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21 juillet 1910 : les Pyrénées pour la première fois...

Publié le 17 juillet 2010 par Jeanpaulbrouchon

Pyrenees  Alphonse Steines est chargé par Henri Desgrange, dès 1903, de tracer l’itinéraire du Tour. C’est lui qui, une fois les villes-étapes retenues – les plus grandes de préférence pour y vendre le plus d’exemplaires possibles de "l’Auto" – détermine les emplacements de départ et d’arrivée, reconnaît le parcours la plupart du temps à vélo, retient les hôtels et entreprend avec le correspondant local de "l’Auto" les démarches nécessaires pour l’établissement des contrôles placés sur le parcours.

Autant   à la fin du Tour 1903, Henri Desgrange est satisfait du déroulement de son épreuve, autant il maugrée en  privé contre l’apathie des coureurs. La course, en effet, ne fut qu’une élimination avec peu d’offensives. Le vainqueur Maurice Garin s’impose avec trois heures d’avance sur Lucien Pothier, classé deuxième et quatre heures trente sur le troisième Fernand Augereau.

  Alphonse Steines réussit à convaincre Henri Desgrange que pour être populaire le Tour doit frôler les frontières, longer les côtes et franchir la montagne. C’est ainsi qu’il introduit en  1905 le Ballon d’Alsace dans les Vosges, la côte de Laffrey et le col Bayard dans les Alpes. En 1906, le Tour franchit sa première frontière à Metz, alors allemand, puis à Vintimille sur la route de Nice et enfin à Irun avant l’arrivée à Bayonne.

  Entre temps, Steines, à l’invitation du constructeur automobile suisse "Martini", teste un modèle muni de freins hydrauliques, grande nouveauté pour l’époque. 48 cols suisses, italiens et français sont ainsi franchis. Certains dans d’effroyables conditions car les routes n’étaient que des chemins de terre utilisés par les bergers et parfois aux beaux jours par la voiture hippomobile de la poste. «  Si les voitures passent, pourquoi pas les coureurs «, songe Steines qui en l’occurrence oublie volontairement que dans la montée du Ballon d’Alsace 1906, René Pottier n’a eu aucun mal à distancer la voiture de l’organisation chargée de le suivre.

  Au début de l’année 1910, Steines présente à Desgrange  le tracé du Tour. 15 étapes au lieu de 14 l’année précédente. Même kilométrage. Etapes se disputant tous les deux jours avec une journée  de repos après chacune.  Desgrange regarde la carte et blêmit. Toulouse, ville-étape depuis 1903, Toulouse dont les exploits du coureur local, Jean Dargassies,font monter en flèche les ventes de "l’Auto", est tout simplement rayée de la carte. A la place, Perpignan-Luchon et Luchon-Bayonne par les cols de Peyresourde, d’Aspin, du Tourmalet et de l’Aubisque. Desgrange est fou furieux. Les quatre cols font partie de cette région que les rares habitants nomment "le Cercle de la Mort". Lors des longues soirées d’hiver dans les petites maisons recouvertes de tuiles d’ardoise, tout en entretenant le feu, on raconte des histoires. Des histoires de lutins mais aussi des histoires de bergers qui disparaissent les nuits sans lune dévorés par les ours qui vivent encore en nombre dans ces montagnes. Et ces histoires de bergers ne sont pas des légendes. Quant aux routes d’accès elles existent à peine. Ce ne sont que des sentes caillouteuses, ravinées par la violence des vents et l’abondance de la neige l’hiver. Des chemins empruntés par les bergers suivis de leurs troupeaux et parfois en juillet par le véhicule de la poste. Desgrange explose «  Vous êtes fou, Steines. Je vous chasse ».  Puis Desgrange se ravise : «  Allez voir sur place, Steines. Allez voir s’il y a des routes. Allez voir. Rendez-moi compte mais c’est votre dernière chance » . 

   Quelques jours plus tard, Steines est à Luchon. L’administration des routes lui confirme l’impossibilité d’emprunter le Tourmalet et l’Aubisque, même au mois de juillet. Steines est têtu. Il loue une voiture avec chauffeur et part reconnaître le parcours.

