin 2009, la cellule Woerth s'est ainsi vue transmettre 6 247 dossiers fiscaux, que les auteurs du rapport ont examiné en moins de 15 jours... Comment ? Par mots-clés et tris automatiques et quelques entretiens avec des responsables de services. Quand on pense qu'Eric Woerth disait qu'il n'avait connaissance de rien...
- Les auteurs du rapport confirment qu'Eric Woerth était au courant du contrôle fiscal de M. Banier, tout comme de la situation fiscale (bouclier fiscal compris) de Mme Bettencourt:  «il a été informé du contrôle fiscal de M. Banier et de la situation fiscale de deux contribuables liés aux personnes évoquées par la lettre de mission.»
- Patrice de Maistre est intervenu auprès d'Eric Woerth sur la situation d'un contribuable, à l'automne 2007: «Le ministre a été saisi par l'intermédiaire de M. de Maistre de la situation d'un contribuable». Les auteurs du rapport indiquent n'avoir trouvé «aucune trace d'autres échanges entre le contribuable et les collaborateurs du ministre, et les collaborateurs du ministre et les services.» Qui donc était ce contribuable? Le rapport reste discret et ne dit rien. Le contrôle fiscal s'est tout de même soldé par une absence de redressement mais, jugent les auteurs du rapport, ce traitement était «normal» !
- La direction juridique du fisc (DGFIP) a été «saisie par les services locaux de questions relatives au bouclier fiscal de deux personnes citées par la lettre de mission», à savoir Mme Bettencourt et/ou M. Banier et/ou M. de Maistre. Rien n'est remonté au cabinet du ministre.
- Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre ni François-Marie Banier ne figuraient sur la fameuse liste des 3000 contribuables français disposant d'un compte en Suisse. Cependant, les auteurs du rapport mentionnent que les services du fisc, après le départ d'Eric Woerth du ministère du Budget, avaient obtenu une seconde liste de comptes cloturés mentionnant Mme Bettencourt ou M. Banier.
- En mars 2009, Eric Woerth a donc été «informé par ses services du lancement d'un contrôle fiscal sur M. Banier. » On ne peut pas être plus clair. Mais les auteurs dédouanent Eric Woerth de toute intervention puisque ...  «les informations obtenues dans le cadre du contrôle fiscal de M. Banier, notamment de source judiciaire, n'étaient pas de nature à conduire l'administration à déclencher un examen de la situation fiscale personnelle de Mme Bettencourt.»  Pourquoi donc ? C'est bien simple, et la réponse est troublante : «comme dans la majorité des cas, ce signalement ne mentionne pas le délit susceptible de constituer une fraude fiscale.» En d'autres termes, Philippe Courroye aurait bien signalé le 9 janvier 2009 au fisc des «éléments susceptibles de présumer une fraude fiscale», mais le délit n'est pas explicité et donc le fisc n'a pas enquêter. On est curieux de connaître le contenu réel du signalement de Philippe Courroye...
- Cette enquête sur M. Banier n'a pas déclenché de contrôle sur Mme Bettencourt. Pourquoi donc ? Les auteurs préviennent qu'ils n'ont pas eu accès à tous les éléments du dossier mais seulement aux procès-verbaux prélevés par les vérificateurs sur le contrôle de Banier. En particulier,  «la mission n'a pas eu accès aux scellés.» A la lecture de ces PV, rien ne laissait supposer l'existence de comptes cachés par Mme Bettencourt. L'île d'Aros aux Seychelles est bien mentionnée, mais le contenu des PV «ne permet pas d'en établir la propriété.» Surtout, les auteurs du rapport LA réponse à l'absence de contrôle : Eric Woerth n'avait pas à intervenir puisque ... «ces faits [la dissimulation de la propriété de l'île aux Seychelles], s'ils étaient avérés, sont à la date de la consultation des documents, prescrits» ! Les auteurs ajoutent que «en l'espèce», Mme Bettencourt faisait régulièrement ses déclarations relatives à ses donations et que ces dernières restaient mineures par rapport à l'immensité de sa fortune ... On croit rêver.  Inutile, donc, pour Eric Woerth d'avoir à lever le petit doigt avec des fonctionnaires aussi zélés, c'est la conclusion majeure qui ressort de ce rapport.
Ce que Sarkozy ne dira pas
Lundi soir, Nicolas Sarkozy utilisera ce rapport pour disculper son ministre-bouclier Eric Woerth. Mais il ne parlera pas du fond de l'affaire, des vraies révélations et vraies interrogations.
