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Front national : jugez sur pièce ! (2)

Publié le 29 juillet 2010 par Sylvainrakotoarison

Le déballage de l’affaire Bettencourt et les exactions à la Villeneuve de Grenoble pourraient faire le jeu du Front national. C’est en substance une inquiétude non seulement de la majorité mais aussi d’une partie de l’opposition. Le vote protestataire pourrait encore favoriser le FN. Mais ses éventuels électeurs savent-ils vraiment où ils mettraient leur vote ? Deuxième partie.

yartiFN01Dans le précédent article, j’évoquais la possibilité que le Front national soit le grand gagnant du déballage de l’affaire Bettencourt, une hypothèse évidemment soutenue par l’UMP mais aussi par certains socialistes, comme Pierre Moscovici.

Le Front national fait partie de ces partis (présents aussi à l’extrême gauche) qui font de la démagogie leurs choux gras. Il est vrai que les deux principaux candidats à l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, ne s’étaient pas privés, eux non plus, de dérives populistes pour attirer un électorat généralement sceptique ou inquiet.

Mais Jean-Marie Le Pen est beaucoup plus fort dans le populisme. Pour preuve, ses grandes affiches (trois fois quatre) bleu blanc rouge pour sa précampagne présidentielle de 1988 avec comme unique slogan en substance : « Mon projet, c’est le vôtre ! » (qui peut être contre un tel slogan ?!). Les affiches ont été aussitôt retirées car on n’avait pas le droit d’utiliser les couleurs nationales pour faire de la propagande électorale.


Marine Le Pen, à l’origine du programme du FN   Le mieux pour se faire une opinion des idées du Front national, c’est de lire son programme politique. Hélas, il n’existe aucun document réactualisé et seul le programme de Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle de 2007 (il y a trois ans) semble faire foi.   Notons que la rédaction de ce programme a été managée par Marine Le Pen elle-même, comme l’indique la fin du document : « Le programme de gouvernement du candidat Jean-Marie Le Pen à la Présidence de la République a bénéficié des travaux préparatoires des commissions d’action présidentielle. Au sein de la direction stratégique de la campagne présidentielle animée par Marine Le Pen, l’ensemble des 20 commissions, sous l’impulsion de leurs responsables, a regroupé le maximum d’experts et d’acteurs significatifs de la vie socioprofessionnelle. ». Hélas, aucun nom d’expert ou d’acteur significatif n’a été cité, ce qui est aussi le cas dans les autres partis politiques.   C’est donc clair que non seulement, en étant candidate et élue du FN, Marine Le Pen défend ce programme, mais elle en a été la colonne vertébrale en tant que directrice de campagne. Le nier, ce serait faire preuve d’une assez mauvaise foi.     Un document de 72 pages !   C’est un pavé de soixante-douze pages. Inutile de dire qu’il n’a certainement pas été lu par tous les électeurs de Jean-Marie Le Pen en 2007. Il laisse entendre que c’est sérieux alors qu’en fait, le texte est un peu robotisé et les propositions souvent incohérentes ou "clichés".   L’élément qui saute au nez, c’est que le thème de l’immigration reste toujours le leitmotiv du Front national : le premier chapitre y est immédiatement consacré et les autres chapitres déclinent ce même thème à longueur de propositions. Il faut attendre le treizième chapitre (sur les vingt-cinq au total) et la trente-septième page pour arriver aux propositions économiques et sociales, normalement thème majeur des candidats à l’élection présidentielle.   Et c’est bien normal puisque entre lieux communs et incohérences, il n’y a pas place, dans ce domaine, à beaucoup d’imagination ou d’originalité.   Je parle de lieux communs et d’incohérences pour ne pas parler d’arnaques intellectuelles comme cette proposition de référendum sur « la relance économique et le retour à la croissance » (c’était rédigé avant la crise de 2008).   Je ne vais bien sûr pas tout évoquer, juste certains éléments qui m’ont "titillé".   J’ai gardé l’ordre initial des chapitres du programme, dans un premier temps, les thèmes essentiellement "sécuritaires" (et anti-immigration) et, dans un second temps, j’aborderai les thèmes économiques et financiers (qui sont les plus incohérents).     L’immigration, premier (et unique) thème   C’est assez remarquable de voir comment Jean-Marie Le Pen, pourtant élu député très tôt (à 27 ans !) sur la vague poujadiste, a "raté" une carrière politique qui aurait pu être très "correcte".   Ses idées d’extrême droite (qu’il préfère appeler "droite nationale") l’ont en effet toujours circonscrit au petit monde très divisé de l’extrême droite française, avec pour thème politique de prédilection, l’anticommunisme primaire (considérant que le gaullisme comme le giscardisme, étatiques, étaient aussi des communismes).   Dans une clairvoyance très habile, Jean-Marie Le Pen a trouvé le thème très porteur de l’immigration en début 1978 (comme le rappelle un documentaire télévisé fort intéressant diffusé le 20 février 1997). Une simple discussion autour d’une table, au cours d’un repas assez simple. Il cherchait des idées pour la campagne des élections législatives et son compagnon négationniste François Duprat (assassiné quelques semaines plus tard) lui trouva alors son premier slogan anti-immigré (sur un modèle de propagande nazie) : « 3 millions de chômeurs, 3 millions d’immigrés de trop »   Il a fallu attendre l’épisode de Dreux en septembre 1983 pour que le thème portât ses fruits.

