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Portrait en noir et blanc. Mikhaïl Tal. Le magicien de Riga.

Publié le 02 août 2010 par Vinz

Dans l’Histoire des Échecs, les joueurs spectaculaires, les artistes absolus ont une place à part. A l’intérieur de ces romantiques, Mikhaïl Tal occupe une place toute particulière encore car il est le seul romantique du jeu devenu champion du monde. Je vous propose un portrait, une présentation de la carrière d’un champion hors norme.

Tal 1960

L’enfance d’un prodige pressé.

Mikhaïl Nekhemievitch Tal est né le 9 novembre 1936 à Riga, alors en Lettonie. Son père est médecin. A sa naissance, Mikhaïl eut une infirmité : il n’avait que trois doigts à sa main droite, suite à une malformation congénitale.  En 1941, sa famille est contrainte de quitter la Lettonie devenue soviétique avec l’invasion allemande.

Le jeune Mikhail se révèle un enfance précoce, doué, pour le calcul en particulier. Ses parents décidèrent de l’initier au jeu d’échecs, dont il tomba rapidement amoureux. Mais Mikhail aimait tout autant la littérature. D’ailleurs, c’est en littérature russe qu’il réalisa son mémoire, consacré au roman d’Ilf et Petrov, Douze Chaises.

Tal tomba rapidement amoureux du jeu. Il eut comme entraineur Alexandre Koblents qui chercha à canaliser son enthousiasme de joueur. En effet, Tal n’avait d’intérêt que pour les positions d’attaque, là où il pouvait attaquer le roi adverse. Les positions plates ou celles qui nécessitaient des manœuvres moins directes  l’ennuyaient. Plus d’une fois Tal perdit patience et tenta le diable dans sa jeunesse, avec plus ou moins de succès. En 1949, lors du championnat junior d’URSS qui se tient à Riga, il n’est que spectateur et suit attentivement les analyses d’un jeune champion de deux mois plus jeune que lui : Boris Spassky (né en 1937).

Au début des années 1950, Tal commença à faire parler de lui par ses combinaisons. En 1951, il se qualifie pour le championnat de Lettonie, devance Koblents en 1952 et gagne le titre en 1953, ce qui le qualifie pour le championnat d’URSS. En 1954, il devint maître après un match gagné contre Saïgin et battit Youri Averbach, le premier grand-maître qu’il vainquit, qui devint peu après champion d’URSS.

Champion d’URSS.

Ses premiers exploits étaient contrastés avec des défaites parfois gênantes mais le style chevaleresque de Tal lui permit de remporter de nombreux points. Sa capacité à voir de nombreuses variantes, très longues et en un temps limité lui donnent un avantage important sur les autres joueurs. En 1955, il franchit les deux étapes qualificatives pour le championnat d’URSS. Mal engagé en demi-finale, il finit le tournoi par une série de victoires qui lui permettent de se qualifier pour la finale qui se joue en janvier 1956.

Pour son premier championnat, Tal partage la cinquième place à un point du trio vainqueur (Taimanov-Spassky-Averbakh). Il a encore des difficultés avec les pièces noires mais sa prestation est très encourageante pour une première fois. Il se qualifie pour l’édition suivante après avoir terminé cinquième de la demi-finale. Ce 24ème championnat se dispute à Moscou et Tal commence fort en prenant la tête. Malgré deux défaites, il est le meilleur au sprint final :  à la dernière ronde, il est opposé à Alexandre Tolouch avec qui il partage la première place et l’emporte. En inscrivant 14 points en 21 parties (+9 = 10 -2), il remporte son premier championnat d’URSS alors qu’il n’a que 20 ans et deux mois. Chose étonnante et souvent caractéristique, il affiche un nombre élevé de parties gagnées et a le meilleur bilan des premiers (ainsi il a battu 3 de ses 4 poursuivants).

