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Le jour où j'ai aimé être, en réalité, un journaliste. LibéLyon

Publié le 02 août 2010 par Unpeudetao

Souvenir de journaliste (5).
Pendant un mois, des journalistes de l'agglomération lyonnaise racontent sur LibéLyon un souvenir professionnel qui les a marqués. Aujourd'hui, Laurent Burlet, journaliste à Lyon Capitale.

En octobre 2007, le foyer d’urgence pour sans-abri Cléberg était hébergé dans une ancienne église sur la colline de Fourvière. Des familles SDF que j’avais croisées au cours de précédents reportages m’avaient décrit le pire des lieux : “il y a des bagarres, des ivrognes, du sang dans les toilettes …”. Une situation telle que les parents rencontrés préféraient dormir dans la rue. J’ai voulu aller “vérifier l’info” comme on dit dans le métier.

Mais je ne voulais pas me pointer avec la casquette du journaliste et voir un lieu préparé pour ma visite. J’ai donc décidé d’appeler le 115 en me faisant passer pour un SDF. Ce faisant, je prenais la place de quelqu’un. Premier sentiment de culpabilité. Je me confortais dans mon choix en me disant qu’il ne faisait pas si froid et, surtout, que, si ce que me disaient les familles était vérifié, il fallait absolument l’écrire. Avec, toujours, le secret espoir de faire bouger les choses.

Fautes de places disponibles, j’ai mis plusieurs jours avant de pouvoir réaliser mon reportage. Un soir d’octobre, me voilà tout de même à sonner à la porte de l’église. Un veilleur de nuit m’a ouvert. Il m’a tendu des draps jetables puis m’a accompagné dans un des box où une demi-douzaine de lits de camp étaient alignés. Toute la nuit, impossible de fermer l’œil. Le lieu était sonore. Comme l’impression de dormir avec cinquante personnes dans votre chambre. Surtout j’avais peur. Deuxième sentiment de culpabilité. Je redoutais particulièrement deux personnes qui étaient entrées passablement avinées et qui s’étaient couchées de chaque côté à 30 cm de mon lit. “Si je m’endors, est-ce qu’ils ne vont pas en profiter pour me dépouiller ?” Et en même temps, je me disais que je sombrais un peu facilement dans le cliché du “SDF ivrogne qui agresse gratuitement”…
A 8 heures, j’ai pris mon petit déjeuner en compagnie des “vrais” SDF. Il y avait des familles avec enfants, des vieux clochards et des personnes qui venaient, visiblement, de tomber dans la rue. J’essayais de poser quelques questions sur le fonctionnement de l’accueil Cléberg (je me suis rappelé que j’étais journaliste).
A 10 heures, j’ai mis un terme au reportage et je suis rentré chez moi.
Certes, je n’ai vu aucune bagarre, aucune trace de sang et les clochards avinés étaient plutôt sympas avec les enfants. Mais je me suis pris en pleine gueule le quotidien banal d’un foyer d’hébergement d’urgence. Et c’est avec un immense soulagement que j’ai pris une douche chaude dans mon appartement. Pour moi, la nuit dans un centre d’hébergement n’aura été qu’un reportage. Pour ceux que j’ai côtoyés, c’était leur vie. Et pour l’avoir expérimenté, j’ai pu ressentir “dans les tripes” ce qu’elle avait de terrifiant.

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http://www.libelyon.fr/
 


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