Sarkozy, tout en self-contrôle
Vendredi, le ton du chef de Sarkofrance était posé, très posé. Sarkozy évita de se couper la parole, répétait certains arguments, se ménageait quelques silences pour appuyer sa détermination, les yeux souvent rivés sur son papier, parfois fixant le fond de la salle pour marquer un silence, ou prenant à témoin deux socialistes locaux, Michel Destot, maire de Grenoble, et André Vallini, président du conseil général de l'isère. Ce long monologue, calme, approximatif et fastidieux, contrastait avec la grossièreté de ses propos. Sarkozy mélangeait tout, citant pêle-mêle les cocktails Molotov jetés par des mineurs de 12 ans dans les cités, les petit et grand banditismes, l'immigration «incontrôlée», les multirécidivistes, les parents irresponsables de leurs gamins délinquants, et les attaques à l'arme de guerre contre les forces de l'ordre. Il ne manquait qu'une mention d'Al Qaida et Ben Laden pour que la bouillie fut complète.
Paradoxe suprême, tout au long de ces 33 minutes de paroles, Sarkozy chercha constamment à devancer les critiques, à nier qu'il instrumentalisait les sujets évoqués ou pratiquait l'amalgame. Une vraie gageure ! Il y a deux jours, nous nous posions la question suivante : quelle différence subsiste encore entre Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen sur le sujet de l'insécurité et de l'immigration ? Une seule, Sarkozy est au pouvoir.
Au fait, pourquoi est-il venu ?
Sarkozy commença par rappeler les faits. Il a raison. Les violences de Grenoble sont avant tout une affaire de banditisme.
«Grenoble vient de connaitre une flambée de violence sans précédent qui a profondément choqué nos concitoyens. Les actes qui ont été commis ici... je n'irai pas par quatre chemins, je les qualifierai d'une extrême gravité. Et ils méritent une condamnation sans réserves. (...) Les forces de l'orde ont été prises à partoe par des assaill qui se sont permis de tirer à balles réelles avec l'intention de tuer. Ce sont des tentatives de meurtres. Tout sera mis en oeuvre pour que les auteurs soient retrouvés et châtiés.» (silence, Sarkozy fixe la salle...) Et je le dis aux Français, nous les retrouverons tous...» (silence, regard fixe).
«Des policiers de la BAC - Brigade Anti-Criminalité de Grenoble - ont l'objet de menaces de mort. C'est i-n-a-c-c-e-p-t-a-b-l-e, inacceptable. Je veux les assurer de notre soutien, de ma confiance, de ma reconnaissance, et leur dire que nous n'aurons aucune complaisance, aucune faiblesse, vis-à-vis des délinquants et des criminels qui seront mis hors d'état de nuire et dont la seule place est en prison.»
Il s'avance: «vous verrez que les résultats ne vont pas tarder.» On a peine à le croire. Comme le notait Julien Dray, interrogé sur Europe1 la semaine dernière, la fusion des Renseignements généraux avec la DST pour créer la DCRI en juillet 2008 a eu des effets dévastateurs sur la qualité du renseignement de terrain.
Porte ouverte
Sarkozy enfonce une porte grande ouverte. Pas une critique n'a été publiquement émise contre l'action des forces de l'ordre. Pas une seule. Pourtant...
«L'homme qui est tombé sous le tir d'un policier venait de commettre un braquage. Non content d'avoir commis un braquage, il a ouvert le feu avec une arme automatique, une arme de guerre, contre les policiers. Les policiers ont riposté en état de légitime défense. En tant que chef de l'Etat, je veux dire que les policiers n'ont fait que leur devoir. Les policiers ont fait leur devoir.Il s'obstine: «si on ne veut pas d'ennui avec la police, on ne tire pas à l'arme de guerre sur la police, dans un pays qui est un Etat de droit comme la France.» Sans blague ? Le chef de Sarkofrance détaille ensuite la réponse judiciaire et policière : 26 gardes à vues, 5 personnes écrouées, 10 convocations devant un juge. Il lâche ensuite un curieux constat : «les violences à Grenoble sont le fruit d'une petite minorité certes, mais d'une minorité qui a voulu marquer son allégeance envers les truands.» Sarkozy cherche un prétexte, une transition facile qui reste maladroite, vers les annonces du jour, sans rapport avec le problème évoqué. Il lui faut trouver un fil directeur à sa pensée fouillie, désarçonné qu'il est par son incapacité à résoudre l'insécurité.
