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La grande distribution : un réel danger pour les banques ?

Publié le 03 août 2010 par Sia Conseil

Durant l’été, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir certains articles “à succès” publiés cette année sur le blog Finance & Stratégies.

La grande distribution : un réel danger pour les banques ?
L’émergence des acteurs de la grande distribution sur le marché de la banque de détail s’est faite progressivement depuis le milieu des années 1980, dans un objectif de fidélisation et d’incitation à l’achat de leurs produits, mais aussi de diversification de l’offre (relai de croissance face à la baisse relative de la consommation

et marges potentiellement très supérieures à celles dégagées par la vente de produits alimentaires).

La grande distribution : un réel danger pour les banques ?

Une stratégie de diversification opportuniste…

Ces dernières années, certains distributeurs ont fortement développé et diversifié leur portefeuille de produits financiers (prêts personnels, produits d’épargne, assurances personnelles), et proposent une offre de services financiers simple et indépendante de leur cœur de métier, ciblant le mass market exclusivement. La stratégie poursuivie par ces acteurs consiste à générer du PNB et consolider leur position en tant que « seconde banque de leurs clients ».

Cependant, l’offre bancaire n’est pas au même degré de maturité chez tous les distributeurs. En France, Carrefour et Auchan proposent la gamme de produits et services la plus complète (carte de paiement, crédit à la consommation, assurances de biens et de personnes, produits d’épargne). Les autres enseignes ont développé une offre plus restreinte, centrée autour d’une carte privative et d’un programme de fidélité associé (E. Leclerc), ou d’un grand choix de crédits à la consommation (Casino, Cora, Intermarché).

Aujourd’hui, certains distributeurs poussent la logique de diversification encore plus loin et ambitionnent de proposer l’ensemble du portefeuille de produits et services d’une banque de détail traditionnelle : comptes courants, crédits immobiliers et produits d’épargne réglementés (PEA, livrets…). L’objectif clairement affiché consiste à devenir la banque principale de leurs clients ». En Angleterre, Tesco ouvre la voie des acteurs de la grande distribution vers une offre bancaire complète et distance ainsi de la concurrence : le distributeur ambitionne d’ici 2012 le lancement d’une offre de comptes courants (collecte des dépôts, tenue de compte) et de crédit immobilier.

Certains facteurs contextuels et réglementaires favorables apparaissent aujourd’hui comme de véritables leviers pour le développement d’une stratégie opportuniste des distributeurs :

  • La dégradation de l’image des banques et la crise de confiance de certains clients : augmentation du taux d’attrition de 4% en 2007 à 6,8 % fin 2008 (FBF), manque de transparence de la tarification[1] controverse autour des packages[2];
  • La modification des comportements clients, l’accélération de la mobilité bancaire et la multibancarisation : 28 % des français ont un compte dans plusieurs banques en 2009[3], entrée en vigueur du récapitulatif annuel de frais (janvier 2009) et du service d’aide à la mobilité bancaire (novembre 2009) ;
  • Les opportunités réglementaires, notamment la libéralisation du co-branding (octobre 2007) et la mise en place du SEPA (Carrefour enregistre 2,7 millions de ventes de cartes Pass co-brandées depuis son lancement en février 2009, représentant 50% des cartes co-brandées en France) ;
  • Un modèle de distribution compétitif : les « coûts d’agence » (coûts de distribution et de structure, et notamment les coûts liés à l’ouverture de points de vente de produits financiers dans les hypermarchés) sont très faibles comparés à ceux de la banque de détail, dont 80% des coûts de distribution sont directement imputables aux coûts des agences ;
  • Une forte présence à l’international, permettant d’importants relais de croissance : Banque Accord est présent dans 11 pays (France, Portugal, Espagne, Italie, Hongrie, Roumanie, Irlande, Russie, Pologne, Ukraine, Chine) et la moitié de sa clientèle se situe à l’étranger.

