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Harkis et Moghzanis : reconnaissance d’une discrimination à leur égard (CC, n° 2010-18 QPC du 23 juillet 2010, M. Lahcène AOUED)

Publié le 24 juillet 2010 par Combatsdh

Inconstitutionnalité d’un critère de nationalité et de résidence, compte tenu de l’objet de la carte du combattant

Le Conseil constitutionnel estime contraire au principe d’égalité une disposition législative qui, depuis 1974, réservait la carte du combattant aux seuls “harkis” et “moghaznis” qui soit possédaient la nationalité française à la date de la présentation de leur demande soit étaient domiciliés en France à la même date.

En l’espèce le Conseil constitutionnel avait été saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés constitutionnels de l’article L. 253 bis 3°) du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre. C’est la Cour administrative d’appel de Paris qui, le 28 mars 2010, avait transmis cette QPC. Elle est saisie en appel de la légalité d’une décision du 26 janvier 2006 du préfet de Paris, confirmée par le tribunal administratif de Paris, rejetant la demande de ce ressortissant algérien résidant en Algérie de délivrance de la carte du combattant au titre de ses services accomplis en qualité de “harki” du 1er août 1959 au 30 avril 1962. L’article L. 253 bis 3° du CPMIVG prévoit, depuis la loi n° 74-1044 du 9 décembre 1974, la délivrance de cette carte aux membres des forces supplétives françaises, s’ils ont combattu durant la guerre d’Algérie ou participé à des combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962, que s’ils possèdent “la nationalité française à la date de la présentation de leur demande ou sont domiciliés en France à la même date” (CE, 7 juin 2010, Lahcène AOUED, n° 338377).

Faisant application du principe d’égalité de l’article 6 de la DDHC, le Conseil constitutionnel se contente que les dispositions critiquées “ont pour objet d’attribuer, en témoignage de la reconnaissance de la République française” au bénéfice des membres des forces supplétives qui ont servi pendant la guerre d’Algérie ou les combats en Tunisie et au Maroc et que dès lors le législateur “ne pouvait établir, au regard de l’objet de la loi et pour cette attribution, une différence de traitement selon la nationalité ou le domicile entre les membres de forces supplétives” (cons 4).

Si, depuis 1990, l’inconstitutionnalité de la condition de nationalité est classique (voir en dernier lieu la QPC n°2010-1 du 28 mai 2010, consorts Labane: CPDH du 31 mai 2010); en revanche l’inconstitutionnalité de l’exigence de domiciliation en France est inhabituelle : de nombreux droits sociaux sont soumis à une condition de résidence et dans l’affaire Labane le Conseil avait admis la validité du critère de résidence pour la revalorisation des pensions des anciens combattants.

Les Cahiers du conseil constitutionnel justifient cette différence de jurisprudence par l’objet même de la carte du combattant qui “au-delà des prestations que celle-ci offre, est la reconnaissance de la Nation”. D’une manière très politique et même idéologique il est noté que “cette reconnaissance s’adresse à tous ceux qui ont fait partie de forces que la République française a souhaité tout particulièrement distinguer. Dans ces conditions, les critères de nationalité ou de résidence ne pouvaient être admis. Il ne s’agissait pas, comme dans l’affaire Consorts L. d’assurer des conditions de vie matérielle décentes, critère qui peut justifier des différences en fonction du lieu de résidence”. Cet argument est même repris dans une note de bas de page du commentaire: a contrario, lorsqu’il s’agit de pensions « classiques » de retraite, dans la mesure où celles-ci ont pour but d’assurer des conditions de vie matérielles en rapport avec la dignité de fonctions exercées au service de l’État, un critère de résidence est admissible (Conseil constitutionnel, décision n° 2010-1 QPC)”.

Pourtant cet argument ne convainc pas entièrement. Les anciens combattants des ex-territoires sous souveraineté ou dépendance française ont, tout autant que les Harkis et Moghzanis, fait partie des “forces de la République française”, et tout autant qu’eux fait le “sale boulot” pour elle. Jusqu’à l’article 100 de la loi de finances pour 2007, suite au film Indigènes, la retraite du combattant était soumise à la cristallisation (elle l’est toujours pour la dizaine de milliers d’anciens combattants ou d’ayants droit qui n’ont pas fait la demande expresse de revalorisation). Le Conseil d’Etat avait admis sa conventionnalité dans une décision “Gisti” de Section du 18 juillet 2006.

