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L'abeille au secours de l'humanité ?

Publié le 14 juillet 2010 par Ruminances

Posté par Rémi Begouen le 14 juillet 2010

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Grâce à mon boycott du bla-bla de Tsarko du 12 juillet, j’ai pris le temps de finir la lecture, passionnante mais exigeante, de ce nouveau livre important d’un écrivain à la fois économiste (hétérodoxe !), historien, philosophe et… poète.

Du moins commence-t-il son ouvrage par une surprenante et belle fable en vers libres, dont il s’explique ainsi : « Nous nous sommes risqués autour du paradigme de la pollinisation opposé au vieux paradigme de la production sur le modèle input/output à composer une fable à la manière de La Fontaine qui sert de liminaire à ce livre. Un liminaire pour entrer plus aisément dans une matière quelquefois ardue et ne pas céder à l’intimidation qui n’est que le premier pas vers le renoncement civique et l’abdication de la liberté tout court. »

Merci à l’auteur d’avoir pris et réussi ce risque : C’est pour avoir entendu à la radio lecture de cette fable (un conflit entre voisins, dont les abeilles de l’un vont butiner chez l’autre !) que j’ai eu envie de me procurer cet essai de 252 pages, parfois lourdes d’érudition, mais toujours alertes… comme un essaim d’utiles abeilles ! Avec en prime de la fable la fabuleuse illustration de Enki Bilal en couverture !

Voici la 4° de couverture de « l’abeille et l’économiste », éditions Carnets Nord, avril 2010 :

Pour nombre de nos contemporains, la finance est devenue scandaleuse, voire délictueuse. Dans le dictionnaire des idées reçues de notre temps, elle est immanquablement opposée à l'économie dite « réelle », industrielle ou commerçante. Et rendue responsable du chaos présent.


Cependant, la crise actuelle n'est pas que financière, mais aussi économique, sociale et environnementale, marquant une rupture et une bifurcation par rapport au modèle capitaliste qui a conquis la planète à partir du XIV° siècle. C'est dans cette révolution en cours que nous entraîne le présent ouvrage, tout à la fois une petite histoire de la finance, une analyse de la crise contemporaine et une tentative de prospective. Nous sommes en train de basculer d'une économie de l'échange et de la production à une économie de pollinisation et de contribution.
D'où ce titre : « L'abeille et l'économiste ». Les abeilles font bien plus que produire du miel : elles pollinisent, c'est-à-dire qu'elles diffusent, gratuitement, la vie. Cette métaphore écologique aide Yann Moulier Boutang à explorer les pistes de refondation d'une économie dont le modèle dominant est largement discrédité et moribond.

L’un des soucis majeurs de cet ‘hétérodoxe’ est d’analyser les sordides manœuvres du capitalisme sous la menace de la révolution, bien avant 1917 et depuis. Le phénomène de la main-d’œuvre immigrée dans les usines occidentales en fait partie. Il s’agissait bien sûr de pression contre l’augmentation des salaires et pour créer de la division sociale. Mais j’ignorais, par exemple, que ‘la crise pétrolière’ de 1974 ayant renvoyé beaucoup d’émigrés yougoslaves, avait indirectement provoqué l’éclatement sanglant de la Yougoslavie –« mieux vaut ça que la révolution ! ». J’ignorais aussi le néologisme ‘Chimérica’ pour désigner le monstrueux accord des deux monstres que sont les États-Unis d’Amérique et la Chine communiste (Orwell l’annonçait !). Etc., car ce livre regorge d’approches insolites, de premier abord, mais très futées : à mille lieux des poncifs de divers bavards dits spécialistes (en économie, sociologie, politique, philosophie…) qui sont parfois égratignés, et le plus souvent ignorés, tout simplement !

Le plus fécond de ces étranges (parce que non ‘langue de bois’) rapprochements est celui annoncé dès le titre. Voici l’avis de Philippe Arnaud (Le Monde du 1° juin 2010) : « Mieux que le couple de l'année, c'est peut-être celui de la décennie ; et même plus, si affinités. Pour Yann Moulier Boutang, professeur de sciences économiques à l'université de technologie de Compiègne, l'économiste et l'abeille symbolisent les deux tendances du capitalisme, celui d'hier et celui de demain. D'un côté, une logique de rentabilité à court terme, discréditée ; la finance est la partie émergée de l'iceberg. De l'autre, l'abeille. Cet insecte éminemment social, productif, fécondant, mais aussi discipliné, est l'allégorie de cette « économie pollen » dont l'auteur se fait l'annonciateur, et qui était déjà le sujet de son précédent livre, Le Capitalisme cognitif (éditions Amsterdam, 2008). »

Lorsque l’on sait la dramatique gravité de l’empoisonnement chimique des abeilles et leur rôle fondamental dans la pollinisation, donc dans nos vies, on ne peut que vouloir, en urgence, ‘la sortie du capitalisme’, selon l’euphémisme final du livre. Et l’auteur contribue beaucoup à inventer d’autres types de révolutions…avec l’aide de nos amies les abeilles ! : car nous ne pouvons que vivre ou mourir ensemble…

Citation : « Dans la compréhension du complexe, (dans le sens de la réalité si complexe) on retrouve le rôle pollinisateur. Mais, à la place du pollen, on va retrouver tous les immatériels, la confiance, la coopération volontaire, la mobilisation des affects qui détermine la capacité cérébrale et surtout le travail de réseau, la coopération en réseau qui prend la forme de la contribution. Que fait l’abeille ? Elle crée du réseau, découvre des endroits à polliniser, revient voir ses congénères, leur indique les zones où il y a à butiner. »

Il me semble que cela s’applique à notre ruche « ruminances », non ?

Une dernière citation pour la route ? : « Dans la nature, il faut aider les abeilles à survivre en les débarrassant des Régent, Gaucho et autres Cruiser, ces polluants chimiques qui les tuent, en diminuant les engrais non biologiques qui bétonnent la biomasse. (…) Les Gaucho, Régent, Cruiser de la pollinisation humaine ont pour nom hiérarchie maniaque, harcèlement physique et moral par la précarisation, stress de la performance, mode de rétribution au rendement, coercition au salariat improductif, déni de protection sociale, pour discipliner. »

Bon butinage à vous, bonne pollinisation collective !


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