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Enveloppes, micro-partis et pressions : Sarkozy est-il un imposteur ?

Publié le 19 juillet 2010 par Juan
Enveloppes, micro-partis et pressions : Sarkozy est-il un imposteur ?Il a fallu attendre plusieurs mois pour découvrir, à la faveur de la certification des comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle de 2007, que Nicolas Sarkozy avait perçu plus de 9 millions d'euros de dons de personnes physiques, contre moins de 750 000 euros pour sa rival socialiste de l'époque. Eric Woerth, trésorier du parti, avait fait du bon boulot. Du très bon boulot. Trois ans plus tard, l'affaire Bettencourt a révélé certains dessous de l'affaire: des soupçons de financement illégal, des micro-partis pour contourner les plafonds légaux, et aussi de beaux conflits d'intérêts en perspective.
L'heure des comptes a-t-elle sonné ?
Trafic d'influence
Patrice de Maistre,  Fabrice Goguel, François-Marie Banier et  Carlos Vejarano sont sortis de garde à vue vendredi soir vers 21 heures. Comme le révèle le Monde dès samedi, Patrice de Maistre a confirmé qu'il avait embauché Florence Woerth après une intervention de son mari devenu ministre du Budget. La citation exacte de l'extrait de procès-verbal est la suivante :
«Je l'ai [M. Woerth] vu ensuite deux ou trois fois début 2007, dit M. de Maistre, parce qu'il m'a demandé de recevoir sa femme et ce pour essayer de la conseiller sur sa carrière alors, me disait-il, qu'elle n'était pas entièrement satisfaite.»
Cette rencontre entre M. de Maistre et Mme Woerth a débouché sur l'embauche de cette dernière, consignée dans une note datée du 31 août 2007 consignée sur le CV de Florence Woerth : «rémunération environ 200 000 euros (…) Je suis obligé d'en parler à LB vu le mari 120 000 euros.»
Dans les enregistrements pirates publiés par Mediapart, on pouvait déjà entendre cet extrait de conversation, daté du 23 avril 2010, de Patrice de Maistre à Liliane Bettencourt : «Quand je l'ai fait, son mari était ministre des finances, il m'a demandé de le faire (…). J'lai fait pour lui faire plaisir.»
On a peine à croire Eric Woerth qui a successivement déclaré qu'il ne connaissait pas Patrice de Maistre (il l'a en fait rencontré le 29 septembre 2006, les 19 ejanvier et 7 février 2007, les 12 et 20 septembre 2007, le 23 janvier 2008, le 31 janvier 2008, et le 11 février 2009), qu'il n'avait pas connaissance du contrôle fiscal de François-Marie Banier (faux, d'après le rapport de l'IGF), puis qu'il y avait «une muraille de Chine» entre ses activités et celles de son épouse. Vraiment ?
L'avocat d'Eric Woerth a réagi. Car Eric Woerth s'exprime désormais par avocat interposé: il n'y a rien de frauduleux:  «Je constate que M. de Maistre était en 2007 à la recherche d'un candidat, qu'il avait même engagé un chasseur de têtes et que Mme Woerth, ancienne de HEC alors employée dans une grande banque, avait le profil.» Reste que le couple Woerth devrait être prochainement entendu par la justice. Mais laquelle ?
Financement illégal
«Je savais que M. et Mme Bettencourt aidaient financièrement des personnes politiques. […] Il s'agissait d'argent liquide.» De telles déclarations, dans d'autres pays, font démissionner des chefs d'Etat, chanceler des gouvernements. Pas en Sarkofrance. Un juge n'est pas même désigné pour enquêter sur le sujet. Cette phrase émane de Chantal Trivel, l'ancienne secrétaire d'André Bettencourt, décédé fin 2007. Mme Trovel n'a pas cité Nicolas Sarkozy. Son ancien collègue le majordome des Bettencourt non plus, sauf une fois ou deux. Mais comment sortir du soupçon sans procéder à une enquête en bonne et due forme, c'est-à-dire par le biais d'un juge indépendant ?
Samedi, le procureur de Nanterre Philippe Courroye s'est opposé à la juge Isabelle Prévost-Desprez, en charge du procès Banier-Bettencourt: il a refusé de lui transmettre une pièce de la procédure, et pas n'importe laquelle: les retranscriptions des enregistrements pirates effectués au domicile de Liliane Bettencourt par son ancien maître, enregistrements qui ont été authentifiés par la police le 10 juillet dernier. Lundi 12 juillet, Nicolas Sarkozy commettait ce douloureux lapsus à propos de Philippe Courroye en le traitant de «juge». Le magistrat, sur ce coup, vient de montrer combien il restait assujetti au parquet qui l'an nommé.