Et j'appelle chacun à ne pas confondre les délinquants, les victimes, et les forces de l'ordre. Les policiers ont bien agi. Il n'y a rien à leur reprocher. Il y a à les soutenir totalement.»
«C'est trop facile de dire qu'il y a d'un côté la grande délinquance, et de l'autre la petite délinquance. En l'occurrence, la petite délinquance a été instrumentalisée par la grande délinquance.»Quelles sont les preuves de ce qu'il avance ? La violence des tirs ? Des aveux des premiers interpelés ? Comment est-il parvenu en si peu de temps à la conclusion que les combats de la semaine précédente étaient le fruit de petits délinquants ordinaires ? Il livre son explication: «ces deux individus [NDA : les auteurs du braquage du casino voisin] sont venus à dessein dans ce quartier pour bénéficier de l'impunité de ce quartier.»
Le moment est venu de dévoiler les nouvelles nouvelles nouvelles annonces du moment:
«C'est donc une guerre que nous avons décidé de mener contre les trafiquants et les délinquants, comme nous l'avons fait en Seine-Saint-Denis. Nous avons décidé de nous occuper particulièrement de certains territoires qui ont besoin d'une action ciblée pour que les conditions de l'ordre républicain y soient rétablies.»Des préfets-flics
Sarkozy invoque donc l'ordre républicain. Jugez donc les annonces qui suivirent, tantôt effets de style guerrier, tantôt menaces démocratiques. Après une rapide éloge du nouveau préfet nommé en Isère, Eric Le Doiron, Sarkozy fustige le «grand débat pour savoir si un policier pouvait être préfet.» Pour justifier son choix de nommer coup sur coup deux policiers comme préfets (Isère et Seine-Saint-Denis), Sarkozy évoque leur expérience, leur connaissance, leurs «capacités humaines» et leurs «envies de travailler.» Les préfets apprécieront. Il remercie au passage le précédent préfet: «il ne faut jamais accabler les gens.» Son limogeage a suscité un certain émoi au sein du corps préfectoral.
«Face à certaines situations, il est de mon devoir de trouver la meilleure personne à la meilleure place. Par ailleurs, je vous annonce que notre volonté de dégeler... de déloger les trafiquants de leurs repères va nous amener à créer à Grenoble et dans l'Isère un GIR départemental qui pourra porter l'effort d'investigation au plus prêt des besoins du terrain. Depuis 3 jours, un inspecteur du fisc est installé dans les services de police, et nous allons nous interesser au patrimoine des délinquants à Grenoble comme dans l'Isère de façon extrêmement approfondie.»Quelle belle affaire ! On découvre qu'une milliardaire, première contribuable de France, a réussi des années durant à (1) éviter un contrôle fiscal, (2) soustraire une île aux Seychelles et deux comptes en Suisse pour quelques 80 millions d'euros. Mais en Isère, un inspecteur du fisc va traquer des trafiquants de quartier...
Les Grenelles, ça ne sert à rien
Ensuite, Nicolas Sarkozy justifie sa présence sur place, à Grenoble, combien il aime ce département mais que la situation est grave et exigeait qu'il vienne. Il critique l'idée d'un Grenelle de la Sécurité (qui s'est quand même tenu sans lui ni le gouvernement quelques jours auparavant) : «mais réfléchissez ! Si j'étais venu ici pour vous dire on a tiré à balles réelles sur des policiers et j'organise un colloque... Qui m'aurait pris au sérieux ? Ce n'est pas un problème social, ce qui s'est passé. C'est un problème de truands. Ce sont des valeurs qui sont en train de disparaître.» L'heure est donc grave.
Sarkozy se trompe. Le banditisme a toujours existé. Il ne veut simplement pas admettre qu'il a affaibli tant les forces de l'ordre que la prévention.
