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Les transformations du Maracanã entre deux Coupes du Monde (1950-2014), par Bernardo Buarque de Holanda

Publié le 23 juillet 2010 par Slal


Rio de Janeiro, juillet 2010

De sa construction à son remodelage :
les transformations du Maracanã entre deux Coupes du Monde (1950-2014)

Bernardo Borges Buarque de HOLLANDA

Présentation

Pourquoi ne pas présenter ici quelques considérations ponctuelles sur le stade brésilien du Maracanã, inauguré en 1950, et évoquer sa situation dans l'actualité ? Au lieu d'une description congelée du passé, l'idée présente est de rechercher le sens de sa construction à la lumière de sa réforme actuelle, qui comprend une série de changements structuraux en vue de la prochaine Coupe du Monde en 2014. A soixante ans d'intervalle, il s'agit d'analyser à ce même locus la réalisation de deux méga événements sportifs, la IVe et la XXe Coupe du Monde de football respectivement, qui a eu et aura comme siège principal le Brésil et ce stade.
Rapportée à ces deux périodes, la discussion implique divers acteurs sociaux, tels que l'État, les media et la société civile environnante. L'image du stade comme icône de la nation moderne se voit ravivée en ces deux occasions, bien qu'avec des critères hétérogènes de définition de nationalité. De ce fait, et malgré ses transformations, le football continue de susciter des questions autour de l'identité nationale brésilienne et de ses particularités.
Les polémiques autour de l'édification et du remodelage du stade permettent d'identifier aussi bien au milieu du XXe qu'au début du XXIe siècle, des ressemblances et des différences dans les discours sur les paradigmes de modernisation du pays. En analysant la feuille de route de l'État pour l'événement de 2014, plusieurs évidences sautent à l'œil, telles que : la structure routière de la ville et des alentours du stade ; la sécurité des supporters dans le stade ; et la dimension architectonique du stade avec la séparation, l'atomisation et la hiérarchisation des spectateurs à la place de la massification d'autrefois.

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La construction

Le débat autour de la construction d'une enceinte sportive dans la capitale du pays à l'époque, le Stade Municipal de Rio de Janeiro à la fin des années 1940, se produit à une période où le football brésilien a déjà dépassé les limites du dilettantisme. Après la construction du stade du Pacaembu à São Paulo dans le cours des années 1940, il incombait à l'État brésilien de créer un stade public de grande portée dans le Distrito Federal. Jusqu'à ce moment-là, seul le Clube de Regatas Vasco da Gama possédait une arène capable d'exprimer la force de la popularité du football dans la ville, le São Januário, inauguré en 1927, avec une capacité de 40.000 supporters.
La nécessité de se lancer dans cette entreprise s'est accentuée dès lors que la FIFA avait décidé que la IVe Coupe du Monde de football se tiendrait au Brésil en 1950. Les autorités comprirent l'urgence d'ériger une scène à la hauteur de l'événement qui allait se dérouler dans le pays. Le journaliste Mário Filho, grand animateur du championnat, reçut le président de la FIFA, Jules Rimet, et parcourut avec lui les rues de Rio afin de lui présenter la ville.
L'endroit choisi pour l'édification du stade a été la cible de polémiques entre les représentants parlementaires de la ville. Après moult discussions enflammées, la Mairie de Rio décida de construire le stade à un point équidistant, à un point de confluence spatiale, économique et sociale. Le terrain choisi était considéré comme stratégique pour l'image de la capitale, étant donné son emplacement dans l'intersection de la zone sud et de la zone nord de la ville, un lieu reliant les localités plus aisées aux plus pauvres.
La répercussion internationale de la Coupe du Monde exigeait un grand effort de réception aux étrangers. Le sport avait pour ainsi dire un rôle diplomatique. Dans un contexte post-totalitaire, l'État exhibait à travers lui ses vertus nationales au monde. Les limitations économiques d'une nation sud-américaine face aux pays européens encore ébranlés par la Seconde Guerre Mondiale seraient compensées par la civilité et le comportement du supporter brésilien, incité à ne pas poser de problème et à ne pas jeter d'objets sur la pelouse. Le Maracanã serait l'instrument le plus efficace pour montrer la puissance de la nation à l'échelle mondiale – d'où l'épithète monumental de « le plus grand stade du monde », construit pour un public de 200 mille personnes – près du 10% de la population de la ville à l'époque.

