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Médias et insécurité : Tapis rouge pour les petits bruns

Publié le 23 juillet 2010 par Vogelsong @Vogelsong

“J’ai assumé d’être dénoncé comme laxiste, angéliste et tout ce qu’on veut…” L. Mucchielli sociologue du CNRS

Les dispositifs les mieux rodés peuvent connaître quelques violentes embardées. Au coeur de l’été, sur la radio publique P. Weil consacre une émission au “phénomène de la violence gratuite”. Marianne s’adonne aussi à l’exercice sécuritaire, B. Charles prête sa plume à l’ancien patron de l’Office central de la répression des fraudes à chaud, pour contempler les zones de non-droits de l’hexagone. Tous les éléments sont réunis pour faire un tabac. Car avec ces petites gaufrettes sécuritaires, l’auditeur ou le lecteur est toujours conquis. Petits instants médiatiques anodins subtilement glissés entre une tranche affaire d’État et un bout de fait divers qui tourne mal. Anodins, mais bien représentatifs de la façon dont le débat se noue en France. Représentatifs de l’attirance irrépressible pour l’extrême droite. Ce petit côté subversif qui donne le frisson. Ce fantasme sur la société de l’ordre, aseptisée, baignée dans le bonheur clinique du risque zéro. Parce qu’au fond, “ils” (les fascistes) posent les bonnes questions sur la sécurité et les turpitudes de la République. Et qu’il faut entonner avec eux le chant légendaire de la probité et du respect des lois. Pour combattre le péril brun, adopter sa stratégie, sa tactique, son terrain. Faire comme eux, mais différemment…

Quand la machine à balivernes s’installe et se dérègle

Médias et insécurité : Tapis rouge pour les petits brunsL’auditeur (ou le lecteur dans le cas de Marianne) a fini par trouver normal que l’on puisse dire n’importe quoi dans les médias. La force de l’habitude certainement. Quand A. Weil invite S. Roché criminologue, philosophe de l’insécurité et prix littéraire de la Police Nationale, H. Niel contrôleur général de la Police et L. Mucchielli sociologue au CNRS, il concocte un débat contradictoire insipide, balisé, dont la finalité ne fait aucun doute. Que la peur gagne les esprits et les coeurs. Pour illustrer le débat, le journaliste citera (avec une ferveur (feinte ?)) B. Hortefeux dans une conférence de presse post-mortem fustigeant les délinquants et affirmant “que notre société n’est pas une jungle”. Car le “maton” est aussi un grand humaniste, nuance qu’il est toujours bon de rappeler. Ce petit monde va s’égayer dans un débat “ambiancé” par les affaires récentes qui font les gros titres. Pain béni. Violences gratuites, impact de la télévision sur la population happy slapping, et immanquablement le démon Internet, dans un maelström relevant plutôt de l’échange de bistrot, du style “les temps sont durs ma bonne dame”. En point d’orgue un climax sémantique d’H. Niel qui s’excuse de sa petite trouvaille policière, “aujourd’hui la violence est plus violente”. Fermer le ban. Jusqu’à ce qu’un sociologue, en l’occurrence L. Mucchielli par téléphone ouvre son clapet à mauvaises nouvelles.

Quand le ressenti tient lieu de vérité

Les actes barbares décrits pour achalander le client s’inscrivent en marge de l’approche sociale des violences faites aux personnes. C’est-à-dire un phénomène spécifique ultra minoritaire. On transforme un fait divers en fait de société. Phénomènes mis bout à bout qui donnent l’impression d’une tendance lourde. Dont l’opinion se verra abreuvée. L’attrait est indéniable pour les politiciens qui depuis une vingtaine d’années se sont lancés dans une course éperdue contre l’insécurité. Qu’ils soient de droite, ce qui est normal, c’est un fond de commerce séculaire, mais aussi de gauche, comme M. Valls qui ne déçoit jamais à ce propos et proposera même “un Grenelle de l’insécurité”.

