"Jamais je ne serai français ... j'aurai beau faire !"

Par Eric Bernardin

Cette phrase n'est pas de moi (plus français, on peut pas...), mais de Mark Greenside, un professeur américain vivant la moitié de son temps en Bretagne, depuis 1992. Au bout de presque 20 ans, il a enfin décidé d'écrire ses impressions sur cette France dont il est tombé amoureux (et qui parfois l'exaspère, aussi). Et le titre de mon billet ... est le titre du livre. 

Il y a deux mois, j'ai passé quelques heures avec les commerciaux des Editions Sud Ouest pour parler de notre livre, et l'une des responsables de la société m'a parlé de ce livre. J'en ai lu quelques lignes, et j'ai rapidement éclaté de rire. J'ai dit à Catherine : "envoie-le moi, je le lirai et j'en parlerai sur le blog". Quelques jours plus tard, je l'ai reçu et dévoré !

L'histoire démarre aux Etats-Unis. Sa girlfriend de l'époque, new-yorkaise, poétesse et francophone, veut passer ses vacances en France. " je ferme mon livre et je l'écoute, abasourdi. J'ai horreur de prendre l'avion et je ne parle pas français. Donc l'idée ne m'emballe pas outre mesure. En plus, quand je suis allé à Paris en 1966, j'ai fortement déplu à la population et je ne crois pas avoir tellement changé depuis. "Non, dis-je, allons plutôt dans le Saskatchewan.

- Ce n'est pas pareil

- Je sais bien. Au Saskatchewan, on parle anglais et on peut y aller en voiture.

- Ne t'inquiète pas. Je m'occupe de tout "

Et donc son amie trouve une location dans un petit village du Finistère, à 1000 dollar par mois, avec une voiture.

Le voyage se passe remarquablement en avion : Mark est impressionné par la nourriture et les vins servis. Finalement, la France, c'est prometteur ! Patatras : arrivé à Charles de Gaulle, impossible de trouver les bagages. "La bonne nouvelle, c'est que personne d'autre n'a les siens. La mauvaise, pour ne pas dire la pire, c'est qu'une heure et demie plus tard, nous en sommes toujours au même point. Six heures et demie de détente dans le confort et la plaisir pour arriver jusqu'ici, suivies par une heure et demie debout, sans le moindre endroit où s'asseoir, manger un morceau, se reposer, boire un coup où se calmer. 

C'est déroutant. A l'aéroport Charles de Gaulle, tout n'est qu'équipement ultra-moderne et haute technologie : le métro, l'éclairage, les tunnels, les escaliers et tapis roulants qui montent et qui descendent, vont et viennent. Les Français adorent les gadgets et les inventions malignes (la guillotine, par exemple), tout ce qui peut être automatisé l'est, tout sauf la main d'oeuvre."

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Bon, finalement, ils vont arriver dans à Plobien 20 heures après leur départ, et s'endorment aussi sec. Le lendemain, Mark se réveille aux aurores, et voyant une villageoise avec une baguette, se décide à aller en chercher une : "je traverse la rue et pousse la porte de la boulangerie*. Elle ne bouge pas. Je pousse une deuxième fois, plus fort. Toujours rien. Je regarde à l'intérieur. J'y vois plusieurs personnes en plus de quoi la dame que j'ai rencontrée en partant de chez moi tenait une baguette*. Donc c'est forcément ouvert. Je pousse une troisième fois. Merde*. Encore une porte française qui ne fonctionne pas. Mais enfin c'est quoi ce pays ? Une vieille dame en robe à fleurs éblouissante, portant un sac à main grand comme une valise, m'indique un mot écrit au-dessus de la poignée. Tirez*. Je pousse. Elle tire. Et voilà – moi, je suis un pousseur, les Français sont une nation de tireurs. Une leçon de plus à apprendre.

"Merci*", dis-je en pénétrant dans le magasin. Sept personnes me précèdent, formant un peloton d'attente. Aux Etats-Unis, on penserait que l'endroit est sous surveillance ou occupés par des manifestants. En Bretagne, c'est tout simplement la clientèle qui attend son pain. Et ce qui me sidère le plus, c'est la façon dont les gens sont habillés : les femmes en jupe, chandail et foulard, chaussées d'escarpin ; les hommes en pantalon, chemise à col et souliers bien cirés. Pas de pyjamas, de peignoir de bain, de bigoudis, de survêtements. Moi qui ne suis ni coiffé, ni rasé, ni lavé, qui porte un pantalon déchiré et un tee-shirt douteux, je peux vous dire que je fais tache dans la boutique. Personne ne me ressemble. Et personne ne me regarde, non plus. Aux U.S.A., si quelqu'un comme moi entrait dans un petit magasin, tous les yeux seraient braqués sur moi, tout le monde ferait des histoires, sombrerait dans le silence ou se mettrait au contraire à parler haut et tout le monde feindrait de ne pas s'apercevoir de mon existence. Ici, ils ne s'en aperçoivent vraiment pas. (...)

