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Le sport cycliste selon Bruyneel

Publié le 20 juillet 2010 par Pierre

Le sport cycliste selon Bruyneel Dans une récente interview à l’Equipe (samedi), Johan Bruyneel nous livre ses « réflexions » sur tous les sujets touchant au cyclisme. Dedans, beaucoup de platitudes ou de faits pour le moment invérifiables (sur le dopage, sur Landis…) et puis, plus intéressant, la manière dont il entrevoit le cyclisme du futur. Là, une partie du personnage et de ses idées se découvrent et, sans surprise, c’est assez inquiétant…

Car Bruyneel a pour ambition de moderniser le cyclisme – évidemment ringard – et il a, ô surprise, pour modèle les ligues de NBA ou le circuit de Formule 1. En d’autres termes, des organisations sportives ayant des caractéristiques très précises :

- un affranchissement prononcé vis-à-vis des autorités de tutelle, et notamment des fédérations sportives, avec lesquelles ces ligues discutent d’égal à égal,

- une organisation fermée où pour rentrer, on ne regarde pas les résultats sportifs mais seulement le compte en banque puisque c’est le nombre de zéros du chèque qui vous autorise à rentrer ou non,

- la présence omniprésente de l’argent et des sponsors avec une influence qui peut même aller jusqu’à la modification des règles, pour permettre une exposition maximale de ces sponsors,

- le pouvoir confié à une sorte de commissaire général (Bernie Ecclestone pour la F1, David Stern pour la NBA), dont on ne sait s’il est élu, coopté, et pour combien de temps ? (Stern comme Ecclestone sont au pouvoir depuis au moins une vingtaine d’années !!!)

- la « professionnalisation » extrême du sport où le seul objectif est de gagner, à tout prix (et par tout moyen ?)

- et enfin, l’absence flagrante de partenaires extérieurs autres que les sponsors privés (Etat, collectivités territoriales, structures parapubliques, associatives…) ; en effet, mieux vaut rester entre soi…

Le sport cycliste selon Bruyneel
En lisant et écoutant Johan Bruyneel on sourie car il est la copie conforme de celui qui, un temps, fut son adversaire dans les voitures du peloton, à savoir le célèbre Manolo Saiz, ex manager de l’équipe Once, puis Liberty Seguros, tombé sans les honneurs pour avoir porté des sacs pleins de billets au médecin dopeur de ses coureurs, Eufemiano Fuentes , le sinistre Fuentes, monsieur poches de sang.

Bruynnel rêve que le pouvoir sportif dans le vélo soit aux mains des managers, ceux qui, dit-il et pense-t-il, font ce sport cycliste, les équipes cyclistes. Là-dessus, notons au passage qu’il mélange volontairement coureurs et managers, qui sont deux familles bien différents encore aujourd’hui. Car c’est plus commode de se présenter comme porte parole du « sportif », ça donne une bien meilleure crédibilité que représentant des seuls «  managers ».

Bref, Bruyneel, rêve d’imposer ses règles aux organisateurs de courses et, au passage probablement, d’être payé (grassement on imagine) pour faire venir « ses » coureurs. Le manager belge regarde avec gourmandise les bénéfices du Tour de France, il aimerait probablement en croquer, mais il oublie malheureusement de voir que le cyclisme ce sont aussi 90% de courses qui ne gagnent quasiment rien…

Un système fermé avec pouvoir aux managers c’est aussi l’assurance d’être tranquilles entre-soi, entre la petite vingtaine d’élus qui auraient la licence pour exercer dans cette « Ligue ». En d’autres termes, une rente de situation où le manager Bruyneel n’aurait plus à chercher un sponsor mais plutôt à choisir le meilleur sponsor parmi une liste de prétendants souhaitant se positionner dans ce juteux Barnum consciencieusement organisé par eux et pour eux.

C’est aussi une tranquillité vis-à-vis des autorités sanitaires : bien sûr des contrôles seraient diligentés mais l’intendance sera entre les mains de la « Ligue », c’est beaucoup mieux pour contrôler la manière dont les choses sont organisées, les heures des visites, leurs modalités, la communication externe au cas où…

Ce système c’est surtout un changement de pouvoir : aujourd’hui, il appartient essentiellement aux organisateurs, qui sont propriétaires de leurs courses, et aux instances sportives nationales et internationales (fédérations). Demain, avec cette Ligue, ces derniers seraient contraints de négocier à égalité avec les managers d’équipes qui ont l’ascendant sur les véritables « acteurs » de ce sport, les cyclistes (pour combien de temps encore…). C’est tellement plus aisé, là aussi pour ramasser encore du fric et, n’en doutons pas, avoir son mot à dire sur les tracés des courses.

La Ligue c’est aussi privatiser le sport de haut niveau, le préempter, sans avoir de comptes à rendre aux autres acteurs qui pourtant alimentent le sport,  les clubs, les formateurs… qui eux sont amateurs. Là aussi, avec cette ligue, les managers feraient leur marché sans pour autant « rendre » quoique ce soit, puisque volontairement affranchis du pouvoir fédéral. Belles perspectives ! Et puis une fois que le milieu associatif sera épuisé et asséché, le cyclisme « pro » de Bruyneel fera comme le capitalisme, il ira sans vergogne  chercher de la « main d’œuvre »ailleurs,  pas chère – et qui la ferme en plus ! – dans des pays de l’Est, en Asie…

En résumé, la vision de Bruyneel du sport cycliste suinte de partout le fric. Ce dernier devient la valeur référence (même si, pour ne pas choquer, le manager belge parle de « professionnalisation »). Quant au sport, à la compétition, il n’est que le support de promotion des sponsors que lui et ses acolytes choisiront.

Avec un tel système, il est tout à fait envisageable que sur le Tour de France par exemple, les arrivées aient lieu entre 19h et 20h45 (prime time), que des étapes aient lieu dans des lieux éloignés mais ouvrant de « nouveaux marchés » (Etats Unis, Chine, Russie…) – eh quoi, l’avion ça va vite et c’est tout confort non? – qu’on rajoute deux-trois cols dans les étapes de montagne histoire d’augmenter la couverture médiatique et les pages publicitaires. Et, à moyen terme, fort probablement, que l’accès au bord des routes soit payant pour les spectateurs !

Le Johan Bruyneel manager n’est déjà pas reluisant, espérons pour le sport cycliste qu’il n’en devienne pas un de ses dirigeants !


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