Éluder la question des violences dans la société est irresponsable. Tracer un sillon dangereux nourri de mythologie, idées reçues et sensationnalisme l’est tout autant. Car les faits et les chiffres sont têtus. Au-delà de l’amateurisme plumitif, il y a la réalité, les diagnostics et les vraies questions. Mauvais coucheur L. Mucchielli, sociologue, reviendra aux tristes réalités de l’insécurité en France. La première mauvaise nouvelle tombe, le nombre d’homicides en France en 2009 s’élève à 819. Soit moitié moins qu’en 1989. Bigre. La violence “décuplée” serinée à longueur d’antennes des jeunes barbares produirait moins de pékins calenchés. Ou bien la violence ultra violente “n’est plus ce qu’elle était ma bonne dame”.

Seconde catastrophe médiatique pour la violence dite gratuite ou sans raison, 80% des actes sur les personnes se font dans le cercle des connaissances. 30% serait dans le cercle marital, 20% en y ajoutant la famille proche, et 30% supplémentaires avec les connaissances. Quant aux viols ils sont majoritairement un phénomène familial. Bien dommage ! Le mythe de l’attentat la nuit sous un porche humide prend du plomb dans l’aile.

Troisième affliction, les jeunes de tout temps furent violents. Ni plus ni moins qu’en 2009. En écumant les tribunaux depuis 1995, on observe que les actes relevant de coups et blessures, le nombre de jours d’incapacités de travail n’a pas augmenté. Seules les poursuites pour des faits moins graves ont connu un accroissement. Résultat quelque peu contre-intuitif face à la panique (organisée) dans les médias.

Quand on adopte une stratégie de guerre perdante

Pour asseoir un raisonnement fallacieux, mieux vaut jouer sur la corde émotionnelle et les assertions intuitives. Pour lancer une course aux armements, dans une guerre que l’on ne doit pas gagner, mieux vaut dire n’importe quoi. Les bavures mortelles policières n’ont pas augmenté depuis l’instauration du pistolet à impulsions électriques ou des flash-balls. Ce qui a augmenté c’est le recours systématique à la violence. Emblématique de la philosophie des systèmes non létaux louangés comme alternatives aux armes mortelles. En réalité, elles se sont substituées au dialogue. La police a organisé le recours aux instruments violents. Un usage qui illustre la stratégie de la tension. Elle fait office de politique générale de sécurité. Une politique dont les résultats sont connus. Militairement cela équivaut à la guerre perpétuelle. Une folie Orwellienne. Alors que l’essence même de la Défense est la paix, “si tu veux la paix prépare la guerre”, b-a ba de la politique de dissuasion. Au lieu de cela on pratique le rapport de force systématisé. Et les propos des gouvernants l’attestent. N. Sarkozy le 20 juillet 2009, “je vais mener la guerre contre la criminalité”. Un petit caporal qui aborde une situation stratégique avec des outils sous-tactiques.

Face à l’homogénéisation du débat public, basé sur la rhétorique de victimisation, de vraies gens,  du terrain, et de la figure de l’ordre au service du peuple, il est nécessaire d’opposer l’analyse à la morale. En mettant en exergue l’environnement social face aux éléments statistiques et sociologiques. Les individus se démènent isolément dans une société atomisante. Lorsqu’un incident survient, ils se retrouvent plus démunis qu’auparavant. Jadis les structures communautaires, sociales réduisaient l’impact des difficultés. Souvent il ne s’agit pas de faits plus graves, mais les conséquences pratiques prennent une ampleur décuplée du fait même de la situation des victimes. Une société sous prolétarisée sera d’autant plus fragilisée. Une évidence qui a du mal à se frayer un chemin jusqu’à la raison. Les désordres juvéniles sont atemporels, ce qui pose problème c’est l’exaspération des adultes vis-à-vis d’eux. Une exaspération qui ne trouvera pas sa solution dans l’amoncellement de textes répressifs ou la mise en service d’instruments douloureux non létaux.

Il reste aussi à trouver une issue au débat ambiant, tartiné de moraline, faisant belle place aux matons de tous ordres. A qui on déroule le tapis rouge. Et sortir de la fascination pour l’ordre, qui a largement influencé la sphère intellectuelle et médiatique.

Vogelsong – Port-de-Bouc – 22 juillet 2010


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