La bonne nouvelle, c'est que le peloton d'attente avance lentement, ce qui me donne largement le temps de mettre ma phrase au point. La mauvaise, c'est que même un siècle n'y suffirait pas. Voici à peu de chose près, quel est mon processus mental. Je vais dire "Bonjour Monsieur*." Il me répondre je ne sais trop quoi, puis je hocherai la tête, je sourirai, je hausserai les épaules et je dirai :" Oui. Une baguette, deux croissants, fromage, confiture, café et jus du vache, s'il vous plait*." A ma grande stupeur, c'est en effet ainsi que les choses se passent. Il va me chercher tout ce que j'ai demandé et lance un mot ; je sais qu'il s'agit d'un chiffre, mais lequel . Mystère. Je fais semblant de griffonner comme pour dire : Vous voulez bien me l'écrire, s'il vous plaît*? Il écrit 60,35, c'est à dire soixante francs et trente-cinq centimes, soit un peu plus de 10 dollars, ce qui serait un prix très raisonnable si j'avais de l'argent sur moi, mais justement je n'en ai pas. Quand j'ai sauté par la fenêtre à cinq heures et demie du matin, je n'avais pas l'intention de faire des courses..."

Mark lui fait un numéro de mime pour lui expliquer qu'il n'a pas d'argent. A sa grande surprise, le boulanger lui donne le sac rempli de victuailles et souhaite une  bonne journée à notre américain ébahi :" Comment ces gens-là ne font-ils pas faillite ? Pour un peuple à qui nous devons les mots bourgeois* et entrepreneur*, voilà de drôles façons de faire."

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On aurait envie de citer tout le livre, car tout est de la même veine. Mais bon, ça demande du temps, et l'éditeur n'apprécierait guère... Je ne résiste tout de même pas à encore deux ou trois passages.

Mark est au marché : " je ne veux pas de poulet à la broche, parce que le groupe Doux, premier producteur européen de volailles, a ses usines dans le village voisin et j'ai pu entendre et sentir ce qui arrivait à leurs poulets. Moi je veux un volatile élevé en plein air, pas un de ces malheureux poulets de batterie concentrationnaire, or je subodore ce que sont justement ceux-là qu'utilisent les types de la rôtisserie, parce qu'ils sont moins chers. Le problème, c'est de trouver un poulet comme je les aime – et puis de savoir le demander. Le premier mot qui me vient à l'esprit, c'est "libre*" (comme dans "liberté", et c'est en effet le mot juste) mais je crois me rappeler que comme le mot free en anglais, "libre" veut dire aussi "gratuit" et je ne me vois pas réclamer un poulet gratuit à un marchand français."

Ce premier séjour marque la fin de l'aventure entre Marc et sa girlfriend. Mais le début d'une histoire d'amour avec le village et ses habitants. Il finit par acheter une maison (les scènes chez le notaire ou le banquier valent le détour).

Juste après la vente, les Nédélec lui remettent l'acte de propriété et les clefs de la maison. "Monsieur Nédélec me tend alors un autre trousseau de clefs en disant : "c'est pour la voiture.

- Quelle voiture ?

- Notre voiture. Nous allons en acheter une neuve. Vous pouvez prendre la vieille." Alors là, je suis médusé. Je croyais avoir tout vu et tout entendu, mais je me trompais. "Et maintenant, nous allons pouvoir vous dire..."

Ah merde, ça y est , je suis foutu.

"Vous connaissez Kostez Gwer .

- Oui, c'est le nom de l'endroit où se trouve la maison.

- Mais vous savez ce que ça veut dire ?

- Ben, non.

- C'est du breton. Gwer, ça veut dire vert, green en anglais. Kostez, c'est le côté, side. Parce que vous donnez sur le côté vert de la colline, monsieur Greenside. 

- Ce n'est pas vrai ?

- Mais si, s'écrie sa femme.

- On ne voulait pas vous le dire avant, pour ne pas vous influencer, mais dès qu'on a entendu votre nom, on su que cette maison était pour vous".

Et il va faire encore plein de rencontres formidables avec des artisans d'une honnêteté scrupuleuse, et d'autres personnes attachantes. Vraiment un chouette livre à lire, qui vous redonne la fierté d'être Français (alors que de nombreux évènements auraient tendance à vous en faire douter...).

Voici pour finir une vidéo où l'on voit Mark, le village, sa maison...

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