Tal est lancé. Le voilà reconnu comme un talent plus que prometteur dont la popularité est déjà importante en raison de sa façon de jouer, qui contraste avec le jeu des autres grands-maîtres, plus pacifiques. Tal intègre les sélections estudiantines et avec l’équipe de Riga participe à une tournée en Italie. Il doit se préparer à défendre son titre à l’hiver 1958, qui plus est à domicile, à Riga. Après avoir réussi son mémoire, Tal devient enseignant mais renonce rapidement en raison des nombreuses absences générées par les tournois. Il accepte de devenir rédacteur de la revue Sahs où il exprime ses talents de journaliste et son humour.

Est-ce le fait de jouer à domicile, de devoir défendre quelque chose, est-ce une méforme en début de tournoi qui fait que Tal est empêtré dans le peloton dans ce 25ème championnat d’URSS ? Ou bien aussi le fait que ce championnat est qualificatif pour le prochain cycle du championnat du monde ? Ou bien encore le fait d’avoir raté une combinaison de mat évidente, lui le roi de l’attaque ? Quoi qu’il en soit, Tal traine avec 50% des points à mi-parcours. Dans un contexte tellement relevé, c’est presque fini. Le championnat d’URSS est le plus fort tournoi de l’année et les joueurs sont encore plus motivés à l’idée de se qualifier pour le championnat du monde.

Qu’importe ! Tal n’a plus rien à perdre et joue sa chance à fond. Contre Averbach, il sacrifie audacieusement. Son adversaire ne trouve pas la réfutation (dont il a fallu des heures d’analyse pour la dénicher). Contre Furman, il attaque hardiment alors que son adversaire est en crise de temps : Furman est gagnant sur l’échiquier mais perd au temps. Contre Taimanov, Tal gagne une finale qui devait se terminer par la nullité… On commence à évoquer la chance, celle de l’audacieux. Celui qui comme Emmanuel Lasker se sortait de situations compromises sur l’échiquier comme par miracle. Mais la chance sourit toujours aux audacieux et Tal est co-leader avec Petrossian avant la dernière ronde. Il est opposé à Boris Spassky : une nulle suffit à Tal pour partager la première place mais Spassky et lui veulent gagner. Le Léningradois voulait éviter un match de barrage pour le billet au championnat du monde, qu’avait déjà Tal. Celui-ci propose la nulle, que Spassky refuse, et commet la faute. Spassky prend l’avantage et sa position est jugée largement avantageuse à l’interruption. 1000 personnes et même la télévision retransmettent la reprise de la partie. Spassky a toujours l’avantage mais Tal se défend. Puis les Blancs manquent le coup gagnant, s’entêtent et c’est la nulle qui s’échappe. Tal finit par l’emporter, laissant Spassky à ses larmes et à une crise de trois années. Dans le même temps, Tal conserve son titre de champion d’URSS.

Vers le championnat du monde.

Tal est donc qualifié pour l’interzonal de Portoroz en Yougoslavie. Il l’emporte avec 13,5 points sur 20 malgré une ou deux parties échevelées. L’année suivante, il dispute le tournoi des Candidats, encore en Yougoslavie. Entretemps, il laisse à Tigran Petrossian le championnat d’URSS et est sélectionné pour les Olympiades de Münich où il performe (médaille d’or comme premier remplaçant avec 12 victoires et 3 nulles). En mai 1959, il s’impose  à Zürich.

A l’été 1959, Tal se prépare au championnat d’URSS par équipes mais il est terrassé par de violentes douleurs. Il est opéré d’un rein et s’il joue avec la sélection lettone, il n’est pas capable de jouer à son niveau. Pis encore, en septembre, il doit disputer le tournoi des candidats. Étant donné son état de santé, il n’est pas favori derrière les Smyslov, Petrossian, Kérès.

