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Jacques Chirac : «Monsieur Guillanton, je ne suis pas content de vous !»

Publié le 03 août 2010 par Anne Onyme
(Les contes de l'Internet : petites histoires qui me reviennent. J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement de la France dans le numérique).

Et Chirac de continuer, montrant de son index vengeur le sus-désigné «Vous direz à vos 2 étudiants fondateurs, que jamais, plus jamais, vous m’entendez bien, plus jamais le Président de la République Française ne mettra les pieds sur Yahoo.com !"
Qu’on se le dise ! Non mais !... En voilà des choses ! Vendre des objets nazis aux enchères sur Yahoo, et en France encore !... De plus, traiter la France de «local», en voilà assez m’sieur Guillanton !...
Alors, M’sieur Billaut il paraîtrait que vous voulez créer un e-parti ?
Il me faut vous narrer la chose... Cocasse, truculent, rabelaisien, chiraquien... Et sous les ors de la République encore !


Donc, en ces temps encore un peu obscurs, figurez-vous que j’étais devenu un habitué du Palais de l’Elysée... J’y avais mes petites entrées.. Enfin habitué, façon de parler... J’y ai été invité trois fois. Deux fois pour participer à des «réunions d’initiation» du Président de la République. Initiation aux joies ineffables de l’Internet. Et une autre fois, comme «force vive de la Nation» pour recevoir les voeux présidentiels... Hé oui, Mesdames et Messieurs je suis «une force vive de la Nation»... Enfin j’étais, parce que depuis, je ne l’ai plus été ... Je raconterai cette mémorable cérémonie dans un prochain conte de l’Internet...  Où, n’étant que mon courage, j’ai porté secours à un ancien combattant qui s’est effondré sur la hampe de son drapeau...
A l’époque, le locataire du Palais était Jacques Chirac, vous l’avez deviné. ... Sa conseillère sur les nouvelles technologiques, Valérie Pécresse, avait fort à faire avec son prestigieux élève. Fine mouche, la dame ! Car plutôt que de lui faire des notes qu’il ne lirait probablement pas, elle avait mis au point des réunions d’initiation où elle y invitait quelques e-gaulois triés sur le volet. Lesquels venaient expliquer au Président tel ou tel e-point...
Cela je pense, pour éviter que Chirac ne finisse dans l’Histoire des Gaules avec un nickname de rongeur...
La première fois où j’ai participé à ce genre de pince-fesse, c’était en 1998 je pense.
Un magnifique CRS en grande tenue, était venu nous apporter le carton d’invitation avenue Kléber au siège de la Compagnie Bancaire... Beau gaillard ce CRS, qui n’a pas laissé insensible Chantal Duvigneau, notre assistante... Et qui a mis en émoi tout l’immeuble... Rendez-vous compte, un CRS ! Si, si, pour Billaut ! «Mais qu’est-ce qu’il a encore fait Billaut ?»...
Et le jour dit, je me suis rendu à pied au Palais de l’Elysée, en descendant les Champs Elysées... Fier qu’il était le Billaut, dans son beau costume bleu sombre à fines rayures blanches ! (faut s’adapter à l’élite locale)... Très fier, en foulant les exquis gravillons de la cour d’honneur, ratissés de près, qui crissaient sous mes belles pompes : des loafers Florsheim que j’avais acheté en solde dans le magasin du même nom, sur Union Square à San Francisco lors d’un précédent voyage.
Et en gravissant les marches de l’entrée, je me suis dit que si ma Maman me voyait du Paradis où elle se trouvait sûrement, elle pourrait être fier de moi. Elle qui se plaignait de mes mauvaises notes à l’école de Jules Ferry, et qui voulait que je sois Haut Fonctionnaire.. Une idée fixe qu’elle partageait avec beaucoup de ses copines...
Pas terrible, cette première réunion. Elle avait eu lieu dans la Salle du Conseil. Autour de l’honorable table qui a entendu bien des choses, avaient pris place le saint frusquin de l’élite informatique traditionnelle de l’époque : Philippe Lemoine (des Galeries Lafayette), des Délégués de syndicats professionnels dans le domaine de l’informatique, etc... Bref, des gens qui savaient...
En ce qui me concerne, on m’avait placé en en bout de table. A la place de Madame Voinet qui était à l’époque Ministre de l’Environnement ... Je n’étais donc pas jugé comme quelqu’un d’important.. Vu qu’à l’époque, l’Environnement n’était pas un sujet sérieux. D’où le bout de table.
