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Les exaltés – pouce vers le haut, des gouttes dans l’océan – pouce vers le bas

Publié le 07 juin 2010 par Europeanculturalnews

Deux œuvres présentées dans le cadre du « festival premières » à Strasbourg illustrent parfaitement, comment on peut mettre un texte historique sur une scène avec succès – et le contraire !

Les exaltés – pouce vers le haut, des gouttes dans l’océan – pouce vers le bas

Gouttes dans l'océan (c) Laquerelle


Pour présenter l’expérience ratée : L’œuvre de jeunesse «Des gouttes dans l’océan» de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène par Matthieu Cruciani, parle d’un sujet récurrent de l’auteur : De l’amour entre deux personnes bisexuelles et de ses péripéties.
Fassbinder, en son temps un personnage culte, n’a jamais mis en scène lui-même cette œuvre écrite en 1964. Cruciani s’est attaqué à une thématique encore brûlante il y a 40 ans. Mais non seulement que celle-ci a perdu tout son mordant à l’heure actuelle, mais en plus, le metteur en scène a situé l’action de cette pièce à l’époque de sa création : Et en ce qui concerne l’interprétation, et d’un point de vue visuel. Dans un décor au look des années 70 – un appartement avec des meubles en verre et en tubes métalliques – les deux acteurs principaux ont bien sagement déclamé le texte original. Résultat des courses : Une succession interminable de dialogues, récités dans des états d’âme divers et variés. La mise en scène n’exigeait aucune référence au présent, abstraction faite des spots publicitaires projetés sur un écran géant pendant les changements de costumes. Les acteurs des spots arboraient eux aussi le look des années 70 !
Cette mise en scène est allée jusqu’à ignorer le petit jeu de Fassbinder qui aurait fait un véritable scandale à l’époque : Ce jeu qui consistait à changer de partenaire, jusqu’à ce que, à la fin, tout le monde ait envie de coucher avec tout le monde.
Ici, l’action était si monotone que, malgré quelques vociférations, on pouvait tranquillement faire un petit tour au pays des songes – tout comme le jeune homme assis juste devant moi. Les disputes auxquelles se sont livrés Yann Métiver et Julien Geskoff dont les performances dépassaient de loin celle de la mise en scène, semblaient interminables.
Mais ce qui manquait à Cruciani ce n’était pas seulement une prise de position personnelle. L’autre manquement était la non-application des règles artisanales les plus élémentaires du théâtre. Rien que cela aurait pu contribuer à fasciner le public d’avantage. Adressée à l’arrière de la scène, la parole de Léopold, assis pratiquement le dos tourné au public, était perdue pour celui-ci. C’était un peu agaçant. Tout ce qui pouvait ressembler à une action compréhensible, était mis à l’écart. C’était plutôt dérangeant: Qu’est-ce qui a fait en sorte que l’ex-maîtresse de Franz se soit tournée vers Léopold ? Rien ! Quelle était la raison pour simplifier le caractère de l’ancienne compagne de Léopold à l’extrême pour en faire finalement une marionnette simplette ? Il n’y en avait pas : cela n’a ni montré son vrai caractère, ni ses véritables ambitions et encore moins les secrets de son âme. La seule chose, qui ait traversé le fossé entre la scène et le public de façon compréhensible, c’était le don d’amour de Franz à Léopold. Par conséquent, le suicide de Franz, repoussé par son amant qui le trompe avec son ancienne maîtresse, est compréhensible, lui aussi.
L’œuvre de Fassbinder est bien plus que du théâtre de poche superficiel avec des moments «on allume et on éteint la lumière» ainsi que des entrées et des sorties de scène prévisibles. Dans cette œuvre on trouve des passages psychologiquement passionnants – mais Cruciani ne les a pas trouvés ! Il semblait s’être endormi – tout comme le jeune homme assis devant moi.
Les exaltés – pouce vers le haut, des gouttes dans l’océan – pouce vers le bas

Sanjari (c) Emma Szabol


Une nouvelle adaptation des «Exaltés» de Robert Musil prouve, que les choses peuvent être différentes.

Le metteur en scène Milos Lolic, formé à Belgrade, a présenté cette pièce pauvre en action mais riche en moments psychologiques dramatiques. Et il a réussi grâce à un pari osé : Dans la première, comme dans la dernière partie de la pièce, il a fait en sorte que toutes les actrices et tous les acteurs sur scène équipés d’un microphone, s’adressent directement au public. De cette façon, la communication était sur des rails et ne pouvait, comme on pouvait le voir, se mêler des émotions des acteurs. Ils étaient trop occupés par la profondeur de leurs âmes, ils étaient trop occupés à réfléchir pour agir.
Les micros tombent seulement quand des scènes dramatiques se déroulent sous nos yeux : Par vengeance, Joseph assomme brutalement Anselm qui avait essayé de séduire la femme de celui-ci. Et c’est à ce moment que se forme un groupe soudé. Avant, on avait eu à faire à des individus fluctuants, prenant garde à tout moment de garder leur propre position, méticuleusement analysée, sous contrôle.
Un pianiste, dos au public, accompagne la pièce. Sa musique reflète parfaitement les différentes ambiances créées par tous les protagonistes au cours des dialogues. La musique ne s’arrête qu’une fois : Pendant la scène de violence. Quand les poings parlent, la musique se tait.

Le décor de ce lieu retiré consiste en un intérieur sobre, lambrissé, comme c’était la mode dans les années 70 et 80. Les prétendus amis s’y sont retrouvés pour un week-end pendant lequel les cartes de leurs relations sont mélangées de nouveau. Les costumes et les coiffures des femmes indiquent la période de création de la pièce. L’utilisation des microphones reconnecte Lolic avec le présent. Reste à mentionner que cette façon détachée de jouer, sans qu’il y ait d’interaction entre les actrices et les acteurs a justement demandé beaucoup de concentration et toute leur présence aux protagonistes. La troupe était parfaitement à la hauteur de ces exigences. L’interprétation de « Sanjari » (en serbe) par Lolic fonctionne grâce à son analyse de texte personnelle. Elle est donc basée sur un travail en profondeur autour de cette pièce ce qui permet finalement sa transposition concluante.
De cette façon, le metteur en scène rajoute une nouvelle dimension à l’œuvre de Musil – c’est indiscutablement un signe de qualité.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker


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