Et pourtant, Tal met le feu à l’échiquier. Malgré un départ difficile, il aligne les victoires comme personne ne l’a fait dans un tournoi des candidats. Il remporte 16 victoires en 28 parties pour 8 nulles et 4 défaites. Cette course folle n’est suivie que par le génial Paul Kérès qui échoue encore une fois à la deuxième place et malgré 3 victoires contre Tal. Là encore, telle ou telle partie fait polémique : des sacrifices trop osés et mal précipités contre Kérès, deux parties désespérées contre Smyslov mais où il marque 1,5 point. Un jeu hautement risqué contre Bobby Fischer (qu’il bat 4-0 dans ce tournoi) qui n’arrive pas à trouver le gain. Restent les formidables capacités tactiques de Tal, qui calcule plus vite et plus loin que les autres, sa capacité à assumer la prise de risque maximale, qui a forcé les autres joueurs à en faire autant pour ne pas perdre le rythme, et cet optimisme en l’existence d’une sortie heureuse.

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Contre Botvinnik, le maître de la préparation et le prince du jeu de position, cela ne doit pas passer. Le champion du monde méprise le jeu de Tal qu’il assimile à un joueur de café, pour désigner le style de jeu qui manque de sérieux et de rigueur.

Les championnats du monde (1960-1961).

En guise de préparation, Tal dispute un tournoi à sa mesure à Riga. Son résultat est décevant (4ème avec 9/13) mais il a réussi quelques belles parties et il ne faut pas oublier qu’il s’agissait autant d’une préparation que d’un tournoi à vrai enjeu.

Le 15 mars 1960 débute le match contre Botvinnik. Sur le papier, le champion du monde est favori : sa connaissance, son expérience… mais les résultats de Tal sont sensationnels. Il y a trois ans, Tal était quasiment inconnu du grand public et le voilà challenger. Sa jeunesse, son enthousiasme, son absence de « respect » pour l’ordre établi, son jeu sont capables de renverser Botvinnik, qui n’aime rien de plus que ce qui n’est pas clair.

La première partie donne une réponse à la question : Tal a-t-il les armes pour battre Botvinnik ? Il s’est bien préparé, lui qui ne se dit pas spécialiste des ouvertures et le montre à Botvinnik qui doit déposer les armes au 32ème coup. Une sensation déjà. Dans la deuxième Botvinnik pousse Tal à la défense mais ce dernier tient bien en fin de partie. Dans la troisième, Tal cherche la provocation dans l’ouverture. Il veut montrer qu’il n’a pas peur ni de Botvinnik, ni du commentaire des grands maîtres, ni des préjugés. C’est pourtant de justesse qu’il s’en sort par la nulle. Les deux parties suivantes se terminent aussi par un résultat nul.

La sixième constitue un tournant . Tal sacrifie une pièce et provoque l’agitation du public de la salle Tchaïkovski de Moscou. Botvinnik ne trouve pas la bonne défense et réclame que la partie se joue dans une autre salle à cause du bruit. Finalement Tal l’emporte : 4-2. Botvinnik est ébranlé : dans la 7ème partie, il commet une faute dans une position favorable et doit s’incliner : 5-2 pour Tal.

Cependant, le vieux champion (49 ans) n’est pas encore vaincu. Il gagne la 8ème partie sans problème et réfute un sacrifice de pièce audacieux de Tal par une magnifique défense. En cherchant trop le gain, Tal a fini par perdre et son avance a fondu à un point (5-4). Le jeune challenger se trouve en difficulté. Il doit défendre avec les Noirs dans la dixième partie et joue prudemment l’ouverture dans la onzième. Cette prudence « à la Botvinnik » lui permit de prendre l’avantage, qui est concrétisé par un gain au 72ème coup (6,5-4,5). Les quatre autres parties suivantes se terminent par la nulle. Botvinnik cherche à faire son retard mais Tal tient le coup.

