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Inception? asepsie oui!

Publié le 02 août 2010 par Cdsonline

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Dans un monde dominé par les multinationales, où l'inconscient (subconscient pour le réalisateur américain :) est accessible à l'activité commerciale, un homme d'affaires (Seito) charge un spécialiste de l'effraction des rêves (Cobb) d'implanter une idée chez son principal concurrent (Fischer) afin qu'il cesse de développer l'empire industriel de son père en train de mourir…

L'effracteur de rêves Cobb rassemble une équipe pour cette mission qui s'avérera plus compliquée que prévue, à cause notamment d'un sentiment de culpabilité lié à la mort de sa femme (Mall) qui continue à hanter son inconscient (subconscient pour le réalisateur américain :) et donc gêne ses représentations oniriques et son action…

Sur la base d'un scénario fumeux, la mission du metteur en scène d'Inception semble avoir consisté essentiellement en deux points:
1 - Noyer les incohérences narratives du scénario en le complexifiant au maximum : tiens, si on imaginait… un rêve… dans un rêve… dans un rêve !?! Tout ça, bien sûr, se surajoutant au prétendu plan de la "réalité" d'Inception — tenant déjà du cauchemar éveillé,
2 - Intégrer le maximum de scènes d'actions au montage nerveux, afin de distraire le spectateur du vrai rêve capitaliste sous-jacent: la colonisation rendue enfin possible de toute vie intérieure par des intérêts commerciaux…

Contrairement aux œuvres auxquelles l'inculture contemporaine voudrait les comparer (Total Recall, Minority report, Matrix, etc.) non seulement Inception ne possède aucune once de subversion artistique, mais le film se présente au contraire comme un manifeste positiviste de psychologie cognitivo-comportementaliste. Reniant donc l'ambivalence fondamentale de notre subjectivité moderne, mise à jour par les Lumières, avancée fragile sur laquelle reposent (encore?) nos sociétés occidentales dites civilisées…

Par-delà les inévitables incohérences narratives liées aux déficiences logiques de l'intrication des rêves — sans oublier celui de l'indispensable Youssouf ! — les protagonistes du film montrent un inconscient tellement "politically correct" qu'il semble l'œuvre d'un rédacteur de polices d'assurances travaillant dans une banque new-yorkaise. Aucun humour dans leurs rêves et bien sûr "no sexual fantasy" ni autres "dirty thoughts" qui pourraient faire disjoncter l'emprise de leur "égo".
Puisque le film est obligé d'aborder le concept d'inconscient (subconscient pour le réalisateur américain :) — rêve oblige ! — le business, lui, déclare sa nette préférence pour des insconscients de Teletubbies. C'est à dire pas d'inconscient du tout.
Raison pour laquelle la narration (où le poisson est noyé trois fois de suite) est aussi peu convaincante, voire carrément ennuyeuse hors les scènes d'action, les ressorts symboliques simplistes s'avérant radicalement incompatibles avec la subversive théorie freudienne des rêves.

Inception n'est cependant pas un film inintéressant, loin s'en faut. L'illusion générée par la maîtrise du réalisateur à "faire passer la sauce" est susceptible de bluffer le plus grand nombre de spectateurs, en tout cas ceux qui vont au cinéma dans le seul but revendiqué du "divertissement", et qui ne se sentent nullement atteints par la dimension symbolique — et in fine politique, au sens originel et noble du terme — contenue dans les œuvres de fiction.

Inception mérite donc que l'on s'y attarde:
– d'une part il permet de se rendre compte de l'intelligence et des moyens mis en œuvre par la machine idéologique hollywoodienne pour faire passer les messages du libéralisme hégémonique,
– et d'autre part il met en scène un motif récurrent dans nombre de films hollywoodiens, révélant par là-même une part souffrante de l'insconscient américain : le problème au père, l'impossible transmission, un héritage inassumable… (cf. Ironman, La gloire de nos pères, Magnolia, StarWars, etc.)

Ainsi, le problème sentimentalo-affectif rencontré par Cobb dans sa mission, sorte de nexus de l'histoire, fait directement écho au problème de filiation affectant le fils Fischer : un complexe d'Œdipe mal résolu, mis en impasse… Mall, la femme de Cobb apparaît comme définitivement trop présente, envahissante (manifestant une relation imaginaire, fusionnelle, symbiotique) alors que la mère du jeune Fischer est elle, radicalement absente ("il n'y a rien à en dire" d'après le vieux Fischer, régissant en despote capricieux jusqu'aux moindres recoins de son univers familial).

Le "problème" majeur américain, soulevé une nouvelle fois par Inception, semble donc bien celui de la trans-mission:
Une transmission présuppose a minima deux opérateurs, l'un en amont (destinateur) et l'autre en aval (destinataire), entre lesquels circule un "objet" transmis.
L'objet que découvre le fils Fischer dans le coffre de son père est… un moulin à vent. Le testament écrit ne compte pour rien à côté de cet objet ridicule qui signifie le fils au point de le nier, un pur fétiche, venant en lieu et place de la parole d'amour attendue et espérée…

Comment alors ne pas se souvenir la diatribe de Cobb au tout début du film où, vantant ses mérites, il énonce de manière grandiloquente que ce qu'il y a de plus pernicieux, de plus redoutable, de plus insidieusement néfaste pour l'homme, ce n'est pas le virus, la bactérie ni même… le ver solitaire, mais l'idée! "Une idée ça vous "caractérise" et ça finit par vous détruire" (sic). D'où les missions d'extraction, et en l'occurrence d'inception, c'est à dire d'implantation, réalisées sous l'égide bienveillante de Saint-Business bien sûr…

Nous rappellerons à toutes fins utiles que si les idées sont effectivement dangereuses, elles le sont surtout pour ceux qui n'en ont pas.
Et lorsque la toupie continue à tourner au moment du "cut" final, et que la salle se met à applaudir, comment ne pas se sentir interloqué par le message qui vient d'être transmis: "Continuez à rêver… les dirigeants de l'industrie du divertissement culturel et ceux de l'économie mondiale, assistés de leurs milliers de petits soldats anonymes s'occupent de tout… s'occupent de vous… jouissez… ne vous posez pas trop de questions… méfiez-vous des idées… vous êtes éternels…"


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