Un palestinien a été appréhendé, avec d’autres réfugiés, par la gendarmerie maritime dans les eaux territoriales grecques alors que le bateau sur lequel il se trouvait était en train de couler. Il affirme avoir reçu à cette occasion de violents coups de pieds et de poings par un gendarme et d’avoir ensuite demandé par deux fois, mais en vain, que soit enregistrée sa demande d’asile. Il fut alors placé en détention dans le centre de rétention de Samos - critiqué comme particulièrement insalubre - sans pouvoir aller à l’hôpital, malgré ses demandes et douleurs, et fit l’objet d’une décision de renvoi. Sa demande d’asile, enfin enregistrée, fut finalement rejetée près d’un an et demi après. Entretemps, il fut libéré au terme du délai légal maximum de trois mois.
La Cour européenne des droits de l’homme, saisie des griefs de violations des articles 3 (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants) et 5 (droit à la liberté et à la sureté), condamne une nouvelle fois la Grèce au sujet des conditions d’accueil des étrangers, en particulier ceux sollicitant l’asile. Après avoir jugé recevable la requête en rejetant notamment l’argument de non-épuisement des voies de recours internes car la législation grecque ne prévoit pas de recours efficace au sujet des conditions de rétention (§ 47), les juges européens dressent un état des lieux particulièrement sinistre du centre où fut détenu le requérant. Reprenant de nombreux rapports de diverses origines, dont celui du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (§ 34-38), il est ainsi relevé par les juges que « les conditions dans le centre de détention pouvaient être qualifiées de crasseuses, déplorables et inhumaines », « l’endroit éta[n]t surpeuplé et la propreté et les conditions d’hygiène éta[n]t déplorables » (§ 58), constats qui « noirciss[ent] l’image de la Grèce sur le plan international et constituaient une violation patente des droits de l’homme » (§ 59). Ce seul descriptif général suffit à la Cour pour estimer que le séjour de « trois mois en de pareilles conditions, s’analysent en un traitement dégradant contraire à l’article 3 » (§ 61). Cette condamnation est au surplus doublée par celle constituée par le « manque de diligence des autorités » pour ce qui est d’ « apporter [au requérant] une assistance médicale appropriée » (§ 65) à son état de santé, en particulier après les coups qui auraient été portés contre lui au point de lui casser des côtes (§ 63-64).
Une seconde série de violation est identifiée sur le terrain de l’article 5. Concernant le droit au recours contre la détention (Art. 5.2), la Cour juge que les carences du droit grec n’ont toujours pas été comblées (§ 71-76 - v. Cour EDH, 1e Sect. 11 juin 2009, S.D. c. Grèce, Req. no 53541/07 - Actualités Droits-Libertés du 30 juin 2009 ; Cour EDH, 1e Sect. 26 novembre 2009, Tabesh c. Grèce, Req. n° 8256/07 - Actualités Droits-Libertés du 27 novembre 2009 et CPDH même jour) et souligne d’ailleurs, à propos de la possibilité de demander la suspension de la détention, qu’au vu des « conditions de vie et [de] l’organisation du centre de détention de Samos, l’efficacité de ce recours était purement théorique » (§ 78). Enfin, un ultime constat de violation de l’article 5 résulte de ce que « le requérant est resté en détention en dépit du fait que la procédure de renvoi se trouvait suspendue, en vertu de la loi, à partir de l’enregistrement de la demande d’asile » (§ 91).
En conséquence, « les autorités n’ont pas pris en considération la qualité de demandeur d’asile du requérant », qualité qui, selon le droit grec en vigueur, rendait son expulsion impossible jusqu’à l’examen de la demande et donc « priv[ait la détention] de fondement en droit interne » (§ 92). Faute d’être justifiée par les motifs prévus à l’article 5.1 f) (« s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours »), la privation de liberté est donc devenue irrégulière dès la demande d’asile, d’où un autre motif de condamnation de la Grèce (§ 94).
La Cour de Strasbourg condamne une nouvelle fois la Grèce pour les conditions déplorables d’enfermement des demandeurs d’asile, en raison de l’absence de recours effectif et les carences systémiques de la procédure d’asile dans ce pays. Cela n’empêche pas la France de réadmettre des milliers de demandeurs d’asile vers ce pays dans le cadre de ce règlement “Dublin II” de 2003 et au juge des référés du Conseil d’Etat de rejeter les requêtes de demandeurs d’asile faisant l’objet d’une réadmission qui n’ont aucune chance, ou presque, d’obtenir l’asile en Grèce.
A.A. c. Grèce (Cour EDH, 1e Sect., 22 juillet 2010, Req. no 12186/08)