Des caméras plutôt que des policiers
Il évacue d'une boutade la question des moyens, alors que les syndicats de policiers se plaignent justement de leur manque d'effectifs et d'équipements vétustes. «Qui peut penser que c'est quelques ilotiers supplémentaires qui permettront d'éradiquer les trafiquants, les caïds et les trafics ?» Qui peut penser que Nicolas Sarkozy croit encore à ce qu'il dit ?
«Je souhaite d'ailleurs qu'au-delà des différences entre nous, nous nous rassemblions. La videosurveillance, la videoprotection, on en a besoin. Il n'y a pas les caméras de gauche et les caméras de droite.» Et il rappelle: «60 000 caméras seront installées d'ici 2012. Je laisserai ceux qui le veulent crier à l'atteinte à la liberté individuelle.» Sarkozy semble ignorer le fait qu'une caméra ne remplace pas un policier ni un gendarme... L'efficacité des caméras de surveillance n'est pas prouvée, bien au contraire. Et sa promesse d'équipement en 3 ans date déjà de ... 2007.
Vive la loi anti-bandes ?
Sarko replonge dans son texte : «la loi anti-bandes adoptée par le parlement en mars dernier prévoit une peine d'un an de prison pour quiconque appartient à une bande violente.» Combien de condamnations depuis mars ? Motus et bouche cousue... Il se contente de préciser : «Des procédures sont en cours.» Et il ajoute : «Nous allons également développer les polices d'agglomérations. C'est le cas, depuis l'an dernier, en région parisienne. Lille, Lyon et Marseille seront bientôt concernées» car «les délinquants ignorent les frontières administratives de nos communes, de nos départements et même de nos régions.» Une nouvelle porte ouverte, enfoncée tambour battant... A moins qu'il n'ait découvert le problème 8 ans après avoir été nommé ministre de l'intérieur...
Il ment sur son bilan
Au passage, le président doit défendre son bilan. Il s'auto-félicite : «depuis 2002, je suis en première ligne dans la lutte contre l'insécurité. Le nombre de crimes et délits a diminué de 17,54% depuis 2002. Le taux d'élucidation qui reflète l'efficacité des forces de l'ordre a augmenté d'un tiers. En 2001, les forces de police et de gendarmerie trouvaient 25% des coupables. En 2010, ils trouvent 38% des coupables. J'ai fixé au ministre un objectif de 40%.»
Sarkozy ment par omission. Son bilan, d'après les statistiques officielles, est bien moins flatteur. Les chiffres qu'il avance ont peu à voir avec le motif précis de sa visite à Grenoble : la violence aux personnes. En fait, selon l'Office National de la Délinquance, si le taux d'élucidation global était bien de 25% en 2001, la progression jusqu'à 38% masque des réalités différentes : il faut d'abord soustraire l'élucidation des faits révélés par l'action des services (par exemple, l'interpellation d'un consommateur de cannabis compte à la fois comme un fait, et comme un fait élucidé). Ensuite, les résultats de Sarkozy apparaissent du coup piteux : le taux d'élucidation des atteintes volontaires à l'intégrité physique (hors vols violents) avait progressé de 70% en juin 2001 à 75% en juin 2007. Il est depuis retombé ... à 57% en juillet 2010 ! Concernant les vols violents, il est d'une stabilité redoutable, à 14%, depuis 2001. Sur les escroqueries et infractions économiques et financières, il a stagné de 56% en juin 2001 à 57% en juin 2007, pour chuter à 53% en juillet dernier !
De nouvelles peines planchers... pour rien ?
Sarkozy avance sa première véritable annonce du jour : «Dès le 7 septembre prochain, les peines planchers, qui fonctionnent bien, mais qui ne s'appliquent qu'aux multirécidivistes - 24 000 peines planchers ont été prononcées - seront désormais étendues à toutes les formes de violences aggravées, c'est-à-dire notamment des violences sur des personnes dépositaires d'une autorité publique.»