Mais on sait que le 13 juillet, lors du déjeuner offert aux chefs d’Etat africains invités d’honneur du 14 juillet, le Président Sarkozy a annoncé que, dès la prochaine rentrée parlementaire, un projet de loi serait présenté en vue d’aligner les pensions servies aux anciens combattants avec un taux unique, indépendant du lieu de résidence (voir site de la LDH de Toulon) alors même que la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 n’obligeait pas le législateur à abandonner les critères de résidence et les différence de pouvoir d’achat. Pour faire quelques dizaines de millions d’économie, la revalorisation des pensions aurait pu continuer à dépendre, comme depuis 2002, de la parité des pouvoirs d’achat. Mais il aurait aussi fallu indexer les pensions de retraite de Français expatriés sur le niveau de vie de leur pays de résidence, ce qui aurait été politiquemen difficile à envisager.

L’abrogation prend effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel.

On observera que cette disposition avait déjà été jugée contraire aux stipulations de l’article 14 de la CEDH combinés avec l’article 1er du premier protocole, compte tenu de l’objet de la carte, par le tribunal administratif de Paris (TA de Paris, 18 déc. 2007, n°0500249/6-2, B. Adda:  JCP A, 2008, n°2056, concl. F. Roussel. La décision a donné lieu à un appel) - décision qui est d’ailleurs mentionnée dans le dossier documentaire du Conseil constitutionnel (p.16 - qui contient aussi le nom du requérant non anonymisé en entête).

En novembre 2005, la Halde avait été saisie par le Gisti et l’association Harkis et droits de l’homme des diverses discriminations dont font l’objet les Harkis. Elle n’a, pour l’instant, donné aucune suite à cette réclamation, même depuis qu’elle est présidée par une fille d’un Harki.

Pour le reste, la jurisprudence du Conseil d’Etat est plutôt défavorable aux supplétifs. Il a ainsi admis la conformité à la CEDH de la distinction introduite par l’article 9 de la loi no 87-549 du 16 juillet 1987 donnant droit aux  rapatriés anciens membres des formations supplétives ou victimes de la captivité en Algérie à une allocation forfaitaire et à une allocation forfaitaire complémentaire mais qui n’est versée qu’aux anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie, « qui ont conservé la nationalité française en application de l’article 2 de l’ordonnance no 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, […] et qui ont fixé leur domicile en France » compte tenu de l’objet de ces allocations. Il s’agissait de « de compenser les préjudices moraux que les harkis, moghaznis et anciens membres des formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local ont subi lorsque, contraints de quitter l’Algérie après l’indépendance ils ont été victimes d’un déracinement et connu des difficultés d’insertion en France » (CE, 27 juin 2005, no 251766, Bahri).

Il a validé le même type de différence de traitement résultant de l’article 6 de la loi du 23 février 2005 et le décret n°2005-477 du 17 mai 2005. Seuls les anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie ayant conservé la nationalité française « relevant du statut civil de droit local » peuvent bénéficier de l’allocation de reconnaissance instaurée par l’article 67 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 en remplacement de l’allocation forfaitaire. Pour le Conseil d’Etat les anciens supplétifs soumis au statut civil de droit local (c’est-à-dire les populations arabo-berbères) et ceux soumis au statut civil de droit commun (c’est-à-dire les personnes d’origine métropolitaine, européenne et, depuis le décret Crémieux, de confession juive) se trouvaient « dans une situation objectivement différente » au regard de l’objet de l’allocation qui vise « à reconnaître les sacrifices consentis » par ces combattants qui se sont installés en France. (CE 30 mai 2007 n° 282553, Union nationale laïque des anciens supplétifs AJDA, 2007, p.1408, concl. Landais).
Il avait néanmoins censuré une discrimination introduite par les articles 1 à 4 du décret du 17 mai 2005 en fonction de la date d’acquisition de la nationalité française par le demandeur dès lors que l’allocation de reconnaissance vise à reconnaître et à compenser les sacrifices consentis par ces combattants ayant fait preuve d’un attachement et d’un dévouement particuliers à l’égard de la France, et ayant choisi de recouvrer la nationalité française (CE, 6 avr. 2007, n°282390 , Comité Harkis et Vérité, au tables).

Précisons que la carte du combattant a été créée par une la loi de finances de 1926, codifiée en 1951. Elle permet à son titulaire de porter la croix de combattant et de prétendre à certains avantages  (prêts, accès à des maisons de retraite…), d’obtenir le versement de la retraite du combattant (dont le montant est de l’ordre de 590 euros par an) et, enfin, de se voir attribuer à compter de soixante-quinze ans une demi-part supplémentaire de quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu.

Sur la compétence du législateur pour cette loi mémorielle, le Conseil constitutionnel avait précédemment reconnu au législateur la possibilité d’accorder la carte du combattant aux Français ayant combattu pendant la guerre civile espagnole aux côtés des républicains et de leur accorder ainsi la reconnaissance de la Nation (décision n° 96-386 DC du 30 décembre 1996, Loi de finances rectificative pour 1996, cons. 8 à 13).

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Conseil constitutionnel, décision n° 2010-18 QPC du 23 juillet 2010, M. Lahcène AOUED


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