Le weekend dernier, l'hebdomadaire Marianne se demandait à quoi bon pouvaient servir les «énormes sommes d'argent liquide» retirées entre la fin 2006 et le printemps 2007 ? Il y a 10 jours, le journal publiait les extraits des carnets de caisse de Claire T. du premier trimestre 2007. Samedi dernier, Marianne récidivait avec ceux de l'année 2006. Que constate-t-on ? Qu'André Bettencourt a fait retiré bien plus d'argent en espèces à l'approche de la campagne présidentielle.
Marianne ajoute que plusieurs témoins (les anciennes secrétaires d'André et Liliane Bettencourt, l'ancienne femme de ménage, l'ex-majordome), dont les procès-verbaux d'audition par la police n'ont «bizarrement» pas fuité dans la presse comme ceux d'Eva Ameil ou de Patrice de Maistre font état d'enveloppes en liquide distribuées à des visiteurs. On imagine évidemment mal le candidat Sarkozy se déplacer lui-même chercher son cash de campagne.
Najat Belkacem, une proche de Ségolène Royal, a osé poser la seule question qui vaille, à propos de l'élection de Nicolas Sarkozy en mai 2007:  «S'il a bénéficié d'un tel financement illégal cela veut dire qu'il a volé sa victoire le soir du 6 mai 2007
Les pressions 
La semaine dernière, Nicolas Sarkozy a envoyé la charmante Nathalie Kociusko-Morizet, sa secrétaire d'Etat à l'économie numérique, : «Mediapart n'a pas répondu aux standards de qualité qu'on est en droit d'attendre de la presse» a-t-elle déclaré sur le site du Figaro dès lundi dernier. Un peu plus tard sur RTL, elle considérait que l'affaire Woerth n'existait plus. Rien que ça. NKM est la face douce de Sarkofrance.
Il y a 10 jours, on s'étonnait des manipulations médiatiques orchestrées depuis l'Elysée. On s'étonnait à tort et à raison. A tort car il est normal que le camp sarkozyste use de tous les moyens pour contrer un flot de révélations déstabilisantes. A raison car les propos officiels furent lénifiants: le parti sarkozyen risque d'être pris les doigts dans le pot de confiture, 15 ans après la première loi clarifiant les règles du financement politique.
Nicolas Sarkozy a offert une vraie double rupture : en premier lieu, l'industrialisation de la collecte de fonds auprès de personnes privées a été une vraie réussite de la trésorerie du parti gérée par Eric Woerth. Jugez plutôt : en 2002, le candidat Jacques Chirac n'avait récolté que 4,3 millions d'euros auprès de personnes physiques. Il avait également déclaré 9 millions d'apport personnel. En 2007, Sarkozy avait déclaré plus de 11 millions d'euros d'apport personnel et 7 millions de dons de personnes physiques à sa campagne... officiellement. La même année, l'UMP avait aussi récolté 9 millions d'euros de contributions de personnes physiques. Au total, 16 millions d'euros ont donc été récoltées par l'équipe sarkozyenne pour cette année de campagne auprès de contributeurs particuliers. Belle performance !
La seconde rupture est simplement éthique: Nicolas Sarkozy et ses proches ne comprennent pas qu'il puisse y avoir un problème à renvoyer l'ascenseur à ces généreux contributeurs. On ne le remerciera jamais assez de cette clarification.
A droite, on persiste à expliquer que ces révélations n'ont qu'un objet : détourner les Français de la réforme des retraites. Vraiment ? Au gouvernement, on a surtout l'impression que la réforme des retraites est considérée comme pliée.
Depuis le 14 juillet au soir, Nicolas Sarkozy se repose, mais l'Assemblée est censée travailler. La réforme des retraites a été présentée la semaine dernière en Conseil des ministres, sans modification par rapport à la version dévoilée le 16 juin dernier. Depuis, Eric Woerth puis Nicolas Sarkozy ont tenté d'expliquer qu'ils étaient prêts à des ouvertures, sans préciser lesquelles, sur trois sujets : la pénibilité, les polypensionnés et les carrières longues. Mardi 20 juillet, les députés commenceront l'étude du texte. Le vote est pour septembre.
Mais vendredi dernier, on apprenait que l'architecte de l'ombre de cette réforme, Raymond Soubie, le conseiller social du président français, allait quitter son poste. Que doit-on comprendre de ce départ au beau milieu du gué ? Une chose, une seule. La réforme des retraites est pliée. Eric Woerth est immobilisé par son rôle de bouclier dans l'affaire du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, et l'artisan de l'ombre de la réforme des retraites s'en va.
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Crédit illustration Patrick Mignard

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