Après 16 parties, Tal mène 9 à 7 et le début de la 17ème (le match est prévu en 24 parties) est assez calme pour qu’on envisage une nulle sans histoire. Puis Tal se lance dans une attaque douteuse sur le plan positionnel : il affaiblit gravement sa position sans obtenir de résultats concrets. Le seul acquis, c’est que Botvinnik réfléchit énormément et manque de temps pour atteindre le contrôle au 40ème coup. La position du champion du monde est gagnante mais Tal brûle ses derniers feux… jusqu’à la gaffe de Botvinnik au 39ème coup qui renverse le résultat de la partie : de 0-1 (gain des Noirs) on est passé à 1-0 (gain des Blancs). 10-7 avec 7 parties à jouer, le match est presque plié. La 18ème partie est nulle malgré les efforts de Botvinnik. La 19ème partie est gagnée par Tal sans contestation cette fois. C’est fini. Avec 4 points de retard et 5 parties à jouer (à 12-12 le champion garde son titre), Botvinnik préfère y renoncer et accorde deux nulles rapides. Par 12,5 à 8,5 (6 victoires à 2 et 13 nulles), Tal devient à 23 ans le plus jeune champion du monde de l’Histoire jusque-là.

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Champion du monde, Tal n’entend pas changer son style de vie ou de jeu. Il continue à jouer de la même façon. A Leipzig, il occupe le premier échiquier de l’équipe d’URSS aux Olympiades. Il y subit une de ses deux défaites dans sa carrière aux Olympiades mais avec l’or par équipes, il décroche l’argent en individuel (derrière l’Autrichien Robatsch et devant Bobby Fischer). Il gagne aussi à Stockholm. Mais Botvinnik a demandé sa revanche (le champion du monde déchu a le droit d’exiger un match revanche dans l’année qui suit sa défaite) et a retrouvé la forme. Tal ne s’est pas préparé pour le match bis, pas particulièrement en tout cas. Et encore, son état de santé se dégrade peu avant le match : Tal refuse de reporter la rencontre mais pendant celle-ci la grippe le frappe.

Bobby Fischer contre Mikhaïl Tal aux Olympiades de Leipzig en 1960. La partie est courte (23 coups) mais spectaculaire et animée, se terminant par la nulle.

Bobby Fischer contre Mikhaïl Tal aux Olympiades de Leipzig en 1960. La partie est courte (21 coups) mais spectaculaire et animée, se terminant par la nulle.

De suspens, il n’y en a pas eu longtemps. Botvinnik gagne la première partie avec les Blancs et Tal égalise dans la deuxième. Le jeune champion du monde s’obstine avec une ligne qui ne lui apporte pas de succès et perd les parties 3 et 7. En gagnant la 8ème, il revient à une longueur de Botvinnik (3,5 à 4,5). Mais les trois gains du vétéran ôtent le suspens. Tal n’était pas en mesure de résister à Botvinnik qui a su brider l’imagination de Tal en lui imposant des positions qu’il déteste. Tal a forcé sa nature et n’étant ni en forme, ni en confiance, a forcé le diable. Ainsi la 20ème partie a duré 121 coups, après que Tal eut épuisé la règle qui stipule qu’après 50 coups sans prise ou sans coup de pion la position est déclarée nulle. Après sa victoire dans la 21ème partie (sa 10ème dans le match contre 5 à Tal et 6 nulles), Botvinnik reprend sa couronne sur la marque de 13 à 8, plus cinglante encore que le succès initial de Tal.

Tal contre Botvinnik lors de leur championnat du monde. Autant Tal a destabilisé un Botvinnik peu en forme en 1960, autant Botvinnik a démontré sa capacité d'adaptation, surclassant un Tal malade et en méforme l'année suivante.

Tal contre Botvinnik lors de leur championnat du monde. Autant Tal a destabilisé un Botvinnik peu en forme en 1960, autant Botvinnik a démontré sa capacité d'adaptation, surclassant un Tal malade et en méforme l'année suivante.

Ex-champion du monde.

Tal ne prit pas ombrage de cette perte. Il déclara que le titre d’ex-champion du monde était le titre le plus facile à porter. Mais à 24 ans, l’avenir est encore devant lui et il n’a pas renoncé à l’ambition. En septembre 1961, il gagne à Bled devant Bobby Fischer, malgré une défaite contre lui.