1. Les enregistrements pirates des conversations entre Patrice de Maistre et Liliane Bettencourt ont été authentifiés par la police. Une première enquête avait été ouverte sur ces écoutes à proprement parler. Une seconde, vendredi, a été lancée pour «blanchiment de fraude fiscale». Ces écoutes ont révélé une fraude fiscale que Liliane Bettencourt a reconnu.
2. Liliane Bettencourt a bénéficié de 30 millions d'euros de remboursement d'impôt au titre du bouclier fiscal de 2008, quelques semaines après l'avoir demandé.
3. Les enregistrements ont révélé les conditions d'embauche de Florence Woerth («pour faire plaisir à son mari», d'après Patrice de Maistre), et des évasions fiscales avérées ou projetées (en Suisse, aux Seychelles, etc...).
4. Florence Woerth a été embauchée par Clymène, la société de gestion de la fortune Bettencourt, en novembre 2007. Elle a démissionné fin juin, sitôt la polémique sur le conflit d'intérêt entre les fonctions de son mari à l'UMP (trésorier) et au gouvernement (ministre) ont été connues, reconnaissant un «possible conflit d'intérêt.» Après l'authentification des enregistrements pirates, vendredi 9 juillet, la police a perquisitionné le domicile et le bureau de Patrice de Maistre. Chez Clymène, le dossier professionnel de Florence Woerth a été saisi. L'avocat de l'épouse du ministre a déclaré avoir«remis une lettre de Mme Woerth dans laquelle elle précise toute une série de choses sur sa carrière professionnelle et ses activités au sein de la société Clymène, et qui démontre qu'elle n'avait en rien la charge des aspects fiscaux.» L'avocat sous-entend ainsi que Florence Woerth aurait pu chez Clymène avoir à faire à ses sujets fiscaux, mais que cela n'était pas de son ressort...
5. Le ministère du budget, sous la tutelle d'Eric Woerth, a été informé début 2009, d'une possible fraude fiscale chez Bettencourt.
6. Liliane Bettencourt n'a jamais fait l'objet d'un contrôle fiscal depuis 15 ans.
7. L'ex-comptable personnelle de la milliardaire accuse son ancienne employeur d'avoir financé illégalement des personnalités politiques, dont Nicolas Sarkozy pour sa campagne de 2007. Ses carnets de caisse montrent des décaissements en liquide pour 388 000 euros entre janvier et avril 2007, un niveau anormalement élevé par rapport à la même période de 2006. Le procureur de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire. Aucun juge n'a été saisi sur l'affaire.
8. Contre ce témoignage de financement politique illégal, la défense sarkozyenne a produit deux témoins : Patrice de Maistre, qui a nié, et Eva A., l'ancienne banquière de Mme Bettencourt à la BNP. Cette dernière serait en fait la belle-soeur de Patrice de Maistre, et membre d'un cercle d'affaires installé au Fouquet's.
9. Ce n'est pas la première fois que Nicolas Sarkozy est cité au coeur d'une affaire de financement politique illégale. Il a été accusé par la police luxembourgeoise d'avoir supervisé la création de la société HEINE, une société offshore créée pour faire transiter les commissions d’intermédiaires lors de contrats de vente d’armes lorsqu'il était ministre du Budget et directeur de la campagne d'Edouard Balladur. L'Elysée a démenti.
10. Une autre polémique concerne le fameux Premier Cercle des donateurs de l'UMP, l'affaire Wildenstein, un fondateur de l'UMP impliqué dans une querelle d'héritages qui révéla une évasion fiscale hors normes...
Lundi soir, Nicolas Sarkozy évitera de parler de tous ces détails. Il amalgamera l'affaire, (1) en insistant sur les rétractations mineures de l'ex-comptable de Bettencourt, (2) en insistant aussi sur la cabale qui affecte son ministre et collaborateur Eric Woerth, alors que c'est lui qui directement impliqué, et donc visé.
Le bouclier fiscal, la proximité avec les fortunes, le Premier Cercle,le financement de sa campagne, tout cela concerne Nicolas Sarkozy et lui seul.  Mais lundi, devant David Pujadas, il parlera G20 en France en 2011, retraites et relance...
Crédit illustration: Patrick Mignard

|

Retour à La Une de Logo Paperblog