   Peyresourde ne pose pas de problème. Aspin, non plus, malgré la présence d’une légère couche de neige au sommet. En milieu d’après-midi, au pied du Tourmalet, à Sainte-Marie-de-Campan, dans l’unique auberge du village, face à l’église, Steines et son chauffeur se restaurent. Soupe aux haricots, jambon et fromage. L’aubergiste lui raconte qu’il ne voit pas grand monde l’été. Quelquefois une diligence ou le véhicule des postes, mais beaucoup plus souvent les bergers et les paysans de la région lors des offices religieux le dimanche.   Steines persiste dans sa volonté de reconnaître la totalité de son étape et prend la route du sommet. 19 km d’ascension. La voiture hoquette bien de temps à autre, bringuebale, tangue selon la nature du terrain mais elle progresse vers le sommet. Le jour baisse. Le ciel s’assombrit. La neige se fait de plus en plus présente et à 4 km du sommet sa masse est si importante que la voiture doit s’arrêter. Steines renvoie le chauffeur en lui demandant d’aller l’attendre à Barèges sur l’autre versant du col. Steines se dirige seul vers le sommet. Il s’oriente à l’aide des perches qui jalonnent le sentier et indiquent la hauteur de la neige. Deux bergers, alertés par le bruit de la voiture, l’accompagnent jusqu’au sommet. Il donne un louis d’or à chacun, leur en propose un autre pour le conduire dans la vallée. Ils refusent car c’est l’heure de la traite des bêtes.

   Steines est à nouveau seul. Le vent souffle de plus en plus fort soulevant des plaques de neige qui font chanceler notre homme. Il fait nuit. Steines ne sait plus ou est le chemin de la vallée. Il tombe, se redresse, retombe. Steines prend peur. Il s’arrête pour prier, repart, roule dans un ruisseau, en ressort couvert de glaçons. Il s’ébroue. Il repart transi. La boue lui colle au visage et aux vêtements. Au bout d’un temps qui lui semble une éternité son pied heurte une borne kilométrique. De joie, il l'étreint. Il est enfin sur le bon chemin. Il est près de 4 h du matin lorsqu’à l’entrée de Barèges il aperçoit deux silhouettes. Ce sont celles de deux gendarmes qui partent à sa recherche. Sur la place du village, un attroupement : ce sont les Barégeois inquiets. Personne encore à cette date de l’année n’est revenu d’une telle tourmente en pleine nuit. Le correspondant de "l’Auto" le conduit chez lui. Il le réchauffe, le nourrit et lui offre un bon lit.

   Le lendemain Steines demande aux Ponts et Chaussées de dégager en juillet le Tourmalet et l’Aubisque. La transaction se fait pour un montant de 5 000 francs. Desgrange n’en paiera que 2 000. Puis Steines envoie un télégramme à Desgrange ainsi libellé «  Routes praticables, nous aurons une grande et belle course » 

    De retour à Paris, Steines ne souffle mot de sa mésaventure à Desgrange. Celui-ci toutefois n’est pas convaincu. «  Si par malheur il y a un accident, alors je vous chasse pour de bon », lui dit Desgrange.

   En juin, des coureurs vont voir. Ils en reviennent terrifiés, certains que l’étape ne se terminera pas. Desgrange peste contre Steines une nouvelle fois, mais ce dernier reste fidèle à son projet.

   Et le 21 juillet 1910, à 3 h 30 du matin, le départ de Luchon-Bayonne est donné. Desgrange, pas très rassuré, reste à Luchon pour quelques jours de congé. Victor Breyer le remplace. Les coureurs s’enfoncent dans la nuit, puis peu après le petit jour commencent à escalader les cols. Personne au bord du chemin. Les coureurs sont livrés à eux-mêmes.  Octave Lapize passe en tête à Peyresourde, Aspin et au Tourmalet. Défaillant dans l’Aubisque, Lapize passe devant Victor Breyer arrêté pour remplir son carnet de notes et lance cette phrase restée célèbre : «  Vous êtes des assassins ! Oui des assassins »

Octave Lapize gagne cependant l’étape avec plus de 2 h de retard sur l’horaire initial en battant au sprint l’italien Albini. Lorsque le contrôle ferme, alors que la nuit tombe sur Bayonne, douze coureurs seulement ont franchi la ligne d’arrivée. Desgrange repêche tous les éliminés, au nombre de 34, même ceux qui ont terminé l’étape en voiture. 46 concurrents prendront donc le départ de Bayonne-Bordeaux.  

Depuis ce 21 juillet 1910 le Tour emprunte toujours un, deux ou la totalité de ces cols pyrénéens du "Cercle de la Mort".  
Jean-Paul Brouchon


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