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Lost in thalasso

Publié le 24 juillet 2010 par Doespirito @Doespirito
Des sandales en bois qui claquent sur le carrelage, des gens qui déambulent en peignoir blanc, l’air hagard. Pas de doute, on est bien au Grand Hôtel des Thermes. Dans l’air, une odeur de boue maritime, une hygrométrie à faire pousser des tomates sur le pavé, et une espèce de pesanteur qui vous donne envie de vous effondrer pour le compte dans le premier fauteuil en plastique.
Nng_imagesMon programme est chargé. A commencer par un enveloppement d’algues (c’était donc ça, l’odeur…). «Couchez-vous là, cher Monsieur» me commande une beauté des îles. C’est parti pour un enrobage en règle avec une matière chaude et qui pue la rade… Une fois oint du haut en bas, on m’enveloppe dans un film plastique, comme une tranche de cabillaud à mettre au congélo. Une espèce de blouse par là-dessus, une bâche et roulez jeunesse, c’est parti pour vingt minutes de macération onctueuse. Je savoure déjà ce plaisir régressif. J’aurais dû me méfier…
Soudain, alors que je commence à m’endormir, la porte s’ouvre violemment. Deux infirmières taillées comme des décathloniennes agrippent l’espèce de lit sur lequel je baignais, inconscient, et me sortent dans le couloir. Je voudrais bien m’échapper, mais je suis tout somnolant et en plus ficelé comme un saucisson d’âne. J’essaie de repérer où je suis : les panneaux indiquent les bains de vapeur «Brouillard marin», «Purée de pois de Cancale», «Crachin des Glénans»…. On passe devant sans s’arrêter et on rentre dans une salle marquée «Bain d’huitres». Holà, ça sent vraiment le mauvais plan.
Huitres La voix pâteuse, je proteste mollement : «Ah mais non, c’est pas la saison, juillet, c’est pas un mois en “R”… » Mais mes deux dragons ne m’écoutent pas, renversent mon brancard et me font glisser le long d’une planche en déroulant le film qui m’enserrait. Elles s’esclaffent à qui mieux mieux devant mes rouleaux involontaires, puis le plongeon final. Je ne peux pas crier : quand j’ouvre la bouche, j’avale d’un coup une bonne douzaine de mollusques, ce qui n’est pas raisonnable quand on n’a pas de pain de seigle, ni de beurre salé. Va nager dans ce magma puant… Je suis condamné à pédaler comme un forcené pour ne pas être englouti.
Un quart d’heure plus tard, je suis à bout de forces. C’est la fin, les Belons et les Gillardeau vont se venger de dizaines d’orgies réveillonnesques que j’ai infligées à leur engeance au cours de ma vie. Mais voilà qu’un grappin me sort du maelstrom et m’entraîne vers une autre salle. J’entends des cris. Et pour cause, c’est la partie «Abrasion d’étrilles». Les gens qui sortent ont le visage soulagé. Car c’est juste un enfer : des dizaines de crabes verts gros comme une pièce de deux euros me recouvrent et entament un peeling endiablé en commençant par tous les bouts. Ça chatouille et ça brûle en même temps, surtout ceux qui me rentrent dans le slibard. Je ne suis plus qu’une plaie. Les deux matonnes me cramponnent quand elles estiment que ça suffit, c’est-à-dire assez longtemps après le début de cette torture à faire sangloter Edgar Poe soi-même.
Hippocampe Et c’est reparti dans une autre salle. Je lis «Bouillon d’algues vertes bretonnes». Nooon !!!! Pas ça ! Pschiiiii, je sens que je me dissous dans la saumure peu ragoutante. Qu’est-ce que je leur ai fait, à ces deux bourreaux ? J’ai dû me garer sur leur place de parking en arrivant, je ne vois pas autrement. Plus le temps de souffler, les uns après les autres, les soins marins se succèdent et prennent un vocabulaire plus gastronomique. «Carpaccio  d’hippocampes». C’est moi le carpaccio, je suis cisaillé en fines couches par ces mini-monstres marins enragés… «Bouillabaisse des Sargasses»… Ça fait tout drôle de patauger au milieu de dizaines d’anguilles agressives…
Le panneau suivant, c’est «Noix de Saint-Jacques». Je me souviens que j'adore ça. J'en ai vaguement l'eau à la bouche. Et puis on croise le patient précédent qui repart en se tenant l’entrejambe. Il me cramponne, l’air terrorisé : «Les noix ! Devinez à qui sont les noix ! Fuyez, fuyez !». Mais les deux garde-chiourmes le saisissent par le colback et l‘entraînent vers les caves. C’est le moment ou jamais : je saute du brancard en oubliant ma fracture de la vertèbre en rémission. J’en pousse un hurlement de douleur qui me réveille... Je suis toujours sur la table avec l’enveloppe d’algues de tout à l’heure. La séance est finie, la soignante entre à ce moment. Elle me demande : «Ça s’est bien passé, monsieur ? Vous vous êtes endormi, on dirait. Bon, eh bien maintenant, vous pouvez aller au “Brouillard marin”». J’ai couru à perdre haleine sur la plage.

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