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Me retournant, je vous ai vues, douces naïades, assises, jambes pendantes, au bord du quai.
De vieux gréements, claquaient dans le vent (un vent à décorner les bœufs de Camargue), vous vous saviez belles dans le soleil et le tumulte de cette ville qui ne sait rien du repos.
Le bruit montait jusqu’aux rares ailes de mouettes qui plongeaient dans le bassin, sans un bruit, elles.
Nos pieds n’en pouvaient plus de courir les ruelles du Panier. Me revenaient en mémoire quelques aspect d’une histoire agitée, désormais oubliée, et comme éteinte dans ces rues aseptisées.
La montée des Accoules offrait ses marches, droit vers le ciel. Le linge qui pendait encore aux fenêtres se faisait rare. Il fut un temps de câbles tendus d’une fenêtre à l’autre et de poulies qui grinçaient entre deux apostrophes volubiles.
La Vieille Charité dressait ses murs lavés des miasmes venus des quatre continents.
Bien sûr la splendeur des voûtes étincelait dans le ciel bleu. La vie, elle, a bien dû trouver refuge ailleurs.
Voici une ville qui cultive un peu de sa mémoire, mais ici, c’est pour mieux maîtriser le présent et nettoyer ses trottoirs de ce peuple dépenaillé et sordide, prêt à se jeter dans les bras maritimes de ces hommes louches, venus d’ailleurs, chargés de toutes les histoires, et des contes fantastiques, murmurés sur des oreillers de part et d’autre de Mare Nostrum.
Il n’est plus rien désormais de cette vie trépidante qui caractérise le port.
Une fausse culture, des bouillabaisses sans marin, ni jeu de carte, se presse aux bord des bassins des Arceneaux, désormais comblés de voitures, villégiature de rêve pour les navigateurs solitaires, sans domicile fixe, qui y campent leur solitude et leur exil, entre deux manches désespérément vides.
La rue Sainte a gardé sa joyeuse exubérance.
Entre deux véhicules posés comme ils peuvent, deux roues sur le trottoir, l’aile offerte aux tôles de passage, s’ouvre le dernier lieu où l’art peut s’épancher en douce liberté.
Plus haut, les navettes sont désormais produites à l’année, en attendant que quelque chinois s’y intéresse.
Nous voici à pied d’œuvre. Les toiles brillent de leur sobre blancheur, ponctuées d’hiératiques figures d’ardoise.
L’alliance du cœur et de l’intelligence a trouvé son refuge. On se retrouve en amis. La poésie du lieu et des œuvres trouve son élan entre deux paroles poétiques.
L’amitié rend le pas du retour plus léger.
On reprend le chemin des Alpes, le cœur requinqué. Au loin, luisent les vagues et la houle dans un rayon de crépuscule.
Il nous faut reprendre la route, revenir sur nos pas qui avaient tant hésité à s’aventurer si loin.
Le marronnier frémit dans une nuit sans lune. Les yeux se sont fermés tôt autour de l’atelier silencieux.
Demain, il faudra retrouver ces lieux sans mémoire, qui s’étonnent de ne point savoir ouvrir leurs bras. Qui, parfois le font, mais sans trop savoir comment les refermer.
Une ville sans mémoire serait-elle en mesure d’accueillir l’autre ? Ou, de peur de perdre définitivement ses derniers atours, se ferme comme huître sous le couteau du gourmet.
*
La vie se tisse, bien au-delà de ce que les yeux voient.
Elle se glisse dans les ruelles, dans un murmure de fantômes.
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Manosque, 3 juin 2010
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