Depuis 1983, l’immigration est le jackpot de Jean-Marie Le Pen et du Front national. On emballe donc le thème à toutes les sauces. Sauces si possible xénophobes, tout en restant correctes sur la forme pour permettre aux personnes bien sur elles d’adhérer aux idées. Cela fait presque trois décennies que la mayonnaise fonctionne.


Chapitre sur l’immigration

Du côté du constat, il y a des chiffrages dont on ne sait la provenance (notamment « le montant du déficit annuel dû à l’immigration » et une confusion volontaire entre immigration clandestine et immigration légale, ou entre étrangers et immigrés.

Dans les incohérences intellectuelles, il est dit qu’il est absolument impossible d’obtenir des statistiques ethniques (c’est en effet interdit) mais il réussit quand même à en fournir (par quel moyen ?), notamment le pourcentage de la population d’origine immigrée en milieu carcéral.

Dans la rubrique arnaque intellectuelle : « 5%, c’est le taux d’étrangers qui entrent en France avec un contrat de travail » pour en conclure aussitôt : « ce qui signifie que 95% entrent sans », ce qui est une analyse un peu simpliste, puisque beaucoup des étrangers qui entrent sur le territoire national (74,2 millions en 2009) sont avant tout de simples touristes, et il ne me viendrait pas à l’esprit de chercher un contrat de travail sur mon lieu de villégiature à l’étranger.   Dans les propositions, je lis déjà une grande incohérence puisque dans le même paragraphe, il est question de « [réserver] les aides sociales diverses et les allocations aux seuls Français » tout en augmentant les cotisations sociales pour les étrangers à prestations équivalentes d’assurance maladie et chômage. Distinguer la nationalité sur des prestations sociales est assez illogique puisque les étrangers qui travaillent en France paient, eux aussi, des cotisations sociales.   C’est selon le FN une mesure de « dissuasion », mais c’est oublier que cela n’aurait pas d’incidence réelle sur ce mirage de l’immigrant qui croirait toujours que la France, l’Europe, les États-Unis seraient leur Eldorado.   La réforme du droit de la nationalité proposé par le FN est, elle aussi, incohérente intellectuellement. D’un côté, il est proposé de « [supprimer] notamment la binationalité » et de l’autre, d’instituer une « déchéance de la nationalité » en cas de crime ou délit grave. Si l’immigré, ayant opté pour la nationalité française, voyait sa nationalité déchoir, que lui resterait-il comme nationalité ? Et c’est oublier un peu vite que la binationalité est souvent le résultat d’unions mixtes et d’origines qui peuvent être multiples. Le monde d’aujourd’hui est très complexe et il est assez facile, en regardant les arbres généalogiques, que les nationaux français ne sont tous pas d’une seule origine.   Les électeurs potentiels du FN sont-ils bien conscients de cette mesure phare (la deuxième présentée de tout le fascicule) ?     Chapitre sur la justice   Le FN propose d’interdire les syndicats dans la magistrature (principe constitutionnel qui serait donc bafoué, étonnant quand on sait que le FN a beaucoup milité dans des syndicats de… policiers).   Autre mesure phare : « Rétablir la peine de mort pour les crimes les plus graves » sans évoquer le fait qu’il faudrait pour cela une révision constitutionnelle et se défaire de nombreux traités internationaux, et sans préciser ce que sont les "crimes les plus graves", notion toute relative qui n’est qu’une ouverture vers n’importe quoi. Sans même prendre en compte des notions morales, inutile de revenir sur l’absolue inutilité sociale d’une peine de mort dont l’effet dissuasif n’existe pas (et c’est prouvé).   Dans le même chapitre, il y a une mesure assez curieuse pour ceux qui se satisferaient d’une alliance verte et brune : « Fermeture des mosquées sous la coupe d’obédiences intégristes ». Sans préciser ce qu’est une "obédience intégriste". Une mesure qui étonne encore quand on se rappelle du soutien de Jean-Marie Le Pen à Saddam Hussein par exemple.     Chapitre sur le social   Là, les mesures sont claires et cohérentes avec l’esprit poujadiste : « Harmonisation de l’ensemble des régimes d’assurance maladie et retraite pour mettre fin aux injustices et aux inégalités dans ces domaines ». C’est simple, ça veut la suppression de tous les régimes spécifiques. Tous ! Avis aux amateurs.   « Gestion directe par l’État de ces régimes nationaux » : les représentants sociaux (syndicats comme employeurs) sont exclus de fait (même si Jean-Marie Le Pen leur laisserait un « droit de regard »).   « Suppression des allocations familiales pour les non-nationaux » (il y a beaucoup de redites dans ce programme) : tant pis pour les étrangers qui paient quand même des cotisations sociales par leur travail.     Chapitre sur la famille   Le FN souhaite clairement revenir sur la loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse (« inscription dans les textes, qui fondent son existence et son développement, du caractère sacré de la vie et l’affirmation du droit de la personne à être protégée par la loi de sa conception à sa mort naturelle »). La tournure est alambiquée mais c’est tellement transparent que cette proposition cite la loi Veil.   Électeurs probables du FN, voulez-vous donc revenir sur la loi Veil ?   On n’est évidemment pas étonné de l’opposition du FN au mariage homosexuel et à l’adoption par des couples homosexuels (deux sujets pourtant bien différents mais mis dans le paragraphe sur la « défense de la structure familiale, institution irremplaçable »).     Chapitre sur les retraites   J’évacue les redondances et je souligne une mesure phare : « Le retour à 65 ans de l’âge légal de la retraite ». Donc, plus loin que ce que propose aujourd’hui le gouvernement (62 ans).   Et il y a toujours une petite note pour rappeler que le thème principal reste l’immigration avec cette mesure : « Incitation à prendre leur retraite dans leur pays d’origine pour les travailleurs étrangers ». Ce qui est assez "stupide" puisque les droits à la retraite ne dépendent pas du domicile des retraités et que ceux-ci en général consomment et ont des revenus en moyenne supérieurs à ceux des actifs.     Chapitre sur l’éducation   Arnaque ? Comment sont obtenus les « 800 millions d’euros de gain estimé » pour la mesure  suivante: « Il convient de repenser les rythmes scolaires, en supprimant notamment les "heures de vie de classe" » ?   Plus loin (sur la jeunesse), le FN veut « imposer aux professeurs un temps de présence supplémentaire au sein de leur établissement, consacré à l’aide aux devoirs pour les élèves » (comme la candidate Ségolène Royal) et est presque favorable au retour de la blouse en classe (« exiger une tenue vestimentaire sobre de la part des élèves »).     Chapitre sur l’agriculture   Incohérence politique ? Le FN compte financer une caisse de compensation de la dette paysanne avec un « "chèque" à négocier avec Bruxelles » alors que parallèlement, il veut le désengagement de la France de l’Union européenne.     Chapitre sur la diplomatie   Le FN a une philosophie isolationniste. Entre autres : « Retrait de notre participation aux juridictions pénales internationales »   Détail amusant dans le même chapitre (à propos de la francophonie) : « Pour développer [ce patrimoine culturel], nous proposons d’augmenter les effectifs des académies qui composent l’Institut de France, y compris l’Académie française »     Chapitre sur les armées   Comme dans toute idéologie parano-sécuritaire, le FN propose logiquement « d’augmenter le budget de la Défense nationale » jusqu’à 2,6% du PIB (en 2009, il s’élevait à environ 2,0%). Soit une augmentation prévue de 11 milliards d’euros.   Et se donne des arguments économiques sur les « effets positifs » de l’effort en faveur de la Défense : « des budgets militaires élevés (…) présentent (…) de nombreux avantages » puis suit une liste évoquant la puissance de l’industrie militaire (la deuxième d’Europe), diversifiée sur de nombreux secteurs (automobile, aéronautique, naval, informatique etc.), alimentant des milliers de sous-traitants et créatrice d’emploi.     Chapitre sur la culture   Finies les subventions pour des projets originaux (et souvent avant-coureurs) mais à faible audience : « Les structures subventionnées devront prouver qu’elles touchent un public important ».   Détail encore amusant quasi-machiste et assez dérisoire dans un projet présidentiel : « Il importera de revenir sur les réformes récentes [de la langue française] comme la féminisation des noms »     Dans le troisième article, j’analyserai la partie économique et financière du programme du Front national.     Aussi sur le blog.   Sylvain Rakotoarison (29 juillet 2010)     Pour aller plus loin :   Programme du Front National à télécharger. Documentaire "Le Pen dans le texte" (20 février 1997).        

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