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Philoctète – méfie-toi de Guido Westerwelle

Publié le 20 mars 2010 par Europeanculturalnews
Philoctète – méfie-toi de Guido Westerwelle

Philoctète de Heiner Müller au TNSà Strasbourg (c) Mario del Curto


Actuellement, Heiner Müller est à l’honneur avec la pièce « Philoctète » au TNS, au Théâtre National de Strasbourg. Traduite et mise en scène par Jean Jourdheuil, cette pièce est indéniablement d’une grande actualité politique, bien qu’elle ait été créée dans un contexte historique et politique bien différent.

Pendant la création de cette œuvre, de 1958 à 1964, Heiner Müller vivait à Berlin, en Allemagne de l’est. A travers cette pièce écrite par Sophocle, il a indirectement critiqué le nivellement de la société à l’est par le régime communiste. Tout comme André Gide, un bon demi-siècle avant lui, il était bien plus intéressé par la personnalité des protagonistes et leur évolution que par les phénomènes de société, mis en avant par Sophocle.

Chez Heiner Müller, Philoctète est un homme marqué par le destin. Après une bataille contre les Troyens, Ulysse abandonne Philoctète tout simplement sur une île déserte, car les hurlements de celui-ci ainsi que la puanteur de son pied mutilé sont devenus insupportables à bord du navire. Après avoir combattu les Troyens en vain pendant une dizaine années, Ulysse se souvient tout à coup, que l’arc de Philoctète, béni par les dieux, pourrait lui être utile. Il persuade Néoptolème de l’aider à se le procurer. Néoptolème est peu enthousiaste à l’idée de ce projet. Il est lui-même l’ennemi d’Ulysse depuis que celui-ci a volé les insignes de bataille du père de Néoptolème, mort sur un champ de bataille. Même si la mission autour de la guerre de Troie réunit les trois hommes, par ailleurs, tout sépare Philoctète (Maurice Benichou), Ulysse (Marc Berman) et Néoptolème (Marc Barbé): et leurs caractères et leurs destins respectifs.

Le décor minimaliste de Mark Lammert se contente d’une sorte de cale grise qui tourne et d’une flèche tirée sur la scène au début de la pièce. A elles seules, elles symbolisent le lieu – l’île de Lemnos, où vit Philoctète – et l’action. Les trois hommes portent une tenue de travail. Le pied de Philoctète est marqué par une guêtre noire. Il n’en faut pas davantage pour démontrer que Müller pousse l’existentialisme jusqu’à la limite du supportable.

Encore une fois, cette pièce prouve un principe immuable : Une véritable œuvre d’art est intemporelle et peut trouver d’autres formes d’interprétation. Philoctète est exclu de la société car il ne lui est plus d’aucune utilité. Dans son exile, à part sa lutte pour sa survie, psychologiquement très éprouvante, il ne lui reste que la haine contre Ulysse qui finit par lui coûter la vie. Philoctète hait l’homme qui, d’après lui, commet ce crime au profit de la communauté grecque. Ulysse avait eu recours à une ruse pour abandonner Philoctète sur cette île, uniquement pour ne pas être obligé de continuer à supporter les cris et l’odeur nauséabonde du pied gangréné de celui-ci. Et de plus, sans aucun scrupule, il envisage de tromper Philoctète une deuxième fois, en se servant à nouveau du prétexte de la légitimation par la communauté. Néoptolème, censé l’aider dans cette entreprise, est un jeune homme instable. Au fond, il aurait bien envie de rétablir l’honneur de son père Achille, mais finalement, par manque de force de caractère, il tue Philoctète qui est sur le point de tirer une flèche sur Ulysse.

Je me demande, pourquoi cette mise en scène spartiate me fait penser sans arrêt au ministre allemand des affaires étrangères, Guido Westerwelle ? Je ne veux pas parler de sa comparaison de la société romaine décadente avec la société allemande actuelle qui était adressée aux « parasites sociaux », ce qui est déjà un contre-sens en soi. Mais épargnons un cours particulier d’histoire à Monsieur Westerwelle, d’autant plus que Heiner Geiszler s’en est déjà chargé. Je pense plutôt aux tirades de Monsieur Westerwelle et à celles des autres hommes politiques, qui se disent du centre, ou à droite du centre. Qu’ils soient en Allemagne ou en France, peu importe ! Ils aimeraient, tous autant qu’ils sont, regrouper tous ceux qui à première vue semblent être inutiles pour la société, sur une île déserte. Une île où il n’y aurait pas de comptes bancaires pour recevoir les prestations des organismes sociaux. De cette façon, tous ces gens pourraient être « gardés » loin de tout et loin de tous. De ce point de vue, « Philoctète » de Heiner Müller est plus actuel que jamais. En revanche, il faut craindre qu’il n’interpelle que l’intelligentsia qui est déjà plus que consciente de cette problématique.

Le coté intellectuel du langage artificiel qu’utilise Müller dans son « Philoctète » à Strasbourg, ne permet aucune approche émotionnelle. Dommage, qu’il n’ait pas su saisir cette petite chance pour essayer de convaincre le plus de monde possible du fait qu’une société qui ne fait que se référer aux nécessités économiques de la communauté et ceci contre les principes de l’humanisme, fait fausse route.

Philoctète, Maurice Bénichou émeut par son jeu authentique : Il incarne son entêtement et son caractère « volcanique » de façon aussi convaincante que sa diminution par sa blessure et son isolement en vieillissant. Marc Barnabé et Marc Berman se contentent en revanche de suivre les indications de la mise en scène et proposent une prestation qui marque par le texte mais non pas par l’interprétation.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker


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