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Un 14 juillet "africain" : tu parles !

Publié le 14 juillet 2010 par Atango

OK, ce blog est dédié au foot, mais l'actualité de ce côté là en ce moment, c'est "Waterloo, morne plaine." Du coup, on se rabat sur "les restes du monde", comme ils disent au Groland.

Voilà comment je me suis retrouvé à regarder le défilé du 14 juillet ce matin avec, je l'avoue, l'intention secrète de voir à quoi ressemblerait le passage des troupes africaines sur la plus belle avenue du monde. J'ai eu le bonheur de me connecter sur TF1, ce qui m'a permis de vivre un moment de franche rigolade. Le présentateur s'est trompé sur la quasi totalité des noms de nos dictateurs, pardon, présidents bien-aimés. Paul Biya est devenu Sassou Nguesso, Blaise Compaoré est devenu Idriss Deby, etc et vice versa. Futé, le monsieur s'est abstenu de parler des drapeaux, parce que hein...

Un 14 juillet

En réalité, vue d'ici, l'Afrique est demeurée aussi mystérieuse qu'à l'époque de la Coloniale. Il s'agit d'une contrée lointaine avec laquelle la France a des relations privilégiées (pour elle-même d'abord), une terre mythique peuplée de zèbres, de girafes et de lions.

A vrai dire, pour le Français moyen, le rapport à l'Afrique varie encore sur le mode près/loin. De près, l'Afrique, c'est l'Africain que l'on voit vivre à côté de soi, dans la même ville, voire dans le même quartier. C'est l'immigré ou le "issu de l'immigration", quelle que soit la date de cette primo immigration. Il est potentiellement sans-papier, ce qui lui vaut soit la pitié des bonnes âmes, soit la haine des "bons Français". C'est celui qui est victime de discrimination à l'embauche, parce que son cv se retrouve toujours au bas de la pile sans que l'on sache comment, etc.

De loin, l'Afrique est une entité, évidemment. On dit "l'Afrique", c'est comme cela. Inutile d'aller expliquer que le Kenya a autant à voir avec la Namibie que le Portugal avec la Biélorussie, c'est l'Afrique. D'ailleurs, oublions la Namibie, le Botswana et autres confettis. Pour le Français moyen, l'Afrique c'est le Sénégal. Grâce à l'avènement du tourisme low cost en effet, tout le monde a été au Sénégal, ou au moins dans la piscine du Novotel de Dakar. Et chacun se fait un point d'honneur de vous raconter en détails cette courageuse aventure, persuadé qu'il vous fait plaisir. Vous êtes d'ailleurs prié d'apprécier et de commenter, même si le Sénégal se trouve à 3000 kilomètres de chez vous et que vous n'y mettrez jamais les pieds. Vous êtes Africain, oui ou non ?

L'Afrique, c'est aussi ce continent à problèmes récurrents et divers : coups d'Etats, épidémies, guerres, catastrophes de toutes sortes, etc. Face à cette image d'Epinal, la réaction dépendra du tempérament et de la personnalité de chacun (car dès qu'il s'agit d'Afrique, c'est systématiquement l'émotion qui parle, bien sûr) : ceux qui ont la fibre humanitaire compatissent, certains agissent d'ailleurs de façon remarquable ; ceux qui sont simplement "normaux" regardent tout cela de loin et ne veulent surtout pas s'en mêler. En tout cas, j'ai connu très peu de Français capables de parler de l'Afrique de façon normale, sans que l'on ne bascule soit dans le compassionnisme dégoulinant de bons sentiments culpabilisants, soit dans le mépris nourri par les préjugés qui se sont sécularisés au fil de la Traite Négrière, de la colonisation et de la Françafrique.

En revanche, la France ne se prive pas de se mêler des affaires de l'Afrique depuis très longtemps, ce que le Français moyen ignore souvent d'ailleurs. C'est bien commode, car ça lui ficherait un sale coup, au Français moyen, d'apprendre que son standing de vie actuel s'est largement construit sur la misère de l'Afrique. Malin (et un peu lâche aussi), le Français moyen s'arrange pour ne pas trop penser à ce genre de choses. Il ferait bien, pourtant, de s'y intéresser, car à force de se fréquenter, on finit par se ressembler. Un exemple : si les dirigeants français ont commencé à rayer le mot "démission" de leur vocabulaire et à prendre le soin de placer leurs fistons aux affaires, devinez de qui ils ont pris ces bonnes habitudes ?

Bon, laissons ces sujets qui fâchent et revenons à notre défilé et à notre présentateur qui s'est tranquillement trompé ensuite sur les troupes au moment de leur passage. Le détachement gabonais est devenu sénégalais, le drapeau centrafricain est devenu camerounais, et le détachement mauritanien est devenu malien, etc. Ouf !

Prudent, je m'abstiens volontairement de dire un seul mot sur la Tribune officielle, une belle brochette de chefs d'Etat aussi démocrates que moi je suis évêque de Lyon.

Tiens, une qui n'est pas dupe de ce cinéma bamboula, c'est la météo. Juste après le passage des troupes coloniales... pardon africaines, une belle pluie est venue laver le pavé parisien, trempant du même coup le reste des troupes métropolitaines... Pardon, françaises, comme pour nous rappeler que tout cela, ce n'est que de la bonne soupe néo-coloniale comme on n'aimerait plus jamais en voir.

A la fin du défilé, au moment où Nicolas Sarkozy s'en va serrer la main à un groupe d'anciens combattants africains, notre présentateur déclare ceci : "Le Président de la République salue les autorités des pays africains." Bien sûr : ils sont bardés de médailles, ils font le salut militaire au patron et ils sont tous plus noirs que le ciel de Dunkerque un jour d'orage. Ce sont donc des "dirigeants africains."

Dans une interview, plus tard, Madame Sarkozy ne parlera que de l'Afrique du paludisme, des épidémies et de l'aide humanitaire, en prenant soin de souligner la générosité des Français... Je croyais qu'on parlait de nations souveraines. Mais non, l'Afrique n'est qu'une grande malade digne de pitié. C'est la parente pauvre dont on a besoin parce que ça ne sert à rien d'être un pays riche s'il n'y a pas de pays pauvres à qui se comparer. Et puis, si l'Afrique sortait de sa situation, où irait-on se construire sa bonne conscience humanitaire, hein ? Un exemple : Bernard Kouchner demeure adulé par le Français moyen parce qu'il porta naguère quelques sacs de riz cathodiques aux petits biafrais, et malgré qu'il aie récemment pris au contribuable gabonais 300 millions de FCFA pour faire un travail que n'importe quel étudiant de la fac de médecine d'Owendo aurait pu boucler en 10 jours. Voilà où en est le Français moyen aujourd'hui.

En tout cas, je ne sais pas à quoi aura servi cette présence de troupes africaines au défilé du 14 juillet, mais sûrement pas à gommer les stéréotypes et les préjugés.

PS : Bon d'accord, le début de mon article est nul. Parler de Waterloo un 14 juillet, c'est limite.

Un 14 juillet

Voir l'album. Copyright TF1.


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