« Make believe » comme ils disent. Faire Croire. S’agissant de télévision on pourrait dire : « entuber » et ça irait très bien avec cette chronique dans laquelle il y aura aussi des tubes, ceux des Monkees justement, quatre garçons très dans le vent du moment qui forment un groupe de Pop ressemblant à ne pas s’y méprendre plus d’une seconde à un vrai quatuor de jeune gens qui fait hurler les filles et rêver les garçons… Inutile de tourner autour du pot aux roses : ce programme est directement inspiré du film « A Hard Day’s Night » et plus largement du succès des Beatles et des groupes Pop de l’époque. Les premiers concepteurs du programme, Bob Rafelson (le fameux réalisateur) et Bert Schneider (un producteur oscarisé) ne s’en cachent pas, au contraire : ils peuvent se vanter d’avoir tout compris avant tout le monde, eux qui développaient ce concept depuis déjà quelques années.
Ce sont donc des acteurs qui jouent les quatre membres de ce groupe, qui s’appelait encore « The Monkeys » dans son épisode pilote. Ils chantent parfois pour de vrai, mais font semblant de jouer leurs instruments car même s’ils ont tous une expérience minimum de la musique, ils ne sont pas vraiment musiciens (ou pas des pros). Quelque part, c’est tant mieux à ce moment-là puisque cela force les producteurs à s’assurer le concours de vrais pros pour créer et superviser cet élément primordial du show. Car on compte bien vendre des disques du groupe et de préférence beaucoup : une maison d’édition musicale est même spécialement créée à cet effet (Colgems Records).On en reparle après une petite pause pour nous rappeler qu’en 1966 « la jeune génération a quelque chose à dire » (et ce n’est pas moi qui le dit).
Les quatre jeunes choisis pour faire les « Seenges » (je déconne hein, le titre français, c’est tout simplement les Monkees) sont Micky Dolenz qui était l’orphelin copain avec un éléphant dans la série « Circus Boy », un jeune anglais de Manchester : Davy Jones qui avait tourné avec quelques comédies musicales, Michael Nesmith qui sortait de l’armée et est venu à l’audition attiré par une annonce dans les journaux et Peter Tork, un musicien amateur qui faisait la plonge pour survivre.
Alors donc oui, la musique sans qui cette série n’aurait aucun sens. Elle est d’abord confiée au duo Tommy Boyce et Bobby Hart qui avaient récemment signés quelques tubes du hit parade et composé le thème du Soap Opera « Days of Our Lives ». Ce sont d’abord eux qui chantent car les quatre jeunes comédiens embauchés ne sont pas prêts (on leur donne des cours) comme ils sont encore incapables de jouer de leurs instruments respectifs. Cette situation sera bien sûr cachée au public qui l’apprendra après avoir investi dans quelques disques (et ne sera pas très content). Heureusement, les acteurs combleront bientôt leurs lacunes et pourront même se produire en concert. Les producteurs Don Kirshner et Snuff Garrett rejoignent le projet et, plus tard, Michael Nesmith qui est le seul des quatre Monkees à avoir une vraie expérience musicale mettra également son grain de sel.
C’est effectivement conçu comme une sitcom, mais avec pleins de procédés inspirés du cinéma (la nouvelle vague a traversé l’océan), avec des séquences clips dans chaque épisode, des scènes à demi improvisées, des angles de prises de vue plus audacieux, des inserts d’interview (un peu à la manière d’un mockumentaire) et aussi, au passage, pas mal de publicité partout et quelques bouts de chandelles bien visibles par moment. Encore une volonté de Rafelson et Schneider qui bousculent a peu près tous les schémas de production en place (malins et acharnés, ils arrivent même à influencer le public test pour obtenir un triomphe lors d’un visionnage de leur pilote). Les histoires brodent autour de la vie du groupe et de ses difficultés à s’imposer dans le showbiz avec pas mal de débordements dans le loufoque et l’absurde (ils se retrouvent au milieu d’affaires d’espionnage, utilisent les services d’une voyante, rencontrent des princesses, visitent des châteaux hantés…). C’est même souvent proche du cartoon (les Monkees ont leur propre voiture : la Monkeemobile). Le truc pour faire le Monkee dans un bal masqué, c’est de gigoter le plus frénétiquement possible en gardant les deux semelles clouées au plancher (et vous avez le choix pour les bras : guitare ou maracas).
Est-ce que ça a marché ? Plutôt, oui ! Ça a vendu des disques, hissé des « hits » en tête des « charts », fait des tournées, remporté deux récompenses et même rencontré les Beatles pour de vrai qui se sont quand même un peu moqué d’eux (John Lennon les appelait « les Marx Brothers du Rock » ou « the Monkee Men »). Mais ça ne s’est pas fait non plus sans mal. Rapidement, les Monkees ont revendiqué un peu plus que le rôle de marionnettes qu’on leur avait attribué : on leur interdisait de jouer de leurs instruments aux enregistrements, on sortait des disques sans même les prévenir, on dédaignait leur opinion sur à peu près tout… Ça se termine même en clash avec le producteur Don Kirshner (qui supervise les sessions d’enregistrement et l’édition des disques) et l’image du groupe est bien écornée par la rumeur (assez justifié) qu’il s’agit d’un « faux groupe ».
Honnêtement, si les Monkees sont un phénomène, la série télé n’est pas un chef d’œuvre. Son traitement « à la mode » n’arrive pas à cacher les énormes lacunes du programme. C’est écrit sur un coin de nappe, produit avec des bouts de chandelle, réalisé à la « vas-y comme je te pousse » et, disons-le, parfois joué avec les pieds. Mais elle est différente, elle parle aux jeunes et bénéficie d’une bonne promotion alors, après son annulation en 1968, elle continuera d’être rediffusée abondamment pendant presque dix ans. Et puis, bon, il y a quand même du beau monde qui se presse à nos oreilles. En vrac : Neil Diamond, Chip Douglas, Frank Zappa, Glen Campbell, Lowell George, Louis Shelton, The Byrds, Stephen Stills, Neil Young, Tim Buckley, Buddy Miles… Tous ont mis une main dans la pâte à un moment.
Les Monkees, après la fin de la série en 1968, tentent de poursuivre une existence sans la télévision. Un film est produit et réalisé par Rafelson : « Head » que je n’ai jamais vu, mais qui a gagné des places dans ma liste depuis que j’ai vu ce trailer :
Presque tout de suite après, ça part en sucette. Peter Tork en a marre et se tire, Michael Nesmith se fâche et s’arrache, Tommy Boyce et Bobby Hart viennent les remplacer, rien n’y fait et c’est terminé. Les Monkees passent au rayon « nostalgie » et ne jouent plus que dans des « reunions » ou des opérations « revival », ce qui leur permet de remonter la pente en donnant à la franchise une étiquette « culte » (tout à fait méritée au demeurant). On les trouve donc aujourd’hui en compilations DVD dans des boîtiers « collector » très chers qui donnent envie d’attendre qu’Arte en rediffuse quelques épisodes (obligatoires) dans son « Summer of the Sixties ».
J.B.