Mikhaïl Tal en 1961 aux championnats d'Europe par équipes d'Oberhausen. Une des rares photographies où on peut le voir avec son infirmité.

Mikhaïl Tal en 1961 aux championnats d'Europe par équipes d'Oberhausen. Une des rares photographies où on peut le voir avec son infirmité.

Vice-champion d’URSS derrière Kortchnoi, il est à nouveau favori pour le tournoi des candidats de Curaçao mais à nouveau il tombe malade et le rein lui est retiré. Dans la moiteur du climat des Antilles, Tal n’a aucune chance : il marque 7 points sur 21 avant de déclarer forfait pour le dernier tour.

Rétabli, il remporte l’or comme deuxième remplaçant aux Olympiades de Varna (Bulgarie). Inutile de préciser que l’URSS gagne toutes les éditions de 1952 à 1974.

L’année 1963 est plutôt bonne (victoire en Hongrie et trois deuxième place) puis Tal dispute l’Interzonal d’Amsterdam en mai 1964. Ce tournoi marathon est éprouvant pour les Soviétiques : le règlement précise qu’au maximum trois ressortissants d’un même pays peuvent se qualifier alors qu’il y a cinq partants (pour éviter les championnats du monde composés des seuls soviétiques). Tal gagne le tournoi avec Spassky, Smyslov et Larsen (17/23). Il se qualifie à nouveau pour le tournoi des candidats. Mais cette fois, ce n’est pas un round robin qui oppose les participants mais une série de matches éliminatoires sur l’année 1965. Il est opposé à Bled en quart de finale à Lajos Portisch qu’il bat 5,5 à 2,5, en gagnant une partie très spectaculaire où il sacrifie une tour. Un mois plus tard, c’est le Danois Bent Larsen qu’il défie. Le match est serré et Tal gagne la dernière partie sur un sacrifice de Cavalier. Que ce soit en partie rapide (où Tal était une vraie terreur) ou en tournoi ou en championnat du monde, Tal n’a jamais refuser de sacrifier.

En finale des candidats (Tbilissi en novembre 1965), Tal affronte Boris Spassky. Il gagne avec les Noirs la 2ème partie mais perd la suivante avec les Blancs. Il finit par s’épuiser, ses réserves physiques sont limitées. Alors que le score est de 4-4, Tal s’écroule et perd les 3 parties suivantes, ce qui le condamne (défaite 4-7 au meilleur des 12 parties).

Les années qui suivent voient des résultats un peu plus irréguliers de Mikhail Tal même s’il reste un des meilleurs joueurs du monde. Victorieux à Majorque en 1966, champion d’URSS pour la 3ème fois en 1967. Meilleur résultat au 3ème échiquier aux Olympiades de La Havane en 1966 ; durant la compétition, il se présente avec un grand pansement sur la tête. Joyeux drille, buveur et fumeur invétéré, Tal se serait battu un soir.

Tal est encore dans la course au championnat du monde en 1968. En quart de finale, il bat la légende yougoslave Svetozar Gligoric 5,5 à 3,5 en gagnant 3 des 4 dernières parties. En demi-finale, il affronte Viktor Kortchnoi et s’incline 5,5 à 4,5. En 1970, il est vice-champion du monde officieux de blitz derrière Bobby Fischer. En 1971, il gagne à Tallinn, partage la deuxième place du championnat d’URSS mais réalise une prestation moyenne au mémorial Alekhine, gagné par un gamin de 20 ans Anatoli Karpov. Durant ces années, sa santé lui a encore joué des tours (les reins encore une fois).

Des hauts et des bas.

