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La puissance au fĂŠminin

Publié le 02 juin 2010 par Europeanculturalnews

La soirée qui devait clôturer le « festival nouvelles » au Pôle Sud à Strasbourg n’était pas destinée aux hommes faibles, mais plutôt aux femmes fortes. Avec Aude Lachaise, Gwendoline Robin et «Bouchra Ouizguen et sa CIE Anania», une offre artistique féminine sans pareil s’est présentée au public.

La puissance au fĂŠminin

Aude Lachaise "Marlon" (c) Jérôme Delatour

L’artiste polyvalente, Aude Lachaise, pour qui ni la danse, ni le chant, ni la performance et encore moins le jeu d’actrice n’ont de secret, a proposé une «one-woman-pièce» d’un genre particulier : Son titre, «Marlon» est un indice. Du moins il indique la direction d’où Aude Lachaise viendra à la rencontre de son public. En dansant et surtout en parlant elle explore les profondeurs de la jouissance féminine.
Pour ce faire, elle se sert d’un vocabulaire qui n’est pas nécessairement ce que l’on pourrait appeler «correct», mais il semblerait, que ce genre de vocabulaire soit indispensable pour parler de la vie sexuelle de façon décontractée. Lachaise réussit à faire une excursion amusante et pétillante aux accents linguistico-philosophiques dans le pays de l’amour – ET du coté de Marlon Brando, qu’elle semble avoir dans la peau !
D’une certaine façon, Lachaise agit en sexologue. Elle transmet au public ce qui, en apparence, est difficile à transmettre. Et le public ne peut faire autrement que de rire des cheminements futés que suivent les réflexions de l’artiste. Une seule fois, le silence se fait dans la salle – au moment où elle annonce qu’elle a l’intention de faire venir un volontaire auprès d’elle sur la scène, car elle aimerait essayer le principe du Kamasoutra et pour cela, il lui faudrait un partenaire, bien entendu. Après quelques minutes pleines d’appréhension, le public se détend: Lachaise montre toute seule, par l’intermédiaire de son langage corporel, que la pression engendre la pression et que les caresses appellent d’autres caresses. Une performeuse remarquable, qui agit tout près du public – à portée de main – mais malheureusement: pas de Marlon Brando au premier rang !

La puissance au fĂŠminin

Gwendonline Robin (c) MP

La performance «Echelle»/«Territoire» de Gwendoline Robin s’adresse à tous ceux qui sont convaincus d’être capables de contrôler leurs émotions dans n’importe quelles circonstances. Car elle leur démontre le contraire ! Robin déclenche des émotions pures, directes et spontanées. La belge, diplômée en art plastique, montre du brûlant à son public – au sens propre du terme !
Sans paroles, en s’appuyant sur des actions rythmées, elle emmène le public dans sa construction de pensées. Des pensées qui tournent autour du rapport de la proximité et de l’éloignement, sachant que plus on est loin, moins on se sent concerné.
Sur un podium, à l’air libre, elle a construit différents édifices en papier: quelques immeubles entourés par des maisons unifamiliales ou plurifamiliales, comme si elle voulait montrer une maquette d’urbanisme. Très tranquillement, elle commence à étaler toutes sortes de pâtes entre ces petites maisons. Elle fait des traces. Par-ci, par-là elle disperse une poudre noire-argentée. Et après avoir terminé tous ces préparatifs, elle allume une mèche qui met le feu aux maisons. D’abord, c’est l’immeuble qui prend feu, ensuite c’est le tour de quelques constructions qui se trouvent à proximité. Robin reste en dehors de l’action, regarde calmement ce qui se passe et commence très lentement à revêtir une combinaison ignifuge. On a presque l’impression qu’elle s’apprête à jouer les pompiers et du coup on a envie de crier : «plus vite, plus vite». Mais en tant que «spectateur rompu aux performances» on fait semblant de rester de marbre – et on attend ce qui suit. Après un laps de temps qui semble interminable – quand il y a le feu, quelques minutes semblent durer éternellement – Robin a fini par s’emmitoufler de la tête aux pieds, elle a un casque sur la tête et entre dans ce qui reste du brasier. Il ne reste pratiquement plus rien du paysage architectural, initialement blanc. La majorité des constructions sur le podium sont carbonisées, de la fumée plane au dessus de la scène. Et subitement, l’un des tuyaux qui part de la combinaison de Robin prend feu. Dans les secondes qui suivent, des détonations retentissent et font trembler le podium qui est entouré d’une épaisse fumée. Des flammes lèchent la combinaison de Robin, qui essaie d’étouffer les départs de feu avec ses mains. Elle reste encore debout pour un court instant, mais finit par se coucher entre les foyers rougeoyants. Et là se fait le déclic dans la tête : «L’Echelle» de Robin est renversée par Robin, jouant la femme morte, étendue devant nous. Maintenant, elle est l’une des victimes du feu qui a pris son départ dans les petites maisons. Elle est allongée par terre, très près de nous, on peut sentir le feu, la fumée irrite le nez. Quelques minutes auparavant, c’était un jeu. Cette ville, que nous pouvions admirer comme aux informations télévisées d’une perspective à vol d’oiseau, était encore très loin. Sa destruction nous a à peine touchés. Mais maintenant qu’un être humain à taille réelle est étendu là, devant nous, tout le monde a compris. La performance, très dangereuse pour l’artiste, apporte un élargissement de conscience. Cet élargissement ne fonctionne qu’à travers une expérience directe et une participation personnelle. Parce que nous savons tous, que les malheurs, la mort et les assassinats nous touchent d’autant moins qu’ils sont lointains – même si nous pouvons pratiquement les «vivre» en direct, par télévision interposée pendant le journal télévisé quotidien. Nous regardons tout cela en dînant. De notre «perspective à vol d’oiseau», de chez nous, assis sur le canapé, la violence et la mort ne sont qu’un programme sans importance particulière. En quelques secondes, l’artiste réussit à démasquer tout cela : la monstruosité, cette aliénation humaine, l’indifférence générale. Elle réussit à faire en sorte que nous nous sentions concernés et qu’à l’avenir il appartiendra à chacun de nous de trouver un nouveau modèle pour gérer les nouvelles catastrophiques auxquelles nous confronte la télévision. Une performance extraordinaire qu’il faudrait recenser dans tout manuel de psychologie. Elle prouve que grâce à sa démarche artistique, un être humain peut, même encore aujourd’hui, élargir l’idée de l’art.

