Travail et famille

Diverses affaires ont remis sur le devant de la scène des cas avérés de confusion entre public et privé. Avant d’examiner très bientôt les derniers épisodes de ce qu’il faudra bien appeler un jour l’affaire Woerth-Bettencourt, je me propose d’élargir ce sujet à l’imbrication qui existe entre travail et famille.

Si l’on considère ce qui se passait autrefois dans le domaine du travail et plus spécifiquement du travail posté, par exemple dans le Nord et dans l’Est dans les industries minière ou sidérurgique, il n’y avait guère de barrière entre le monde du travail et celui de la famille. Au Creusot, les ouvriers naissaient dans la maternité Schneider, grandissaient dans des maisons Schneider, étudiaient dans les écoles Schneider, apprenaient un métier dans les centres d’apprentissage Schneider puis rejoignaient leur père à l’aciérie. Cela leur assurait, du moins avant la fin du vingtième siècle, un emploi. Dans le même temps, cela fournissait à l’entreprise une main d’œuvre captive et décourageait l’installation en ces lieux d’industries concurrentes offrant des salaires plus attractifs mais incapables de fournir des avantages comparables. C’est ce protectionnisme qui rendit ensuite aussi douloureux le ralentissement considérable, voire la disparition de ces industries.

Si l’on examine ce qui se passe aujourd’hui dans les activités de service qui remplacent peu à peu les précédentes, et plus particulièrement avec des métiers commerciaux, on observe l’envahissement du privé par le professionnel. C’est ainsi que nombre de déplacements professionnels s’effectuent en dehors de la plage huit heures vingt heures, prennent place samedi ou dimanche, tant et si bien que certains peuvent en l’espace de trois jours dépasser les trente-cinq heures théoriques de travail hebdomadaire. L’expansion du travail nomade abolit la frontière entre famille et travail, le salarié pouvant à tout moment consulter son courrier électronique et y répondre. Le salarié consacre ainsi, et gracieusement, une part de son domicile personnel à son entreprise, laquelle peut ainsi réduire la superficie de ses propres locaux.

Le monde politique fonctionne à l’inverse. On y observe l’envahissement de la sphère professionnelle par la vie privée. Les logements de fonction de nos élus servent parfois à d’autres fins que celle de leur offrir un abri loin de leur famille. Là où les cadres voyagent en solitaire, des politiques s’avèrent incapables de se déplacer seuls. On a ainsi vu un ministre de l’Intérieur célébrer sa réconciliation avec sa femme sur les rives du Moroni puis le même, devenu Président, présenter sa mère à Sa Sainteté le Pape ou emmener un de ses fils aux Jeux Olympiques de Tokyo. On me répondra que c’est sans importance, qu’il y avait de la place dans l’avion. Non, s’il y a de place dans l’avion, c’est qu’il est surdimensionné. Je trouve pitoyable de voir la Cour des comptes analyser par le menu les 113 millions d’euros de dépenses de l’Elysée alors qu’on oublie ainsi les 176 millions consacrés à l’aménagement du Versailles volant de Sa majesté.