En 1972, Tal entame une première série d’invincibilité au sein de laquelle il remporte un quatrième titre de champion d’URSS. Entre juillet 1972 et avril 1973, il est invaincu pendant 86 parties (en gagnant 47), établissant un record à ce niveau. Quelques semaines après, il rate l’interzonal de Léningrad (8ème sur 18) et manque une qualification pour le championnat du monde. Désormais Tal ne va plus devenir un candidat automatique au titre mondial mais il reprend quelques bonnes habitudes. Après une défaite contre Petrossian au championnat d’URSS 1973, il entame une nouvelle série record d’invincibilité qui tient toujours : 93 parties (dont 45 victoires). Un comble pour ce roi de l’attaque et du haut risque mais qui a su poser son style et jouer de manière plus solide. Il rafle quatre tournois et une médaille individuelle aux Olympiades de Nice durant cette période. Il gagne un quatrième titre de champion d’URSS à la fin de 1974.

Les deux années suivantes sont un peu moins prolifiques : pas de succès majeur mais des places dans les premiers. A l’Interzonal de Bienne en 1976 il est deuxième ex-aequo mais est éliminé au tournoi de barrage. Pas de championnat du monde encore une fois. Mais la popularité de Tal ne se dément pas : il multiplie les exhibitions et ses parties en simultanées sont aussi spectaculaires et riches en combinaisons que les parties classiques de tournoi.

En 1977 Tal est une cinquième fois champion d’URSS. L’année suivante, il seconde Anatoli Karpov pour le championnat du monde contre Kortchnoi (il aurait déclaré à celui-ci que s’il aurait gagné, le KGB avait envisagé de l’assassiner). Après ce match, il partage la première place au championnat d’URSS. Avec 6 titres, il égale le record de Botvinnik. Puis il remporte le tournoi « Terre des Hommes » à Montréal avec Anatoli Karpov, suivi de l’Interzonal de Tallinn. Il est en grande forme et au début de l’année 1980, il devient le troisième joueur de l’histoire à franchir la barre des 2700 points Elo (2705 précisément). Mais au classement suivant, en juin 1980, il perd 150 points, suite à de mauvais résultats. Il est éliminé en quart de finale des candidats par Lev Polugaïevski (3 défaites et 5 nulles). Les années 1981 et 1982 sont bien meilleures avec 4 victoires mais le cycle du championnat du monde se refuse à lui : à l’interzonal de Moscou, il échoue à la troisième place derrière Garri Kasparov, à un demi-point de la qualification.

Les dernières années.

Comme les années précédentes, Tal obtient des résultats relativement irréguliers. A l’approche de la cinquantaine, il n’est plus dans les tous meilleurs joueurs mais il reste encore redoutable et est considéré comme une légende. Lorsque le club de Clichy affronte le Spartak Moscou en Coupe d’Europe, sa présence est un véritable événement. Et la victoire du jeune Olivier Renet contre lui un exploit célébré dans un monde des échecs français en quête d’existence alors.

Tal se qualifie pour le tournoi des candidats de Montpellier en 1985. Il joue remarquablement et termine quatrième à égalité avec le Hollandais Jan Timman. Les deux joueurs doivent se départager pour la dernière place qualificative pour les demi-finales. Les deux joueurs font match nul 3-3 mais le règlement profite à Timman, qui avait un meilleur coefficient de départage. Tal n’a pas cessé de faire le spectacle pour l’emporter.

En 1987, il assiste comme journaliste au tournoi SWIFT de Bruxelles mais il devient participant pour suppléer l’absence d’un joueur. Sans préparation, dans un tournoi où Kasparov et Karpov se retrouvent pour une première fois en tournoi depuis 1981, Tal marque 6 points sur 11. Mais un peu plus tard, il rate la qualification à l’interzonal de Subotica en perdant contre un joueur indien inconnu. L’année suivante, il participe à la Coupe du Monde GMA. Ses prestations globales sont médiocres : l’élite est plus forte en dépit d’une bonne troisième place à Reykjavik.Néanmoins, en jeu rapide, Tal reste toujours redoutable car il remporte à St John au Canada le championnat du monde de blitz, au nez et à la barbe de Kasparov et Karpov, excusez du peu.