Qualifier de succès les peines planchers sous prétexte que 24 000 ont été prononcées en 3 ans est un peu court. S'agissait-il d'encombrer les prisons ? Ou d'être dissuasif ? Ou de réduire la délinquance ?
Sarkozy ajoute sa seconde grande mesure du jour: «l'instauration d'une peine incompressible de 30 ans pour les assassins de policiers ou de gendarmes sera discuté au Parlement dès la rentrée. Et là... je veux que les choses soient claires... En tant que chef de l'Etat, mon devoir est de travailler avec tout le monde... tout le monde... Je n'ai pas à voir si Grenoble qui a choisi un maire de gauche ou un maire de droite, je dois travailler avec les élus, comme les élus doivent travailler avec le chef de l'Etat...»
Encore une fois, Sarkozy veut convaincre qu'il ne cherche pas à instrumentaliser l'insécurité à des fins électorales. On a peine à le croire. D'ailleurs, il menace ses opposants: «chacun d'entre nous sera mis en face de ses responsabilités. Sur une peine incompressible de 30 ans, je demanderai au Parlement d'en débattre, et je demanderai à chacun de faire abstraction de ses appartenances partisanes pour voter des textes non pas en fonction du ministre qui le présente mais de l'utilité de ce texte.»
La belle affaire ! Le texte a peu à voir avec Brice Hortefeux. ce dernier n'est qu'un messager, un fusible. Celui qui présente ce projet, c'est Sarkozy. Ce couplet semblait tout droit adressé à André Vallini, député socialiste et président du conseil général de l'Isère, présent dans la salle. Ce dernier, voici quelques jours, avait exprimé le souhait que gauche et droite se retrouvent sur le terrain de la lutte contre l'insécurité. Une future prise de l'ouverture sarkozyenne ?
Posture guerrière...
Il enchaîne : «Les policiers nous regardent, les gendarmes nous regardent, la population nous regarde. Les postures politiciennes, d'un côté comme de l'autre, ne sont pas à la hauteur de la situation.» C'est pourtant exactement ce que fait Sarkozy devant nos yeux. Comment comprendre sinon les raisons qui ont poussé Sarkozy ce même jour à glisser dans un discours sécuritaire à propos du banditisme vers ... l'immigration clandestine ?
Les multiréitérants...
Sarkozy évoque ensuite le bracelet électronique, dont il souhaite que le Parlement débatte également à la rentrée: «je souhaite notamment que les magistrats puissent condamner automatiquement les multirécidivistes au port du bracelet électronique pendant quelques années après l'exécution de leur peine.» Comme pour prévenir la surprise de son auditoire, il s'exclame aussitôt : «Je parle des multirécidivistes, des multiréitérants.» Multiréitérant ? Sarkozy produit comme souvent un vocabulaire multi-redondant... comme pour excuser ses propos. Et il livre quelques chiffres : «nous avons plus de 19 000 délinquants en France qui ont plus de 50 inscriptions, 50 condamnations sur nos fichiers.» On ne rappellera pas combien les fichiers de police, notamment le fameux STIC, ont été longuement critiqués, y compris par la CNIL, pour leur inexactitude...
Et à quoi bon cette mesure ? On croyait que les peines planchers, qui fonctionnent bien d'après Sarkozy, servaient justement à dissuader les délinquants les plus sérieux de récidiver... Le serpent sarkozyen se mord la queue...
Haros sur l'immigration...
Puis, sans crier gare, ni ménager une quelconque transition, Sarkozy dérape littéralement sur l'immigration. Rien, dans ses précédents propos, ne laissait prévoir un tel amalgame. Pas une révélation (par exemple sur la nationalité des délinquants ou des suspects interpelés). Rien. Sarkozy, tout seul, plonge dans le bain.
«De même, nous allons réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité français.»Le gros mot est lâché. Depuis Vichy, jamais la France n'a fait le tri dans ces citoyens, ni dans leur degré de citoyenneté. Le même Sarkozy, alors en campagne électorale en 2006, s'était exprimé contre la double peine. Un crime ou un délit commis par un Français de première génération est-il plus grave que le même crime ou délit commis par un Français de plus grande ancienneté dans la nation ? Une source anonyme au Ministère de l'identité nationale a confirmé que le nième projet de loi sur l'immigration prévu pour l'automne avait été durci en conséquence. Sarkozy s'égare, mais s'obstine.
