Première promenade : entre deux rives.
Le dimanche, il fallait que tout s’arrête. Tout et vraiment tout.
Il fallait que le monde s’arrête, sauf, parfois, les travaux dans les champs. Moissonner. Faucher. Rentrer le foin. Vendanger aussi. La pluie se moque des semaines, la pluie tombe quand elle veut. La pluie tombe en semaine et s’arrête un samedi. La pluie se fout des dimanches. Alors, le dimanche se remplissait d’hommes et de femmes qui arpentaient les champs ou les vignes et posaient leurs semelles sales sur les dimanches immaculés.
Il fallait que tout s’arrête et tout s’arrêtait vraiment. Les heures duraient des heures et le silence était posé sur la terre comme un couvercle bleu ou gris.
Depuis, les dimanches ont passé, longs, immobiles, silencieux et bruyants. Les dimanches se sont remplis du bruit des enfants, de leurs pleurs, de leurs rires. Ils se sont remplis d’heures de travail. D’heures grises. De discussions agitées, de maisons à construire, d’arbres à tailler, de pelouses que les grillons parcourent et trouent de mille trous.
Ensuite, beaucoup de choses ont disparu et les dimanches sont devenus plus calmes, sans maison, sans arbres et sans grillons. Les enfants sont revenus. Ils dorment jusqu’à midi, peut-être plus tard. Les enfants ne sont plus des enfants. Les dimanches ne sont plus les dimanches. Il reste cet espace suspendu dans le temps. Ces promenades dans l’air bleu d’une vallée verte et l’hiver, la neige durcie qui craque sous mon poids.
Il y a peu, les dimanches ont pris une couleur nouvelle. L’ombre portée d’une lumière dorée s’est accrochée à mes nuages. Le ciel s’est ouvert un peu. C’était il y a peu. Quelques semaines ou quelques mois, quelle différence ? Ce qu’il y a de changé, c’est la lumière. Le temps. Et les chemins compliqués qui me conduisent vers les dimanches à venir, les dimanches pas encore nés où j’irai regarder les nuages baignés de lumière blonde.
Je pars me promener dans le temps suspendu. Le temps à venir. Entre aujourd’hui et demain. Entre ici et le lointain.