L'anatomie du stade

De ce point de vue le stade transcende son aspect purement sportif. Son architecture apporte une dimension formelle avec des marqueurs permettant de comprendre le rôle de l'État dans un pays périphérique – historiquement, le pouvoir public au Brésil s'est toujours interposé dans la construction des stades. Après la construction du Maracanã, une série de stades a adopté son schéma et a suivi son modèle architectonique dans les divers États de la fédération, surtout entre les années 1965 et 1975.
Le format circulaire et ascensionnel du Maracanã reflète une structure socio-spatiale qui divise le stade en divers paliers. Il s'agit de localiser dans ses dépendances les représentants des différentes couches et des diverses hiérarchies économiques de la société, de la plus haute à la plus basse. Dépouillé de toute infrastructure olympique – on a renoncé à la piste d'athlétisme initialement prévue autour de la pelouse –, le stade a été conçu en six subdivisions échelonnées comme suit : Geral (Galerie / Places debout), Arquibancada (Tribune/Gradin / Places Assises), Cadeira Comum (Siège Ordinaire / Places Assises), Cadeira Especial (Siège Spécial / Places Assises), Camarote (Loge) et Tribuna de Honra (Tribune d'Honneur).
Microcosme ou “reflet” de la société, le Maracanã devait concentrer les couches sociales, culturelles et géographiques les plus diverses de Rio de Janeiro, rassemblant les riches et les pauvres, les blancs et les noirs, la région sud et la région nord de la ville. Le stade s'imposerait donc comme un symbole majeur de la communion nationale, expression de la fameuse « démocratie raciale » brésilienne, comme le montre l'historienne Gisela de Araújo Moura dans O Rio corre para o Maracanã (1998). Dans son livre, celle-ci suit les préparatifs et aborde l'expérience de la défaite subie lors du match final contre l'Uruguay, vécue de manière tragique et dramatique par la population.


Le défi : Maracanã, 60 ans après

Au cours des six dernières décennies, le Maracanã a dû affronter quelques problèmes qui peuvent se résumer ainsi : 1) la relation entre l'administration publique et la prestation de service aux supporters ; 2) le football comme loisir populaire caractérisé par la catharsis qui doit, néanmoins, être ordonné et réprimé par la police ; 3) la fiscalisation des supporters – en particulier les groupes organisés de supporters – et la nécessité d'un comportement discipliné de la part de ceux-ci ; 4) les difficultés d'offrir des moyens de locomotion suffisants et adéquats aux habitués du stade.
Ces questions dépassent évidemment le cas du seul Maracanã, mais il est important de mettre ici en exergue la reconfiguration du stade pour la prochaine Coupe du Monde. Bien que les problèmes structuraux restent les mêmes dans leur nature – infrastructure interne et externe – le contexte différent, la progression du libéralisme privé dans le monde du football et l'affaiblissement progressif de l'État-nation dans un contemporain mondialisé, mettent le pays devant de nouveaux défis.
De ce fait, la condition pour la réalisation de la Coupe de 2014 au Brésil est passée dans un premier temps par la démolition du stade, à la manière de Wembley. D'après les autorités, la construction d'un stade d'importance moyenne, entièrement neuf et adapté aux exigences actuelles de la FIFA s'imposait. Mais la réaction de l'opinion publique a poussé le président de la Confédération Brésilienne de Football à revenir en arrière et à reformuler son propre argumentaire. Une fois approuvée la réalisation de la Coupe au Brésil sans la destruction de la structure originale du Maracanã, une immense transformation est en train de se produire à l'intérieur du stade.
Les effets de ce grand changement sont pervers, l'un d'entre eux étant l'augmentation sans cesse croissante du prix des entrées. À la limite, l'objectif de cette dernière serait d'exclure les couches inférieures de la population où se recrutent par exemple les composants des groupes organisés de supporters, perçus comme les principaux responsables des actes de violence et de désordre dans les stades.
En outre, l'introduction de sièges numérotés sur les anciens gradins en béton diminue de moitié la capacité de public, et réinscrit la place et le comportement du spectateur de football, qui en vient à être considéré comme un public de théâtre, atomisé et individualisé dans son siège. Le type idéal du supporter peut être aussi associé à d'autres publics sportifs, tel que celui du tennis, parfois plus porté à applaudir à la beauté des coups qu'enclin à se lancer dans le torrent d'émulation de la victoire, centre supposé de rixes et de dissensions. Le panorama actuel du football brésilien et de la Coupe du Monde de 2014 se situe donc au même horizon des transformations contemporaines du monde sportif, avec la conversion du supporter en consommateur potentiel.
Malgré cela, il est possible de dire que le football au Brésil tend à préserver son caractère populaire alors même que le stade tend à devenir progressivement un lieu d'élite. Grosso modo, avec la dissémination des nouveaux modèles de confort et l'imposition des nouvelles normes de sécurité, on peut avancer que ce sont les classes moyennes et supérieures qui composeront le paysage des stades, tandis que la plus grande part de la population devra se contenter d'assister aux matchs à la télévision.

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Bernardo Borges Buarque de Holanda est docteur en Histoire Sociale de la Culture par la Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro / PUC-Rio. Il est dans l'actualité professeur-chercheur du Centro de Pesquisa e Documentação de História Brasileira Contemporânea (CPDOC) de la Fundação Getúlio Vargas (FGV-RJ).
Bien que liées à l'histoire, ses recherches le portent à travailler directement avec les supporters de clubs de foot-ball. C'est ainsi qu'il a récemment étudié ceux de plusieurs clubs français, dont le PSG et les Girondins de Bordeaux.
Il est l'auteur de livres plus ou moins liés au sport :
. O clube como vontade e representação : o jornalismo esportivo e a formação das torcidas organizadas de futebol do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro, 7 Letras ; FAPERJ, 2010, 592p.
. O descobrimento do futebol : modernismo, regionalismo e paixão esportiva em José Lins do Rego. Rio de Janeiro, Editora Biblioteca Nacional, 2004, 328p.


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