Valérie m’avait demandé de faire un topo sur le streaming, qui démarrait sur l’Internet. Car à l’atelier de la Compagnie Bancaire, nous commencions à streamer en temps réel les réunions de présentation avec la solution de RealAudio... Avec le rachat par la BNP, les fichiers vidéos ont disparus dans les poubelles de l’Histoire, ou plutôt celles de la ville de Paris.. Dommage car il y avait eu quelques perles.. (comme par exemple un dîner au chandelles que nous avions fait dans l’Atelier avec le conseiller du Président Clinton...).
J’ai pu écouté tout à loisir ce que disait les gens importants, en attendant mon tour... Car pas question de couper la parole à ces quelqu’uns d’importance. Chirac après avoir remercier l’assemblée d’être venue à son invitation, a passé la parole à la personne devant lui. Donc la plus importante de l’assemblée... A savoir Philippe Lemoine... Philippe a pris pas mal de temps sur le temps de parole des autres... Ce qui est normal quand on fait partie de la grande élite... Et puis, chacun a parlé à son tour dans le sens des aiguilles d’une montre.. sur le thème proposé par Valérie.
Et j’ai fait mon topo sur le streaming... Il ne me restait pas beaucoup de temps. J’ai torché la chose en 5 minutes.. Je ne sais pas trop si Chirac a vu l’importance que ce streaming allait prendre (ni les autres d’ailleurs probablement... ). S’il ne l’a pas vu, c’est certainement de ma faute, car j’ai dû mal expliquer, vu que je n’ai pas fait l’ENA comme lui (Madame Chirac mère était probablement plus tenace que Madame Billaut mère sur le travail à l’école de Jules Ferry de son fils. Chirac a fait l’Ena et aurait pu devenir un peinard Haut Fonctionnaire) ...  Le Président écoutait néanmoins de façon attentive, et même grave. Il prenait des notes et posaient de temps à autre une question, question qui, mon Dieu, avait du sens .. Mais cette réunion n’a pas changé à mon avis sa vision politique du monde... 
Par contre, la deuxième réunion d’initiation du Président à laquelle j’ai été invité à été beaucoup plus intéressante. Et surtout, comment dire, plus sportive... D’abord parce Valérie avait invité ceux qui faisaient vraiment l’internet français et non plus la vieille garde informatique... Il y avait là Michel Meyer, Bruno Oudet, Philippe Guillanton, etc... Des noms inconnus des grands dîners en ville. Beaucoup de monde autour de la table du Conseil en cette fin d’après midi d’une belle journée de 1999 ou 2000 ? Je ne me souviens plus...
La réunion devait durer 1 heure. Elle en a durée 3 !... Pendant la réunion, un grand chambellan chamarré était venu dire à l’oreille présidentielle que l’Ambassadeur du Canada était arrivé... Chirac lui a dit d’une voix forte de façon à ce que tout le monde entende «Qu’il attende !»... Comme quoi, il faut toujours savoir où sont les priorités...
Comme pour la première réunion, il a fait une longue digression introductive et bille en tête a attaqué de front Guillanton... Qui ne s’y attendait pas, vu qu’il n’était pas placé en face de lui... C’est Michel Meyer qui était en face, à la place donc du Premier Ministre... Et moi, qui avait pris du galon, j’étais à la gauche de Michel. De la place de Ministre de l’Environnement à la première réunion, j’étais passé à celle de Ministre des Finances. Mais je ne suis pas très initié aux us et coutumes de la Vème République. C’est bien à gauche du Premier Ministre, qu’est placé le Ministre des Finances ?
Et Guillanton lui, se trouvait à la droite de Meyer mais 2 ou 3 places plus loin..
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Et c’est là, Mesdames et Messieurs où Chirac a fait sa sortie qui restera dans la Grande Histoire de France : « Monsieur Guillanton, je ne suis pas content de vous !» Aussi sec comme on dit à Bezon. Sans connaître le motif de l’ire présidentielle, cela a immédiatement jeté un froid dans la salle du Conseil. D’un seul coup, plus aucun bruit.  On entendait les mouches voler. Michel Meyer serra les fesses sur sa belle chaise Louis XXX (on y était très mal assis sur ces chaises, ce qui fait que l’on changeait de fesses de temps à autres pour éviter l’ankylose... Mais on était assis sur du Louis...).