Tal au tournoi SWIFT à Bruxelles en 1987. Le champion est marqué par la fatigue et la maladie mais l'oeil est toujours vif. Sans préparation pour ce tournoi, Tal termine 6ème avec 6/11.

Tal au tournoi SWIFT à Bruxelles en 1987. Le champion est marqué par la fatigue et la maladie mais l'oeil est toujours vif. Sans préparation pour ce tournoi, Tal termine 6ème avec 6/11.

La maladie lui fait manquer le plus fort championnat d’URSS depuis 30 ans, gagné par les deux K. En 1989, Tal est à Marseille et termine 4ème à un demi-point des trois premiers.

Sa santé est de plus en plus fragile mais Tal continue à jouer. En 1991, il gagne son dernier tournoi à Buenos Aires. Il dispute le dernier championnat d’URSS de l’histoire en novembre. Au début de 1992, il est en tournée en Espagne. Au mois de juin, il dispute un tournoi de blitz à Moscou avec Kasparov qu’il bat dans une partie. Quelques jours plus tard, Tal est hospitalisé. Son corps a cessé de souffrir : le 28 juin 1992, il s’éteint à l’âge de 55 ans des suites d’une insuffisance rénale.

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L’héritage.

S’il n’est resté qu’une année champion du monde, Tal reste un joueur à part dans l’histoire des échecs. Il est arrivé à une époque où les grands-maîtres tendaient à se neutraliser et à manquer d’agressivité entre eux. Sans aucun préjugé, Tal a introduit cette envie de gagner et l’a impulsé aux autres, comme l’expliqua plus tard Gligoric. D’une certaine façon, il a renouvelé l’esprit de victoire, l’envie de gagner des grands-maîtres, ce qui a engendré des parties plus spectaculaires, avec plus d’erreurs certes mais avec plus de passion.

L’image de Tal est celle d’un joueur ultra-agressif et intuitif. Comme il l’a dit un jour, il y a deux types de sacrifices : les corrects et les siens. En effet, Tal inspirait la peur à l’adversaire. Là où un Lasker provoquait la perte de l’adversaire par la confiance, lui la provoquait par cette peur, du sacrifice imprévu, du coup incroyable très difficile à évaluer dans ses conséquences. Tal adorait embrouiller le jeu pour conserver l’initiative. Cela réussissait ou pas mais Tal continuait. Sa capacité à calculer vite et loin les variantes lui donnaient une supériorité énorme mais lorsque ses adversaires ont commencé à trouver des parades, Tal est devenu moins fort.

Tal utilisait la psychologie à merveille dans son jeu. Son regard perçant et parfois ironique (peut-être aussi son infirmité à la main droite) faisait penser qu’il utilisait l’hypnose ou qu’il avait un caractère démoniaque. Ainsi lors du tournoi des candidats de 1959, le grand-maître hongrois Pal Benkö porta des lunettes lors de la partie qui l’opposa à Tal. Celui-ci, dont l’humour n’était pas la moindre des qualités, sortit une grosse paire de lunettes façon vieille touriste américaine et déclencha le fou rire de la salle, ainsi que Benkö.

Tal a donc l’image d’un joueur, d’un vrai mais aussi d’un bon vivant. Personnage cultivé et très apprécié, Tal a beaucoup usé son corps déjà fragile en fumant, buvant excessivement. Toujours avec humour, Tal déclara un jour : « j’ai beaucoup fumé, beaucoup bu, beaucoup parié, beaucoup aimé les femmes mais le jeu par correspondance est un des vices que je n’ai pas ».

Le style de Tal peut aussi se résumer par la phrase de David Bronstein, qui a annoncé Tal par l’état d’esprit : »C’est très simple, il centralise ses pièces et les sacrifie n’importe où ». Ou bien encore de Tal lui-même lorsqu’on lui demandait pourquoi il mettait autant de pièces en prise : « parce que l’adversaire ne peut en prendre qu’une à la fois ». Cette capacité à incendier l’échiquier et à trouver des combinaisons insensées lui a rapidement valu le surnom de « Magicien de Riga ».

