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Nucléaire : les révélations atomiques du rapport Roussely

Publié le 01 août 2010 par Juan
Nucléaire : les révélations atomiques du rapport RousselyMardi, le président français a livré ses propres décisions de réorganisation de la filière nucléaire française. Il se basait sur un rapport demandé à François Roussely, vice-président Europe du Crédit Suisse et président d'honneur d'EDF. Un rapport aux conclusions étonnantes, qui révèle l'ampleur des non-dits des autorités françaises sur le sujet.
Sarkozy ne tranche pas
Cette mission avait été commandée après l'échec retentissant du camp français à Abu Dhabi en décembre dernier: malgré les efforts déployés par Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, la France avait été recalée pour la construction de quatre réacteurs nucléaires de 1400mégawatts chacun, pour un montant total de 20,4 milliards de dollars (14,11milliards d'euros), au profit d'un consortium sud-coréen dirigé par le groupe d'électricité Kepco, associé à Hyundai, Samsung et au japonais Toshiba-Westinghouse. La mésentente entre Areva et EDF avait été pointée du doigt.
 Mardi, Sarkozy a tenu un «conseil de Politique Nucléaire», pour délivrer, ensuite, quelques annonces. un « accord de partenariat stratégique entre EDF et AREVA couvrant l'ensemble de leurs domaines d'activité d'intérêt commun» , une augmentation de capital d'Areva d'ici la fin de l'année (de 15%), et, sous réserve d'évaluation ultérieure, l'entrée au capital d'EDF dans Areva. La consanguinité de la filière nucléaire française se portera mieux. Sarkozy ne tranche pas. Il ne convainc pas. Il s'amuse juste, une fois de plus, à un exercice de jacobinisme industriel anachronique et partiel. Areva fabrique des centrales, EDF les exploite. A l'exportation, les deux peuvent avoir des intérêts contradictoires. Le fabricant français a perdu un actionnaire de référence l'an dernier, l'allemand Siemens, qui détenait 34% du capital. Et, comme le rappelait Gilles Bridier sur Slate.fr, «en dix ans, le poids de l'industrie française dans les exportations européennes a chuté de 25%.»
Sarkozy suit ainsi les recommandations du rapport Roussely, et cherche à accommoder les deux opérateurs. Sur le fonds, le nucléaire français va mal, et c'est bien ce qui ressort du rapport Roussely : l'EPR n'est pas compétitif, cette nouvelle technologie est hors de prix et surtout aucun EPR n'est toujours en fonctionnement. Vendredi EDF annonçait d'ailleurs que le chantier de Flamanville aurait 2 ans de retard supplémentaire, pour un surcoût de ... 1,4 milliards d'euros.
Les non-dits du rapport Roussely
L'Elysée n'a pas publié l'intégralité du rapport Roussely. C'est donc sur la base de sa synthèse que le compte-rendu qui va suivre a été établi. Certains non-dits sont étranges.
1. «EPR est parmi les meilleurs modèles de troisième génération et le produit cœur, voire
unique pour le moment, de notre industrie nucléaire. » En d'autres termes, la filière française n'a rien d'autre à proposer au marché mondial que cet engin coûteux et encore mal contrôlé. Ce constat sonne comme un désaveu des propos présidentiels: depuis 2007, Sarkozy défend avec force les réacteurs de troisième génération, comme en février 2009, lors d'un déplacement à Flamanville, où il annonça la construction d'un second EPR en France.
2. Roussely reconnaît les difficultés de l'EPR: pour partie, ce modèle pêche par sa conception initiale : «La complexité de l’EPR résultant des choix de conception, notamment du niveau de puissance, de l’enceinte, du récupérateur de corium (core catcher) et de la redondance des systèmes de sécurité est certainement un handicap pour sa réalisation et donc ses coûts
3. Le handicap est doublement sérieux : non seulement aucun EPR ne fonctionne correctement à ce jour, mais de surcroît, l'EPR n'est pas compétitif. L'auteur l'explique en ces termes sibyllins : «des modèles plus petits que l’EPR semblent plus conformes aux attentes de certains clients. Il convient donc de compléter l’offre française et de disposer de plusieurs familles de produits compétitifs sur le marché international. »
4. Au niveau mondial, il n'existe pas de règlementation commune en matière de sûreté : «Les règles de sûreté sont actuellement définies au niveau de chaque Etat, contrairement à d’autres secteurs d’activité pour lesquels l’exigence de sécurité est aussi très importante (aéronautique, par exemple). » (page 15). La «nouvelle» est incroyable. «Il y a le monde à conquérir en matière d'énergie» déclarait Sarkozy en février 2009. Depuis 2007, il s'est fait le chantre de l'exportation de notre technologie nucléaire un peu partout dans le monde, et, en particulier auprès de multiples régimes autoritaires. Une technologie dont le moindre accident peut dévaster des générations entières. Et voici qu'au détour d'un paragraphe d'un rapport jugé stratégique, on obtient la confirmation officielle qu'aucune norme de sûreté reconnue au niveau mondial n'existe. Et que propose Roussely ? «La seule logique raisonnable ne peut pas être une croissance continue des exigences de sûreté.» Surtout, pas trop de normes de sûreté ! Elles pourraient gêner les ventes ..
5. L'auteur du rapport livre même une recommandation que d'aucuns jugeront inquiétante : «En France, il convient que l’État définisse un modus vivendi équilibré avec l’Autorité de Sûreté, c’est-à-dire réaffirme le rôle régalien qu’il ne devrait pas abandonner à une autorité indépendante.» En d'autres termes, François Roussely déconseille à l'Etat de confier la vérification de la sûreté de ses installations nucléaires à un autorité indépendante. Il précise d'ailleurs son propos : «L’exercice du droit et du devoir de communication de l’ASN concerne des sujets complexes et est particulièrement délicat. Il convient d’éviter que des événements de portée très limitée conduisent à jeter une suspicion injustifiée sur l’ensemble d’une  technologie. » En langage non diplomatique, François Roussely explique ici qu'il faudrait que l'ASN soit plus discrète parce qu'elle ne semble pas mesurer la portée de ses propos... Loin de considérer que la sûreté des installations nucléaires est un prérequis indispensable au développement de la filière, l'ancien patron d'EDF ose écrire que ce sujet est une question avant tout politique: «La question du risque nucléaire acceptable, ou plus généralement du risque technologique acceptable, est un débat de société à part entière pour lequel la ou les réponses à donner sont naturellement du rôle du Politique.»
Des normes internationales de sûreté inexistantes, une filière otage d'une technologie mal sécurisée et coûteuse, des leaders nationaux qui se disputent, le sujet est atomique. Pourquoi donc Nicolas Sarkozy n'a-t-il pas commandé ce rapport plus tôt ?

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