… mais un parcours semé d’embuches

Outre ces facteurs favorables, cette stratégie de diversification (et notamment l’élargissement à la gestion de comptes courants et au crédit immobilier) s’inscrit dans un contexte économique difficile qui n’est pas favorable au développement des activités bancaires :

  • La crise financière a montré qu’une crise brutale de liquidité est possible (Cofidis, qui appartient au groupe Les 3 Suisses, a été racheté par Crédit Mutuel en octobre 2008 suite à une panne de liquidité) ;
  • Les états, qui se sont endettés pour relancer l’économie (actions publiques pour enrayer la crise), vont certainement remonter les taux, ce qui entrainera mécaniquement une hausse du coût de refinancement ;
  • La réglementation de plus en plus contraignante sur le marché du crédit à la consommation laisse penser que ce marché va se contracter dans les années à venir et que les conditions de crédit vont se resserrer (la réforme à venir au cours du premier semestre 2010 peut potentiellement impacter les distributeurs : création d’un fichier positif, refonte du calcul du taux d’usure, obligation d’obtenir l’accord explicite du client avant d’activer la fonction de crédit associée une fonction paiement au comptant pour les cartes de fidélité) ;
  • Le resserrement des conditions de crédit, aussi accentué par la crise économique, impacte fortement le coût du risque : à fin 2008, Banque Accord et Banque Casino enregistrent respectivement un coût du risque de 106,7 M€ et de 50,6 M€, en hausse respective de 91% et de 72% par rapport à fin 2007.

Dans ce contexte (et notamment dans la perspective d’une hausse du coût de refinancement), le manque de diversification de l’activité des distributeurs risque de fortement fragiliser leur modèle économique. En effet, ne disposant pas de base de dépôts, ces derniers se refinancent en grande majorité via les marchés interbancaires et financiers. Afin de diversifier leurs sources de financement mais aussi leur portefeuille de produits (on estime aujourd’hui à environ 90% la part du crédit à la consommation dans le revenu des banques de distributeurs, contre 15% pour la banque de détail), les distributeurs devront capter du dépôt, ce qui nécessite de proposer des comptes courants (et y associer une activité de gestion de comptes) ou des produits d’épargne de type livret. Pour rendre la clientèle captive puis la fidéliser sur ces produits bancaires, un produit d’appel classique sera probablement nécessaire : le crédit immobilier.

Les distributeurs sont d’autre part confrontés à une problématique de coûts liés aux paiements, et cherchent aujourd’hui à réduire les commissions reversées aux banques à chaque paiement effectué par un client. La commission la plus lourde reversée aujourd’hui par les distributeurs, comme par tous les commerçants, est la CIP (commission interbancaire de paiement). Afin d’économiser de la CIP sur les paiements en magasin et de gagner de la CIP sur les paiements hors magasin, les distributeurs pourraient développer leurs offres de cartes de paiement.

En effet, prenons le cas d’un client d’une enseigne (ex : Carrefour) qui effectuait auparavant ses paiements via une carte issue d’une banque de détail française : si ce client effectue ses achats chez Carrefour en payant désormais avec une carte proposée par l’enseigne qui accepte ces paiements (ex : carte proposée par S2P et distribuée par Carrefour), alors la commission reversée auparavant à la banque disparait où est reversée en interne à une entité du groupe (Carrefour reverse ou pas la commission à sa propre filiale S2P, en fonction du modèle économique retenu). Etant donné le nombre total de paiements effectués en magasins (ex : Auchan a enregistré en 2008 7,4 Mds € d’achats payés par carte), et sachant que la commission versée par les distributeurs aux banques pour accepter des cartes de paiement bancaires est de l’ordre de 0,6% du montant de chaque transaction, l’économie potentielle s’avère considérable.

Le principal frein à la percée des distributeurs sur les cartes bancaires réside aujourd’hui dans le fait que les français sont peu enclins à détenir plusieurs cartes dans leur portefeuille. Pour que les clients puissent se passer des cartes bancaires des Banques traditionnelles et afin d’accélérer leur développement sur les cartes de paiements, les distributeurs devront se substituer aux grandes banques de détail et s’orienter vers un modèle de type « banque au quotidien » : là encore, la mise en place d’une activité de dépôt et de crédit immobilier parait incontournable.

Sia Conseil




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