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Extradition vers les États-Unis de personnes poursuivies pour des actes terroristes (CEDH, déc., 6 juillet 2010, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni)

Publié le 30 juillet 2010 par Combatsdh

Présomption de bonne foi réfragable du Gouvernement des Etats-unis dans le respect des droits de l'homme

Trois ressortissants britanniques et un autre homme dont la nationalité est discutée font l'objet au Royaume-Uni de procédures d'extradition vers les États-Unis, ce dernier souhaitant les poursuivre pour divers actes de terrorisme. A la suite de l'échec des recours internes dirigés contre ces procédures, les intéressés ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme en faisant valoir que les conditions de détention et de jugement ainsi que la peine risquée aux États-Unis engendreraient des violations de la Convention dont le Royaume-Uni, par ricoche t (v. notamment Cour EDH, G.C. 28 février 2008, Nassim Saadi c. Italie, Req. n° 37201/06 - ADL du même jour), serait responsable.

Au stade de sa décision sur la recevabilité, la Cour écarte de nombreux griefs mais en retient néanmoins quelques-uns, ouvrant ainsi la voie à un arrêt sur le fond. Premièrement, les juges européens estiment que les assurances diplomatiques produites par les États-Unis à destination du Royaume-Uni (§ 14) ont désamorcé plusieurs possibles violations de la Convention (en particulier des articles 3 - interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants -, 5 - droit à la liberté et à la sureté -, 6 - droit à un procès équitable). En effet, la Cour admet que l'on puisse accorder "une présomption de bonne foi au Gouvernement des États-Unis" du fait de la " longue histoire de respect de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit" de ce pays (§ 105). Certes, conformément à sa jurisprudence habituellement méfiante à l'égard des assurances diplomatiques (v. Cour EDH, Nassim Saadi c. Italie, préc.), cette présomption n'est pas jugée irréfragable, en particulier dans le contexte " post 11-septembre-2001 " (§ 106-107 et § 78). Cependant, en l'espèce, le risque de voir les États-Unis violer ses engagements est jugé trop faible pour qu'il soit considéré comme une menace de violation de la Convention. Il en est ainsi de l'engagement de ne pas affecter les intéressés dans la catégorie très contestée d'"ennemis combattants" (§ 108-109), de leur infliger la peine de mort (§ 119 - v. Cour EDH, 4e Sect., 2 mars 2010, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, Req. n° 61498/08 - ADL du 3 mars 2010) et de ne pas leur faire subir de détentions secrètes (§ 115-116 - " Extraordinary rendition " : pratique consistant à détenir secrètement des personnes dans d'autres pays, en particuliers ceux tolérant la torture, afin de procéder plus aisément à des interrogatoires hors des exigences basiques de respect des droits de l'homme - § 79-82). La juridiction strasbourgeoise prend d'ailleurs la peine de condamner vertement cette dernière pratique en indiquant qu'une"'extraodinary rendition' [...] est un anathème à l'encontre de l'État de droit et des valeurs protégées par la Convention" et que le fait pour un État partie d'extrader une personne vers un pays se livrant à de telles détentions revient à "conspirer en faveur d'une violation des droits les plus basiques garanties par la Convention" (§ 114 - " extraordinary rendition [...] is anathema to the rule of law and the values protected by the Convention. [...] To do so would be to collude in the violation of the most basic rights guaranteed by the Convention ").

Deuxièmement, s'agissant des mesures administratives spéciales susceptibles d'être ordonnées lors de la détention avant-jugement - ces mesures consistant essentiellement en un isolement (§ 85) -, la Cour se fonde sur l'expérience d'autres personnes détenues par le passé dans les mêmes conditions (§ 128) afin d'estimer que de telles mesures dureraient relativement peu de temps (§ 129) et donnerait lieu à une approche casuistique des autorités américaines (§ 130), notamment à la lueur de l'état mental des intéressés (§ 131).

Troisièmement, le risque de violation de la Convention est aussi jugé insuffisant - et les griefs afférant donc qualifiés de manifestement infondés (Art. 35) - au sujet de l'impartialité d'un jury populaire jugeant des personnes qualifiées publiquement de terroristes (§ 165-166) ou de pressions possibles quant au plaider-coupable (§ 168-169). Enfin, est également rejeté comme irrecevable le grief relatif au risque d'une violation conventionnelle engendrée par le possible usage, aux fins de jugement, de preuves procédant d'actes de torture ou de traitements inhumains. La Cour estime effectivement que l'approche américaine est comparable à la sienne à ce propos (§ 159 in fine - on remarquera que les standards du système américain - en droit commun - sont même d'ailleurs sur ce point plus protecteurs encore que ceux développés très récemment par la Cour - Cour EDH, G.C. 1 er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, Req. n o 22978/05 - ADL du 1er juin 2010).

Les juges strasbourgeois admettent toutefois la recevabilité de deux griefs. Tout d'abord, les conditions spéciales et drastiques de détention (" 'supermax' detention ") après-jugement dans la prison fédérale " ADX Florence " (§ 87-97) "posent de sérieuses questions de fait et de droit dont la résolution nécessite un examen au fond", du moins pour trois des requérants risquant effectivement une longue période de détention dans ce contexte (§ 146). Ensuite, il en est de même s'agissant du risque d'une condamnation à une peine perpétuelle (§ 153) ou à une peine équivalente du fait de l'âge des requérants (§ 154), cette situation pouvant soulever une question sur le terrain de l'article 3 (v. Cour EDH, G.C. 12 février 2008, Kafkaris c. Chypre, Req. n° 21906/04 - ADL du 13 février 2008 ; Cour EDH, 5 e Sect. Dec. 3 novembre 2009, Meixner c. Allemagne, Req. n° 26958/07 - ADL du 30 novembre 2009).

En conséquence, si la Cour a ici jugé irrecevable et donc écarté de multiples griefs, les deux derniers points retenus laissent malgré tout augurer un arrêt important sur le fond dont les effets pourront potentiellement se faire sentir outre-Atlantique.

Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni (Cour EDH, 4e Sect. Dec. 6 juillet 2010, Req. n° 24027/07, 11949/08 et 36742/08) - En anglaisActualités droits-libertés du 26 juillet 2010 par Nicolas HERVIEU

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