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Publié le 15 décembre 2007 par Raymond Viger

En d’autres termes, notre vie ne serait qu’une parmi une infinité d’autres.

On peut comprendre l’intérêt pour des romanciers: ils furent nombreux à créer des “histoires parallèles”, où Allemands et Japonais ont gagné la Deuxième guerre mondiale (Le Maître du Haut-Château, de Philip K. Dick, 1963), où les Sudistes ont gagné la guerre de sécession américaine (The Guns of the South, par Harry Turtledove, 1992) et où Charles Lindbergh est devenu Président à la place de Franklin Roosevelt (Le Complot contre l’Amérique, Philip Roth, 2004).

Pour les scientifiques, l’idée fut d’abord de peu d’intérêt, puisque ces univers nous semblent à jamais inaccessibles. La théorie d’Everett est donc restée dans les limbes jusqu’aux années 1970. Mais depuis, elle gagne en popularité (voir encadré).

Résultat, la revue scientifique britannique Nature a consacré un dossier spécial à ce 50e anniversaire, pour la théorie, mais surtout pour “célébrer les chevauchements du monde de la science avec le monde de la fable qu’il inspire et dont il se nourrit”, lit-on dans l’éditorial.

“La science-fiction se nourrit de la science. Elle l’anticipe aussi. En bien ou en mal, elle articule des possibilités et des craintes… La science-fiction fournit du matériel brut de première importance.” Un constat moins rare qu’il n’y paraît pour cette revue hyper-spécialisée, qui s’applique dans chaque numéro à publier un article ou un compte-rendu (de livre, de site web, d’exposition) présentant de nouveaux chevauchements entre science et culture.

Everett aurait-il été nourri par la science-fiction? Des romanciers avaient effectivement jonglé avec l’idée d’univers parallèles avant lui (comme Jorge Luis Borges dans sa nouvelle Le Jardin aux sentiers qui bifurquent, 1941). “Si Everett avait lu un de ces textes, il aurait pu être prédisposé à faire le lien entre l’effondrement du paquet d’ondes et la génération d’univers multiples”, résume l’auteur de science-fiction Jean-Louis Trudel, également diplômé (entre autres!) en physique. Mais on ne le saura peut-être jamais: Everett est mort en 1982. Il a délaissé la physique après son doctorat et est devenu ingénieur et analyste pour l’industrie de la défense… et millionnaire grâce à l’informatique!

Ce qu’on sait par contre, c’est que l’écrivain britannique Michael Moorcock a été le premier, en 1962, une quinzaine d’années avant les physiciens, à employer le mot “multi-univers” (en anglais, multiverse) dans les aventures de son “champion éternel”. “J’ai dû tomber sur une référence dans le New Scientist”, a-t-il par la suite expliqué.

Quelques auteurs ont tenté d’aller plus en profondeur dans la physique quantique (Greg Egan, Quarantine), mais celle-ci reste difficile à utiliser dans un récit, d’autant que même les physiciens s’arrachent les cheveux à tenter d’établir une théorie cohérente. “Le gros de la science-fiction, rappelle Jean-Louis Trudel, s’intéresse d’abord aux extrapolations technologiques et futuristes de découvertes techno-scientifiques; cela laisse relativement peu de place pour les textes s’interrogeant sur le sens et les conséquences de la physique quantique.”

ENCADRÉ 1

Les bizarreries de la physique quantique

Le raisonnement qui a conduit Hugh Everett vers ses “multi-univers” vient de l’obstacle majeur de la physique quantique: la superposition. C’est l’idée suivant laquelle une particule élémentaire, comme un électron, peut être, littéralement, en deux endroits à la fois. Ou dans deux états à la fois (positif et négatif). Werner Heisenberg, l’homme du “principe d’incertitude” a postulé que que ne voyons pas cette “superposition” d’états parce qu’elle “s’effondre” dès que nous mesurons la particule.

Everett a suggéré une autre piste: nous voyons bel et bien cette superposition, sauf qu’elle nous entraîne en quelque sorte avec elle. Il se crée un univers où nous voyons la particule chargée positivement, et un autre univers où nous voyons la particule chargée négativement.


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