La puissance au fĂŠminin

Bouchra Ouizguen "Madame Plaza" (c) Hibou Photography

Choc et consternation chez Robin, contemplation liée à la lente évolution d’un processus de réflexion chez Bouchra Ouizguen et sa troupe. On aurait difficilement pu trouver un plus grand contraste pour poursuivre le programme. Ouizguen avec sa troupe de femmes, a relevé le défi de créer une pièce scénique avec laquelle elle tourne actuellement dans le monde entier. La particularité ce sont les chanteuses et danseuses qui sont issues d’une tradition marocaine ancestrale qui fait d’elles des êtres adulées et exclues à la fois. Sous le terme «Aitas », on comprend des courtisanes, comparables aux Geishas ou alors aux prostituées de luxe, qui gagnent leur vie dans des établissements nocturnes. Leur chant, transmis depuis des centaines d’années, fait référence à une culture qui est sur le point de s’éteindre. Au cours de ces dernières années, leur position particulière est devenue de plus en plus précaire et les a totalement marginalisées. Cette circonstance fait de certaines parmi elles, comme celles qui forment la « CIE Anania », des femmes à la personnalité affirmée, des femmes qui réfléchissent sur leur propre sort et qui prennent leur destin en main.
La pièce « Madame Plaza » est beaucoup plus qu’une allusion folklorique à une minorité sociale. C’est une œuvre qui parle d’amour, du fait d’être quitté, de la dépendance. Une pièce qui raconte l’ennui, l’une des grandes traditions dramatiques artistiques du récit arabe, mais qui traite aussi de l’intimité entre homme et femme.
Quand on pense «danse» on pense tout de suite à des corps superbes et sveltes. A la CIE Anania cependant, on ne trouve rien de tout cela. Ces femmes sont massives, leurs corps volumineux, mais la fierté qu’elles affichent n’en est que d’autant plus grande. Ce programme en contradiction totale avec l’image habituelle des danseurs fait un bien fou. Cela fait un bien fou, de voir enfin des femmes fortes, au sens propre comme au sens figuré, sur une scène. Des femmes qui s’affirment et qui ne cachent rien de leurs corps imposants. Des femmes qui font face aux regards des hommes, parce qu’elles sont capables de les regarder à leur tour. Des femmes qui n’ont pas honte, ni de leur vulnérabilité, ni de leur douleur, qui se soutiennent mutuellement mais qui ont aussi des rêves.
Elles racontent un monde où la perception du temps qui passe est différente. Par exemple la scène, où elles attendent un homme : Pendant de longs passages il ne se passe rien d’autre que cette attente justement, mimée par les femmes allongés sur des matelas. Ou alors le moment où l’une des femmes conte un évènement à un cercle d’intimes. Le récit se transforme en plainte à laquelle toutes finissent par se joindre.
Les rapports très proches, presque enviés par les autres, entre un homme et une femme qui semblent inséparables, sont compris par tout le monde : quelle que soit la société à laquelle on appartient, quel que soit le pays où on est né. De cette façon, Bouchra Ouizguen a créé une chorégraphie universellement compréhensible. Même si elle vient d’un pays qui est très, très loin du nôtre.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker


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