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De l’homme qui a pris un plafond sur la tête

Publié le 18 mars 2010 par Europeanculturalnews
De l’homme qui a pris un plafond sur la tête

Pierre Rigal avec "press" (c) Frédéric Stoll

« Press »
Cie ‘Dernière Minute’ avec Pierre Rigal au Pôle Sud

Il y a le théâtre, il y a la danse, le théâtre de danse et il y a Pierre Rigal. Pour lui, il faudra encore inventer une définition qui convienne, car ce qu’il montre sur sa scène et comment il s’y prend ne peut être mis dans l’une des catégories artistiques connues par le commun des mortels.

Sa scène, c’est une boite. C’est une scène sur la scène. Il s’agit d’un espace simple, gris, qui se trouve un peu au dessus de la scène proprement dite. La partie de la boite tournée vers le public est ouverte. On peut y voir une chaise pliante en plexi. Dans le coin gauche est posée une lampe contemporaine orientable, semblable à toutes celles que l’on peut acheter un peu n’importe où dans le monde – à une toute petite différence près : la lampe de Rigal est équipée en plus d’une petite loupiote rouge, qui, au cours du spectacle, s’avérera être une force fatale, déterminante et destructive. Mais on verra plus tard !

En tenue noir de businessman, une cravate nouée autour du cou, le danseur et chorégraphe Pierre Rigal prend la mesure de son petit royaume, le pas léger. Il tourne autour de son propre axe, prend des poses artificielles et commence, du moins il en donne l’impression, à s’ennuyer dans son petit monde. Jusqu’au moment où il s’expose aux rayons de la petite lampe rouge. Telle une intelligence artificielle, cette petite lumière exerce une forte influence sur le jeune homme, qui, après une courte exposition aux rayons, bouge différemment dans son monde si particulier. Plus rien ne tourne rond comme avant. Chaque mouvement semble être manipulé : Ses bras ne lui obéissent plus, ses jambes échappent à tout contrôle, ce qui était en bas se trouve subitement en haut – et vice-versa !

Rigal fait un pied de nez à la force d’attraction terrestre et marche sur les murs. Il fait le poireau, comme si c’était une posture naturellement adoptée par tout le monde. Sa prestation est accompagnée par une musique électronique comme celle des jeux d’ordinateur. Cette musique accentue encore les mouvements du danseur et l’impression qu’il donne : que les murs de sa boite sont magnétiques, voir électriques pour ainsi attirer ou repousser ses membres, sans qu’il puisse s’en défendre.
Penser, qu’enfermé dans un petit box, le répertoire des mouvements possibles est forcément restreint, serait une grosse erreur. Chaque minute montre une image corporelle différente : L’absurdité, l’emprisonnement dans un système omnipuissant, l’envie de s’y opposer et finalement l’impuissance, l’impossibilité d’y arriver. Tout ceci, le « danseur » l’exprime clairement à travers son langage corporel.

Le fait que le plafond s’abaisse et que par la même occasion, la tête du danseur est invisible pour le public, renforce considérablement la situation de départ : Ayant perdu la tête, au sens propre du terme, Rigal erre à partir de là entre les murs, il écoute une voix enregistrée sur une bande énumérer en chantant tout ce qui se passe dans sa tête à elle. Une métaphore très marquante, comme toute la pièce d’ailleurs qui est une métaphore pour l’être humain exposé à l’énorme pression de la civilisation.
Quand Rigal est de nouveau entièrement visible pour le public, la signification du titre « press » prend – chaque minute davantage – toute son ampleur. Press – la pression ou presser, ces termes peuvent être compris au sens propre comme au sens figuré : Physiquement, le plafond s’abaisse de plus en plus, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un minuscule espace dans lequel Rigal bouge étant allongé. Au figuré, le titre fait allusion à l’environnement et au rayonnement qui, en dernière conséquence, prive l’être humain de tout espace pour bouger, pour respirer et finalement pour vivre !

Les mouvements de Pierre Rigal sont proches de l’acrobatie et parfois il donne l’impression d’être en apesanteur ou alors dans l’eau. La façon dont il se propulse – tout en étant allongé au sol – d’un mur à l’autre, se retournant immédiatement pour retrouver avec intensité sa position initiale, ce sont des enchaînements de mouvements pleins de poésie et de force, jamais vus jusqu’ici. Sa façon de maintenir sa position, dans toutes les situations, même désespérées, va droit au cœur et montre que le conformisme est d’un coté l’un des maux fondamentaux de notre société, mais que de l’autre coté, l’homme essaie toujours, même dans les pires moments, de garder sa dignité.

Le mérite de Pierre Rigal ne consiste pas seulement en ce formidable travail physique nourri par une approche très analytique. Chaque mouvement a pour but de donner l’impression d’être totalement anodin et naturel – même s’il est totalement absurde ou carrément impossible. L’effet aux contours incisifs qu’il obtient est de longue durée.
L’autre dimension de ce mérite est celle qui ajoute un deuxième niveau à cette performance physique qui dépasse celle-ci de très loin. En définitive, le danseur est obligé de gérer cet avertissement et cette interpellation qu’il adresse à son public, lui-même aussi !
Rigal ne propose pas de solution. Avec sa déconstruction il laisse derrière lui plutôt une confusion constructive à laquelle on ne peut échapper qu’en prenant le taureau par les cornes pour faire face à ses propres «press-ions ».

Mélanie Chartreux a épaulé Pierre Rigal par son conseil artistique. Nihil Bordures a composé la musique et Frédéric Stoll est le génial inventeur du box « vivant ». Une équipe au travail merveilleusement complémentaire.

Avec son arrèt à Strasbourg la ‘Compagnie Dernière Minute’a donné des lettres de noblesse au « Pôle Sud ». Ce spectacle fut un autre point culminant au programme de ce centre culturel vivant.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker


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