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Chaque concert est unique – impossible à rejouer à l’identique !

Publié le 18 mai 2010 par Europeanculturalnews

Interview avec le chef d’orchestre tchèque Jakub Hrusa

Chaque concert est unique – impossible à rejouer à l’identique !

le chef d´orchestre Jakub Hrusa (c) IMGArtists

Monsieur Hrusa, c’est la deuxième fois que vous êtes ici à Strasbourg ?

Oui, la première fois, je suis venu en octobre 2008. Mes impressions quant à l’actuelle collaboration sont très complexes. L’orchestre m’a fait passer un moment merveilleux. Il se sentait bien plus en confiance dans l’œuvre de Richard Strauss que dans celle de Janáček, qui est totalement différente. Ce morceau comporte de nombreuses difficultés et nous l’avons travaillé pendant toute la semaine. De toutes les façons, c’était un défi énorme pour l’orchestre, parce que tout en étant des œuvres très connues, « Zarathoustra » de Strauss et le premier concerto pour piano de Tchaïkovski n’ont pas été joués à Strasbourg depuis très longtemps. Ce qui signifie, que les musiciens ont été obligés de travailler 3 nouveaux morceaux pour ce concert. J’ai donc vraiment le sentiment d’avoir été lié étroitement à l’orchestre par le travail pendant toute cette semaine. Quand je travaille, je ne cherche pas à obtenir la meilleure façon de jouer un crescendo, par exemple. Je préfère plutôt honorer les efforts des musiciens qui me le rendent ensuite largement. Il y a des talents et des possibilités dans l’orchestre qui lui permettraient d’avancer. Mais pour cela, il faut beaucoup de temps, de la concentration et de la préparation. Si on dispose de tout cela, on a la possibilité de travailler dans ce sens.

Comment s’est passé votre collaboration avec le pianiste Simon Trpčeski ?

Nous avons très bien travaillé ensemble tous les deux. Il a une énergie fantastique et absolument incroyable. De plus, c’est quelqu’un d’aimable, au sens propre du terme, c’est quelqu’un qui a un grand cœur, qui est extrêmement sensible et qui a le don extraordinaire de se faire aimer.

En très peu de temps, vous avez fait une très belle carrière. Vous avez travaillé avec de grands orchestres des plus grandes maisons. Que pensez-vous de cette évolution ?

J’ai l’impression que ma carrière va dans le bon sens. D’autres aimeraient peut-être monter encore plus vite, mais la façon dont se passent les choses pour moi, me paraît bien et logique. Pas après pas ! Pas de bond extravagant, mais doucement et surement. J’espère aussi que mon travail est un succès pour les orchestres et qu’ils en sont satisfaits. Je donne une certaine valeur à une évolution naturelle et je suis convaincu, qu’il est très important de choisir et de diriger un bon répertoire. J’ai choisi Janáček par exemple, parce que je trouve son style quelque peu provoquant. Il demande un minimum d’explication vis-à-vis du public. Il ne faut pas l’inonder d’informations, deux ou trois précisions suffisent pour stimuler l’imagination et pour clarifier le contenu de la pièce. J’ai une position critique par rapport aux programmes écrits. La plupart du temps on y trouve des faits, des chiffres d’opus et des années, mais l’approche enfantine manque : Des images, qui portent la musique. C’est dommage.

Avez-vous déjà fait des concerts commentés ?

Oui, on m’en a déjà fait la demande en anglais et en allemand.

D’après certains artistes, la prise de contact avec le public, c’est-à-dire de s’adresser directement au public serait néfaste pour l’aura d’un artiste. Cette aura de star s’en trouverait détruite.

Pourquoi une interaction détruirait-elle une aura ? Je ne vois pas les choses ainsi. Mais il est vrai, qu’un cadre restreint, comme par exemple une conversation avant un concert ou alors quelques informations que l’on fait passer autour d’un buffet se prêtent parfaitement bien à la diffusion d’information. Quand je fais des commentaires, je préfère être avare en paroles, simplement pour attiser la curiosité des gens, pour capter leur attention. J’aime bien raconter aussi, pourquoi j’aime un certain morceau à titre personnel.

Comment avez-vous approché la musique pour la première fois ?