Sur le plan théorique, Tal n’a pas laissé de grandes traces. Il n’était pas un spécialiste déclaré des ouvertures, se contentant d’appliquer de grands principes (centralisation des pièces…). Tal était un bon finaliste comme tous les tacticiens et avec le temps, ses manœuvres positionnelles ont été reconnues. Ce qui lui a manqué pour rester champion du monde comptent en deux choses : la santé et le physique d’abord (il lui arriva souvent de jouer des parties alité ou de déclarer forfait), l’envie de travailler durement d’autre part. Mais Tal était un joueur, un pur joueur à l’opposé d’un Botvinnik dont l’approche scientifique et rationnelle s’opposait à celle de Tal. Sa philosophie du jeu peut se résumer à l’idée d’un article publié en 1960 : en gros, il voulait emmener son adversaire dans un monde où parfois deux et deux font cinq.

Tal reste une personnalité marquante des échecs. Depuis trois ans, un tournoi mémorial est organisé à Moscou en son nom.

Palmarès et statistiques.

Maître international en 1956, grand-maître en 1957.

6 fois champion d’URSS, record de titres égalé avec Mikhaïl Botvinnik. Il participa à 21 reprises à la finale, y compris celle de 1983 où il abandonna en cours de tournoi.

Champion du monde de 1960 à 1961. Il a été le plus jeune jusqu’à l’avènement de Garri Kasparov en 1985.

Champion du monde de blitz en 1988.

Candidat au championnat du monde en 1959 (vainqueur), 1962,1965,1968,1977,1980,1985. Il a été une fois finaliste des candidats en 1968.

Détient les records d’invincibilité au nombre de parties avec 93 et 86, réalisées au début des années 1970.

8 fois membre de l’équipe soviétique aux Olympiades : il remporta à chaque fois la médaille d’or par équipes (1958,1960,1962,1966,1972,1974,1980,1982) et obtint 6 médailles d’or individuelles et 2 en argent, du meilleur résultat à l’échiquier. Il disputa 101 parties, marqua 82 points (65 victoires, 34 nulles, 2 défaites). Avec 81,2% de victoires, il a le meilleur pourcentage de victoires de l’histoire des Olympiades.

Il a été 6 fois sélectionné aux championnats d’Europe par équipes, marquant 24 points sur 37. Il a remporté 6 médailles par équipes et 3 médailles d’or, une en argent et une en bronze en individuel.

Il a fait partie de l’équipe d’URSS qui a affronté la sélection du Reste du Monde en 1970. Opposé à Miguel Najdorf, il marqua 2 points en 4 parties. En 1984, il fait à nouveau partie de l’équipe d’URSS et marque 2 points en 3 parties.

Dédicace à Gin To pour son anniversaire.

Question Quintus : à qui appartient ce doigt ?

Question Quintus : à qui appartient ce doigt ?

Quelques vidéos insipides.

Je vous propose quatre vidéos particulièrement insipides dans le commentaire.

Dans la première, il relève le défi du génie rioplatense (rive droite) Miguel Najdorf qui avait déclaré qu’il accepterait tous ses sacrifices. Tal a répondu qu’il s’engageait à les faire.

http://www.dailymotion.com/videoxaa72d

Dans la deuxième, il remporte une victoire éclair contre le maître inégalé de la défense, Tigran Petrossian, lui-même ancien champion du monde.

http://www.dailymotion.com/videoxe8c2w

Dans la troisième, il déboussole Mikhaïl Botvinnik par un sacrifice inattendu lors d’une partie de championnat du monde en 1960.

http://www.dailymotion.com/videoxe896n

Dans la quatrième, il mène une de ses attaques dont il a le secret contre le maître hongrois Janos Flesch à Lvov en 1981.

http://www.dailymotion.com/videoxax9oz

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