«Je prends mes responsabilités. La nationalité française devrait pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un fonctionnaire de police ou d'un militaire de la gendarmerie, ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique. La nationalité française se mérite, et il faut pouvoir s'en montrer digne. Quand on tire sur un agent chargé des forces de l'ordre, on n'est plus digne d'être Français.»Et quand on ne paye pas son juste impôt en France ? Le débat sur l'identité nationale refait ainsi surface. Après nombre de dérapages nauséabonds des ténors de l'UMP, voici Sarkozy qui s'y colle. Personne n'égale le maître.
... et les mineurs !
Sarkozy enchaîne. Il réclame une réforme profonde du droit pénal des mineurs. Le voici qui utilise à nouveau les mêmes éléments de langage sur la délinquance des mineurs qui aurait changé et mériterait un «examen sans tabou de toutes les pistes envisageables.» Trébuchant sur son discours, il précise :
«convenons que l'ordonnance de 49 est-elle adaptée aux mineurs d'aujourd'hui de 2010? (...) Là aussi, ce n'est pas une question parttisane, c'est une question de réfléxion.» Et inutile d'invoquer la question sociale, la précarité des parents, ou l'impasse scolaire. Sarkozy prévient : «la déliquance actuelle ne provient pas d'un mal-être comme je l'entends trop souvent, elle résulte d'un mépris des valeurs fondamentales de notre société. La question de la responsabilité des parents est clairement posée. Les parents manifestement négligents pourront voir leur responsabilité engagée sur le plan pénal.»
N'est-ce pas le principe même de l'irresponsabilité pénale des mineurs ? Sarkozy rappelle la suspension des allocations familiales, votée récemment, pour les parents d'élèves absentéistes. Il s'essaye, quelques secondes, pas plus, à la compréhension : «je comprends parfaitement que telle ou telle mère de famille, notamment dans les familles monoparentales, soit dépassée. C'est si difficile d'élever des enfants. Mais je ne comprends pas qu'on ne le signale pas au chef d'établissement.»
Faudrait-il lui rappeler que la loi récemment votée ne soumet pas la sanction éventuelle d'une suspension d'allocations au signalement de l'absentéisme ?
«Il ne s'agit pas de sanctionner, il s'agit de faire réagir.»Il ne s'agit pas de résoudre, mais de faire peur. Le chef de Sarkofrance rappelle ensuite l'ouverture d'une vingtaine d'établissements dès la rentrée prochaine (donc dans quelques semaines), pour les collégiens et lycéens particulièrement turbulents...
Et surtout, pas d'amalgame
Sans rire, Sarkozy se prend à préciser : «nous devons nous poser les questions, sans tabous, sans stigmatisation, c'est vrai... sans amalgame, c'est vrai... mais sans faiblesse non plus... (...) il ne s'agit pas d'opposer ceux qui ont un coeur et ceux qui sont fermes...(...) il nous faut nous adapter à la situation, et pas décliner les uns comme les autres un catéchisme qui serait frappé par la plus grande inefficacité.»
Une habile transition vers le grand saut... Récapitulons : Sarkozy invoqua d'abord un braqueur, puis le grand banditisme, des préfets-flics, des caméras plutôt que des effectifs. Puis il glissa sur la déchéance de nationalité, puis la délinquance des mineurs, la responsabilité des parents... et, sans aucun amalgame... voici l'immigration «incontrôlée» et clandestine ...