Dans ma famille, il n’y a pas de musicien professionnel. Mon père est architecte. Il a voulu savoir, si j’avais du talent et m’a donné des feuilles de dessin et des crayons de couleur. Le résultat était maigre. Mais j’ai adoré écouter de la musique. Mes parents écoutaient de la musique en permanence et ont détecté mon talent dans ce domaine. A l’école maternelle, j’ai toujours été choisi, quand il s’agissait de chanter quelque chose ou alors de donner le rythme. A l’époque – c’étaient les dernières années du communisme – il existait un projet. Dans le cadre de ce projet, un comité est passé dans les écoles maternelles pour essayer de découvrir des enfants particulièrement doués pour la musique. J’ai été choisi. Par la suite, dans l’école élémentaire que je fréquentais, dans toutes les matières, il y avait de la musique. Peu importe, s’il s’agissait des langues étrangères ou des mathématiques : On chantait au moins pendant 10 minutes, ou alors on faisait de la musique. C’était l’un des derniers projets du communisme, et moi j’en suis en quelque sorte le résultat. Je tiens à souligner, que je n’approuve pas le communisme, d’aucune façon, mais le fait est, que ma formation précoce est basée sur cette expérience. Nous étions à l’époque 30 élèves dans ma classe. J’étais le seul d’avoir choisi la musique comme profession. Mais tous autant que nous étions, nous nous sommes sentis très heureux et privilégiés dans cette classe et j’ai eu une enfance vraiment heureuse. Plus tard, j’ai douté de la musique. J’ai continué ma scolarité en fréquentant un lycée tout ce qu’il y a de normal, avec une formation de base assez générale. Mes professeurs ont toujours essayé de m’inciter à devenir musicien, mais je n’étais pas vraiment sûr de moi. Au début, j’ai fait des études de trombone et de piano, mais j’ai considéré tout cela plus ou moins comme un hobby. J’ai joué ensuite du trombone pour faire du jazz. Au piano, mes progrès étaient sensibles. Je me suis beaucoup exercé. J’ai joué tout le temps, dès que j’avais un peu de temps libre.

Quand est-ce que vous avez choisi de faire carrière dans la musique ?

Enfant déjà, j’aimais diriger. Je prenais un bâtonnet en bois, comme celui que les femmes utilisent pour vérifier, si le gâteau est cuit, et je me mettais devant la platine pour diriger Boléro de Ravel. C’est un morceau très simple, concernant la direction d’orchestre. Il n’y a pas de changements de rythme, et du début à la fin on bat la même mesure. La pièce commence pianissimo et augmente jusqu’au fortissimo. Pour mieux entendre le début, j’ai augmenté le son, sans permettre que qui que ce soit touche au volume jusqu’à la fin. A la fin justement c’était un boucan d’enfer – mes pauvres parents ! Je ne saurais dire ce qui ma plu très précisément dans cette profession, mais je pense que j’ai aussi un caractère qui s’y prête et je dois me montrer aussi. Il faut avoir des qualités de meneur et savoir prendre des décisions. Mais il faut aussi être volontaire et individualiste. Si on possède toutes ces caractéristiques, il est quasiment logique de vouloir devenir chef d’orchestre. Mais je savais aussi, que je ne voulais pas être pianiste. Un chef d’orchestre doit être capable de travailler de façon plus complexe, il doit réunir toutes les voix pour qu’elles ne forment plus qu’un seul tout.

Qu’est-ce qu’être chef d’orchestre signifie pour vous ? D’après vous, quelle est la mission d’un chef d’orchestre ?

C’est très complexe ! Il faut maîtriser la technique manuelle de la direction d’orchestre et il faut savoir la montrer ! Je me sens très heureux et privilégié de pouvoir exercer ce métier. Il me rend profondément heureux et me satisfait totalement. En tout premier lieu, ma principale motivation est d’améliorer l’orchestre avec lequel je travaille. C’est là mon objectif clair et sincère. Si un jour, je ne ressentais plus les choses ainsi, j’arrêterais de diriger ! La direction d’un orchestre ne signifie pas seulement d’accomplir techniquement quelque chose, bien au contraire, cela a avant tout un rapport avec de l’humanité, avec l’esprit et avec des relations humaines. Pour moi, une certaine relation avec l’orchestre est plus importante que de briller vis-à-vis du public. Si cela fonctionne bien, un chef d’orchestre n’a pas besoin d’allures de star, car dans ces cas-là, il ensorcèle, il fascine et parle de cette manière-là au public. Quand je fais de la musique avec des musiciens, je sers et je dirige en même temps. Je n’ai pas de préférences : ni pour des orchestres particuliers, ni pour un certain style de musique. Ce qui compte pour moi, c’est d’aider l’orchestre et de lui apporter une meilleure vie, peu importe, si la collaboration dure une semaine ou davantage. Dans toute personne il y a quelque chose d’une star, mais être une star ne m’a jamais intéressé, cela me semble sans importance. Je ne joue pas à un jeu, je ne suis pas acteur ! Diriger signifie pour moi rendre un service spirituel et culturel à un compositeur et aux musiciens, les aider et les soutenir.

A Strasbourg, vous avez joué « Le petit renard rusé » de Leoš Janáček – vous sentez-vous ambassadeur de la musique tchèque ?

Oui, définitivement – mais pas seulement ! Ce n’est qu’une partie de ce que je voudrais diriger, mais c’est simplement idéal. Le lieu de l’action du «Petit renard rusé » se trouve à deux pas de la maison de mes parents, là où j’ai vécu avec eux. J’allais très souvent dans les bois avec la partition et je ressentais très fort, à quel point j’étais attaché à ce lieu. Mon pays a vu naître un grand nombre de compositeurs, surtout, quand on met ce nombre en relation avec la taille du pays. Concernant ce point précis, nous sommes très privilégiés. Je pense notamment à Smetana, Dvořák, Janáček, Martinů ou alors Suk, pour nommer les plus connus.

Vous êtes à la tête de la « Symphonie de Prague » et vous en choisissez le programme.

