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Les discours sur Facebook

Publié le 18 juillet 2010 par Gregorykudish
Les débats autour de Facebook et de ses impacts sur la société ont pris, ces derniers jours, une teinte psychologique. Dans l'article de Mathieu Perreault intitulé "Facebook : jalousie, rêveries, et inconscience",paru dans La Presse le samedi 17 juillet 2010, on apprend que Facebook, comme tous les autres réseaux sociaux, est un excellent outil de mise en valeur personnelle qui sert entre autres choses à augmenter le désir de popularité de ses utilisateurs. Ce sont ces particularités qui m'ont amené à m'interroger sur l'art du discours et son contexte d'énonciation. Plus qu'un nouveau mode de discours, Facebook efface tout contexte d'énonciation, détruit toute éthique du discours, et par-là ouvre une porte sur la vie privée des sujets.Afin de bien cerner les répercussions de Facebook sur l'art du discours, il convient d'abord de poser un regard critique sur l'ère précédant celle des réseaux sociaux. Avant l'arrivée des réseaux sociaux, on distingue essentiellement deux types de discours : la conversation un à un et le discours public. Qu'elle ait lieu par téléphone, par courrier électronique, par correspondance épistolaire, ou qu'elle prenne la forme d'un entretien, la conversation entre deux personnes s'inscrit toujours dans un contexte d'énonciation donné. En effet, on n'appelle pas un ami quand on n'a rien à lui dire, aussi bien qu'on ne s'engage pas dans une conversation lorsque l'autre ne veut pas nous écouter. Toute conversation se limite donc à un sujet précis. Par ailleurs, la présence d'un interlocuteur nécessite le respect d'une certaine éthique. On ne dit pas tout et n'importe quoi, et on essaie d'éviter les longs monologues pour ne pas ennuyer l'autre. Dans le cadre d'un discours public, ces normes sont plus ou moins identiques; le public est venu nous entendre parler d'un sujet précis.
Avec Facebook, le contexte d'énonciation est indéfini
Je dirais que c'est une propriété des plus frappantes de ce réseau social. Lorsqu'on en vient à avoir 800 amis, chaque message publié sur son babillard devient impersonnel. Qui plus est, le peu d'espace réservé à la publication d'un message public restreint les propos du discours du sujet à un aperçu de ses états d'âme, à une énumération de ses activités quotidiennes, et à des fragments d'opinions, sans compter le fait que Facebook constitue un lieu de discours virtuel. Avec Facebook, on communique à tous et à personne, dans un espace indéterminé. Aucune circonstance spatiale n'est là pour baliser nos propos. C'est justement pour  ces raisons-ci que les utilisateurs des réseaux sociaux n'ont que leur propre vécu pour sujet de discours (s'il faut appeler cela du discours). À quoi bon parler de politique à des centaines, voire des milliers de personnes, lorsqu'on sait que la majorité d'entre elles ignoreront notre message? Et j'ajoute : combien peut-on en dire en seulement quelques lignes? Tel est le centre du problème. En apparence, l'absence de contexte d'énonciation et la négligence de toute éthique du discours sur Facebook semblent ouvrir la porte à une liberté totale d'expression. Et pourtant, les gens se limitent à parler de leur vie personnelle. À la fin de chaque message, les autres utilisateurs ont la possibilité de cliquer sur le bouton "J'aime". Banal, mais combien central sur Facebook. Tout repose en grande partie sur le nombre colossal d'interprétations peu ou pas fondées. Un utilisateur qui clique sur le bouton "J'aime" à la suite du message "Jean est en Espagne" aime-t-il vraiment le fait que Jean se trouve en Espagne? Ou se contente-t-il simplement de faire signe à l'autre qu'il a bien lu son message? L'ambiguïté persiste. Néanmoins, cette dernière donne l'impression à l'internaute d'être apprécié de l'autre; elle suscite en lui un sentiment d'importance existentielle. Par conséquent, l'internaute s'efforce à augmenter son taux d'existence en publiant davantage de messages. Je publie, donc j'existe. La psychologue Emily Christophides à l'Université de Guelph, en Ontario, résume ce phénomène par l'expression "boucle qui se nourrit elle-même". Le revers de la médaille : reste-t-il une place pour la vie privée?
Vie privée ou confidentialité : qui est la victime?
Si la confidentialité est le fait de réserver une information à un petit nombre de personnes déterminées, celle-ci n'a plus sa place sur les réseaux sociaux. Chaque message s'envole dans le cosmos du réseautage social. Mais la vie privée est-elle menacée autant? La plupart du temps, les gens ne publient pas ce qu'ils sont vraiment, mais bien plus ce qu'ils veulent que les autres sachent d'eux. Et dans l'univers du virtuel, on peut aussi bien communiquer le réel que la possibilité du réel. Quand on veut inspirer de la compassion, rien ne nous empêche d'écrire "Je me sens malade". Et je trouve très drôle de voir un ami me dire en personne qu'il est en pleine forme alors que sur sa page Facebook, on peut lire, en gros caractères, "MALADE".

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