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Saint Augustin, Lettre à Proba sur la prière - 2

Publié le 26 juillet 2010 par Walterman

 

5. C’est pourquoi, au sein des ténèbres de cette vie où nous cheminons loin du Seigneur, aussi longtemps que nous avons pour guide la foi et non la vision [9], l’âme chrétienne doit s’estimer abandonnée de peur qu’elle ne cesse de prier. Elle doit apprendre à fixer le regard de la foi sur les Écritures saintes et divines « comme sur une lampe qui brille en un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du matin se lève dans nos cœurs » [10]. Car de cette lampe découle comme d’une source ineffable cette lumière qui brille dans les ténèbres sans que les ténèbres puissent la comprendre, et qui n’est vue que des cœurs purifiés par la foi. « Bienheureux, en effet, ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu » [11]. Et « nous savons que lorsqu’il se manifestera, nous lui serons semblables, car nous le verrons tel qu’il est » [12] Alors la vie véritable succédera à la mort et la vraie consolation à la désolation. Cette vie « affranchira notre âme de la mort », cette consolation « tarira les larmes de nos yeux », et parce qu’il n’y aura plus de tentation, le Psalmiste ajoute, « elle préservera nos pieds de la chute » [13]. Or s’il n’y a plus de tentation, il n’y aura plus de prière ; nous n’aurons plus à attendre de bien promis mais à contempler le bien reçu. Aussi le Psalmiste dit : « Je plairai au Seigneur dans la terre des vivants » [14] où nous serons alors et non dans le désert des morts où nous sommes à présent. « Car vous êtes morts », dit l’Apôtre, « et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ apparaîtra, lui qui est votre gloire, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui, pleins de gloire » [15].

Voilà cette vie véritable que les riches doivent chercher à saisir par leurs bonnes œuvres. Là aussi est la vraie consolation. Sans elle une veuve reste dans la désolation, même si elle a des enfants et des petits-enfants, qu’elle gouverne sa maison avec piété, et qu’elle cherche à obtenir de tous les siens qu’ils placent leur espérance en Dieu ; j’entends cette veuve qui dit cependant dans sa prière : « Mon âme a soif de toi, après toi ma chair elle-même languit en cette terre déserte, impraticable et sans eau » [16] qu’est notre vie toujours près de s’éteindre, quelles que soient les consolations passagères que nous puissions trouver, quels que soient ceux qui y marchent avec nous, quelle que soit l’abondance de biens dont nous soyons comblés. Car tu sais combien toutes ces choses sont incertaines. Et fussent-elles exemptes d’incertitude, que seraient-elles en comparaison de la félicité qui nous est promise ?

6. Je te parle ainsi puisque, veuve riche et noble, mère d’une famille nombreuse, tu m’as demandé ma pensée sur la manière de prier, et afin que malgré ceux qui te restent et t’entourent de leurs soins en cette vie, tu te considères comme abandonnée, tant que tu ne seras pas parvenue à cette vie où se trouve la consolation véritable et certaine. Là enfin s’accompliront les paroles de la prophétie : « Nous avons été rassasiés dès le matin par ta miséricorde, nous avons passé tous nos jours dans l’allégresse et la joie. Les jours où nous avons été dans l’humiliation, les années où nous avons connu le malheur, tu nous les as rendus en joie » [17].

7. Avant que cette consolation arrive, si comblée que tu puisses être de biens temporels, souviens-toi que tu es abandonnée, afin de consacrer tes jours et tes nuits à la prière. Car ce n’est pas à n’importe quelle veuve que l’Apôtre attribue cette grâce. Il dit au contraire : « Celle qui est vraiment veuve et abandonnée, celle-là a mis son espérance dans le Seigneur et persévère jour et nuit dans la prière » [18]. À ce qui suit prête aussi toute ton attention : « Celle qui vit dans le plaisir, quoique vivante est morte » [19]. Car l’homme fait sa vie de ce qu’il aime, de ce qu’il désire comme un grand bien, de ce qu’il croit pouvoir le rendre heureux. C’est pourquoi ce que l’Écriture a dit des richesses : « Si elles s’accroissent n’y attachez pas votre cœur » [20], je te le dis aussi des plaisirs. S’ils affluent, n’y attache pas ton cœur. Ne t’enorgueillis donc pas de ce qu’ils ne te manquent pas, de ce qu’ils s’offrent à toi à satiété, de ce qu’ils coulent comme d’une source abondante de bonheur terrestre. Dédaigne et méprise-les entièrement pour toi et prends-en seulement ce qui est nécessaire à la pleine conservation de la santé. À cause des nécessités de cette vie nous de devons pas en effet mépriser la santé jusqu’à ce que notre être mortel soit revêtu de l’immortalité, c’est-à-dire de cette santé vraie, parfaite et éternelle qui, ne subissant plus les atteintes de la faiblesse terrestre, n’est pas restaurée par le plaisir corruptible, mais, affermie dans sa permanence céleste, est vivifiée dans l’éternelle incorruptibilité. L’Apôtre lui-même dit : « Que la concupiscence n’entre pour rien dans les soins que vous prenez de votre chair » [21] car nous devons prendre soin de notre corps, mais uniquement pour les nécessités de la santé. « Personne en effet n’a jamais haï sa propre chair » [22], dit encore le même Apôtre. Aussi il invite Timothée qui, apparemment, châtiait trop son corps, à user d’un peu de vin à cause de son estomac et de ses fréquentes infirmités [23].

8. Si donc une veuve vit dans les plaisirs, c’est-à-dire si elle s’attache à tout ce qui charme son cœur comme pour y établir sa demeure, quoique vivante elle est morte. C’est pourquoi de nombreux saints et saintes, afin d’éviter radicalement de telles jouissances, ont abandonné leurs richesses qu’ils considéraient comme la source des plaisirs, les ont distribuées aux pauvres et les ont ainsi placées plus sûrement dans les trésors du ciel. Que si quelque devoir d’affection t’empêche d’en faire autant, tu sais quel compte tu devras rendre à Dieu. « Car personne ne sait ce qui se passe en l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui » [24]. Quant à nous, « nous ne devons porter sur personne un jugement prématuré, mais laisser venir le Seigneur ; c’est lui qui éclairera les secrets des ténèbres et rendra manifestes les desseins du cœur ; alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due » [25]. Cependant il est de ton devoir de veuve, si les plaisirs abondent autour de toi, de ne pas y attacher ton cœur, de peur que corrompu par eux il ne meure, au lieu de s’élever pour vivre. Compte-toi au nombre de ceux dont il est écrit : « Leurs cœurs vivront aux siècles des siècles » [26].

[9] Cf. 2 Co 5, 6-7.

[10] 2 P 1, 19.

[11] Mt 5, 8.

[12] 1 Jn 3, 2.

[13] Ps 114, 8.

[14] Ps 114, 9.

[15] Col 3, 3-4.

[16] Ps 62, 2.

[17] Ps 89, 15.

[18] 1 Tim 5, 5.

[19] 1 Tim 5, 6.

[20] Ps 61, 11.

[21] Ro 13, 14.

[22] Éph 5, 29.

[23] Cf. 1 Tim 5, 23.

[24] 1 Co 2, 11.

[25] 1 Co 4, 5.

[26] Ps 21, 27.


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