«Enfin, il faut le reconnaître... et je me dois de le dire... Nous subissons les conséquences de 50 années d'immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l'intégration. Nous sommes si fiers de notre système d'intégration. Peut-être faut-il se réveiller pour voir ce qu'il a produit. Il a marché, il ne marche plus. Je ne me suis jamais laissé intimidé par la pensée unique.»Lisant son texte, il complète : «il est quand même invraisemblable que des jeunes gens de la deuxième voire de la troisième génération se sentent moins Français que leurs parents ou que leurs grands-parents. (...) Tous ici vous avez des exemples. pourquoi ne le dit-on. (...) Nous n'avons pas le droit à la complaisance. (...). Pour réussir l'intégration, il faut pouvoir contrôler nos flux migratoires. Avec un taux de chômage des étrangers non communautaires qui a atteint 24% en 2009.... je ne reprendrai pas la célèbre phrase de Michel Rocard dans laquelle je me retrouve...» (et il la reprend quand même) «... la France ne peut accueillir toute la misère du monde.»
Pour la posture soit parfaite, il manque un argument, le voici : «Nous allons donc évaluer les droits et les prestations auxquels ont aujourd'hui accès les étrangers en situation irrégulière.» Il s'arrête, lève le doigt, puis reprend: «Je ne parle pas des étrangers en situation régulière qui ont naturellement le droit à des prestations et ce serait un comble qu'il en soit autrement. Je parle des étrangers en situation irrégulière. Mesdames et Messieurs, mes chers compatriotes, une situation irrégulière ne peut conférer plus de droits qu'une situation régulière et légale ! Là aussi c'est pas une affaire de majorité ou d'opposition, de gauche ou de droite.»
Et les Roms ?
Le tableau est complet, ou presque. Il manquait les Roms. «Les clandestins doivent être reconduits dans leur pays. Et c'est dans cet esprit d'ailleurs, que j'ai demandé au ministre de l'intérieur de mettre fin aux implantations sauvages de campements de Roms. Ce sont des zones de non-droit qu'on ne peut pas tolérer en France. Il ne s'agit pas stimagtiser les Roms.»
Non, bien sûr. Pour quelqu'un qui dénonçait les amalgames quelques minutes auparavant, il fait fort !
La pensée unique... de Sarkozy
Sarkozy termine par quelques constats sur la politique de la Ville, désormais réduite à une peau de chagrin. Il loue l'action des associations de quartiers, mais demande une évaluation. «L'évaluation n'est pas un gros mot.» Il a raison. Mais qui évaluera le Plan Marshall pour les banlieues promis par Nicolas Sarkozy en 2007 ?
Sans rire, et sans gêne, il invoque la mixité sociale défaillante des quartiers : «Et puis par ailleurs, réfléchissons à la diversité sociale aussi. parce que si on met toujours les mêmes dans les mêmes quartiers, nous ne plaignons pas ensuite qu'ils deviennent des ghettos.» L'ancien maire de Neuilly-sur-Seine sait de quoi il parle, lui qui n'a jamais respecté le quota de 20% de logements sociaux dans son ancienne commune.
Le discours s'achève, enfin. Sarkozy conclut.
«L'Etat, ça ne peut pas être donner toujours plus et attendre toujours moins. La société ne fonctionne pas comme ça (...) Et bien les évènements de Grenoble, et leur gravité, imposent de notre part une réponse ferme mais ce peut être une opportunité de sortir de la pensée unique sur la politique de la ville, sur la politique de l'immigration, et sur la politique de sécurité.» Pompier pyromane, Sarkozy démontre au contraire, par ce discours, combien il reste enfermée dans une pensée unique vieille de trente ans, incapable d'apporter des solutions autres que des clichés répressifs qu'il n'est d'ailleurs même pas en mesure de tenir.
«La guerre que j'ai décidée de mener contre les trafiquants et les voyous est une guerre sur plusieurs années. (...). C'est une guerre nationale. Et je suis sûr que dans toutes les formations politiques il se trouve des femmes et des hommes de bonne volonté qui sont décidés à réagir et à apporter leur soutien dans cette action au gouvernement de la République.»Ce jour-là, à Grenoble, Nicolas Sarkozy a dérapé et échoué. Loin d'apporter un constat lucide sur la situation et les problèmes, il a tout amalgamé, du grand banditisme à l'échec de l'intégration, de l'immigration, légale ou pas, à la délinquance des mineurs. Il a ressorti l'une des pires bouillies idéologiques que le Front National, et d'autres, servent aux médias et l'opinion depuis l'aube des années 80.
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