Oui, c’est juste, il y a de nombreux paramètres qui entrent en jeu dont il faut tenir compte. Prague est une ville pleine de culture avec beaucoup d’orchestres et beaucoup de concerts. Nous devons observer ce que font les autres et quand ils le font, s’il y a des anniversaires qu’il faut commémorer etc. C’est pour cette raison que nous ne restreignons pas notre concept, nous ne le limitons pas, car ceci serait très dangereux. Nos concerts sont plutôt tous d’une certaine façon unique. Nous ne sommes pas le plus grand orchestre de Prague, mais nous pouvons être le meilleur. Nous avons un public merveilleux, qui n’est pas non plus trop âgé, et nous jouons toujours à guichets fermés. La philharmonie n’est pas très grande, nous ne pouvons donc jouer un répertoire géant comme par exemple Mahler, mais Dvořák et Brahms fonctionnent très bien. Nous donnons des concerts également en dehors de Prague.

Vous avez aussi dirigé de l’opéra ?

Oui, dans le cadre du « Glyndebourne Festival » j’ai dirigé « Carmen », cette année « Don Giovanni ». Mais à Prague j’ai également dirigé « Rusalka » et à Hong Kong « Werther » de Massenet. J’aime l’opéra et je vais certainement travailler davantage dans ce domaine. Glyndebourne m’inspire énormément et me donne la possibilité d’acquérir une très grande expérience. J’en suis très heureux. Mais mon domaine de prédilection, c’est sans aucun doute la symphonie. Même si je dirige un programme comme par exemple une cantate ou un oratorio, donc, quand il y a aussi un chœur, cela me rend particulièrement heureux. A l’opéra et au théâtre, la vie est un peu différente. Il y a plus de passion, mais la politique et la psychologie jouent aussi un rôle important. Je me sens surtout très heureux avec de la musique « pure », cela me ressemble. Beaucoup de gens ont besoin de textes et de chanteurs, s’ils ne les ont pas, ils leur manquent. Je ne pourrais jamais être metteur en scène, par exemple, parce que « texte » et « musique » signifient pour moi quelque chose de totalement différent. Même ma mémoire fonctionne mieux avec la musique. J’aime diriger par cœur. Ce n’est pas toujours possible, mais je me sens bien, quand je mémorise une musique. Avec un texte, cela ne m’arrive jamais ! Avec la musique je me sens comme un poisson dans l’eau. L’opéra exige autre chose. Quand on écoute une symphonie, on ressent des émotions différentes qui peuvent vous enrichir énormément. Mais les pièces de concert elles aussi ont une coulisse théâtrale. C’est pour moi également un accomplissement philosophique. Brahms par exemple ne fonctionne pas dans l’opéra, mais j’adore Brahms ! Le travail d’une symphonie, les détails, le repérage des structures est basé exclusivement sur une évolution musicale. Je ne suis pas aussi enthousiaste avec Donizetti ou Bellini, bien que je sache que ce sont d’excellents compositeurs.

Pourquoi les gens devraient-ils continuer à aller au concert alors qu’ils ont la possibilité de consommer de la musique partout très facilement ?

Oui, c’est juste. Tout le monde possède aujourd’hui un téléphone portable et utilise internet. A tout moment, on peut être en contact avec quelqu’un – partout dans le monde. Mais on ne peut toucher celui qui est à l’autre bout de la ligne. Effectivement, on peut être littéralement « cerné » par la musique, dans la voiture, au restaurant etc. Mais au fond, on n’écoute pas vraiment cette musique, au contraire, on devient comme apathique. C’est comme avoir un chewing-gum dans la bouche, on le bouge, mais on ne l’avale pas pour le manger. C’est compliqué, car quand on entend un bon enregistrement, on est à deux doigts de se concentrer pour écouter et c’est dans la sphère privée. Même dans la salle de concert il y a des éléments perturbateurs, mais il y a là aussi un certain état d’esprit, avec toutes les difficultés, les problèmes mais aussi toutes les joies. Et surtout : On ne peut rejouer un concert à l’identique, on ne peut écouter et ressentir que le moment présent. La musique d’un concert n’est pas un produit industriel. C’est un évènement ! Cette impression du vivant naît qu’au cours d’un concert. D’un point de vue philosophique, tous les enregistrements créent l’illusion, que l’on peut revivre des moments du passé. Mais c’est faux ! Ce n’est pas possible. La qualité sociale d’un concert en direct et la touche humaine sont absentes dans un enregistrement sur CD. Quand on écoute de la musique ensemble, on fait des expériences que l’on partage ensemble. Cela dépend de qui est dans la salle et qui se trouve sur le siège à coté de vous. L’énergie négative qui émane d’un individu peut avoir une influence sur les autres, et l’inverse. L’interaction entre les musiciens sur la scène et le public ne peut pas non plus être enregistrée. La musique doit rester tout simplement humaine. Boire du vin chez soi tout seul ou alors dans une cave ou un restaurant entouré de gens, ce n’est pas du tout la même chose !

Je vous remercie beaucoup pour cette interview !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker


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