Elle est absente. Il ne me reste d'elle que des images. Contour précis, mais dont le pointillé apparaît au fil des jours. Images crues, souvent.
Images de corps occupés, chargés d'une tâche ardue, concentrés sur un même objectif, corps en lutte, corps en peine, corps déboussolés, en recherche du Nord désirant.
Il me reste des sons aussi. Des bruits de vêtements froissés qui tombent à terre comme des feuilles d'arbre à l'automne, des sons d'eau qui coule dans la douche en averse insolite, les craquètements du parquet lorsque le lit tangue sous nos assauts, le cliquetis de ses bracelets qu'elle n'ôte jamais, son halètement à la gamme si variée, la joie enivrante chantée si fort, au diable les voisins…
Son goût et son odeur sont plus volatiles. Quelques heures après son départ et je les perds. J'ai une écharpe à elle dérobée, je la cale sous ma tête pour m'endormir avec elle, mais elle finit par prendre mon odeur. Je la roule sans ménagement au coin de cette chambre désertée.
Le lien restant est donc électronique. Elle m'écrit beaucoup. Chaque message est une dette de plus. Elle se confie à moi, elle m'envoie des photos, troublantes répliques, fades images pourtant chéries. Des itinéraires de vacances, jamais testés, trop rêvés. Des questions techniques, pour m'obliger à l'écouter, moi qui n'entend qu'elle, à la radio sa voix, dans les vents des saisons sa voix, dans le chuintement des feuilles sa voix, dans l'appel des enfants dans la cour au loin, sa voix, partout.
Et je réponds, penché sur mon ordinateur comme devant un autel sacré qui me relierait à la source fondamentale, à l'origine du monde, de mon monde.
Elle ne me manque pas, tout me manque sauf elle, tout est loin sauf elle, tout est rare sauf elle. Je la porte en moi comme une enfant qui se serait attardée et qui aurait décidé de me laisser en gage une partie d'elle-même, simplement pour devoir y revenir.
© photo Bernard PLOSSU / http://www.plossu.com/