Je posais délicatement mon crayon de bois, histoire de ne pas me faire remarquer. Crayon avec lequel j’avais commencé à griffonner sur une magnifique feuille de papier velin. Crayon et feuilles fournies gratuitement par la République à tous les participants...
Le Président continua sur un ton hargneux : « Vous vendez aux enchères sur votre site des objets nazis ! Je dois dire Monsieur Guillanton, que je ne suis pas du tout content. La France n’est pas fier de vous !...»
Voilà donc qu’elle était la raison de la colère du plus haut personnage de l’Etat !
Là, on ne respirât plus du tout. La dernière mouche qui volait encore se retira les ailes repliées, l’air penaud, derrière une lourde tenture tissée de fils d’or. Tout le monde pensât que le Guillanton allait se faire déchirer. S’en était fini de lui... Il faudrait prévenir sa veuve...
Hé bien non !... Notre gaillard, qui avait fait ses Humanités, a répondu du tact au tact au Président. Hé oui, Mesdames et Messieurs du tact au tact...
«Monsieur le Président, Yahoo est une entreprise mondiale, et ne peut pas prendre en compte telles ou telles particularités locales...» Sic !...
Au mot «local», Chirac a fulminé... On aurait dit que des bouffées de fumée lui sortaient par les oreilles... Il en aurait laissé refroidir une tête de veau sauce gribiche, s’il avait eu le plat devant lui.. C’est dire !... La France «local» ? Et puis quoi encore ? «La France n’est pas «local», Monsieur Guillanton, sachez le bien !»...
Là, on s’est dit que le prévenant allait être condamné au bûcher en place de Grève. Au mieux, se faire embastiller à la Santé... La fièvre montait à El Pao. Pardon, dans la salle du Conseil. Je me demandais si nous allions en sortir sain et sauf. Reverrai-je Madame Billaut ?
Et Chirac a fait cette sortie mémorable en pointant un index furieux vers le jeune Guillanton, qui, tel un Danton sur l’échafaud, resta d’une dignité exemplaire : « Monsieur Guillanton, vous direz à vos deux étudiants fondateurs, que plus jamais, vous m'entendez ? Plus jamais le Président de la République Française ne mettra les pieds sur Yahoo.com»...  Impressionnant non ?
Ca vaut « Du haut de ces pyramides, 40 siècles... blalbla...» Vous ne trouvez pas ?
Chirac savait donc que Yahoo avait été créé par deux étudiants (mais il n’a pas cité les noms...). Valérie avait bien fait son boulot... Mais là où elle l’a mal fait, c’est qu’elle m’avait demandé de parler de la Fête de l’Internet dont j’étais, avec Bruno Oudet qui en avait eu l’idée, l’un des protagonistes... Et le Président m’a demandé de faire un point sur autre chose... C’est on ne peut plus désagréable..
Car tout de suite après l’algarade Guillanton, Chirac s’est tournée vers moi avec un sourire légèrement moqueur et même un peu carnassier : «Alors, Monsieur Billaut il paraîtrait que vous voudriez créer un e-parti politique ? Hein ?»
J’ai été pris de court. Mais l’atmosphère s’est très nettement détendue, surtout avec l’intonation goguenarde prise par le Président... Du coup Michel Meyer a profité de changer de fesse, et l’on a commencé à rigoler autour de la table républicaine qui n’en avait pas entendu autant au cours de sa longue carrière... Les mouches ont repris leur vols, mais vu la rigolade ambiante, on ne les a plus entendues...
J’ai évoqué tant que faire se peut ce projet de e-parti politique... Que nous étions quelques uns à essayer de le mettre sur pied... J’ai expliqué rapidement le pourquoi...
Je dois dire que nous avons renoncé vite fait à ce e-parti. Car quelque temps plus tard, l’un des protagonistes s’est fait appelé à Matignon qui à l’époque était un bastion socialiste. On lui a remonté les bretelles de belle façon... Avec des sous-entendus qui en disent longs sur les moeurs républicaines. On ne touche pas au gâteau comme cela... que l’on soit de droite ou de gauche...
Cette réunion a donc duré 3 heures... Mal assis sur les chaises grand siècle, pas même un verre d’eau, un ambassadeur canadien qui devait se morfondre dans un Petit Salon... Mais, on s’est bien marré...
Aux dernières nouvelles, Philippe Guillanton, avec ses stocks option (?), s’occupe d’un vignoble dans le bordelais et a laissé tombé la collection d’objets nazis de Yahoo.com.
Valérie est devenue Ministre. Je ne sais pas si Chirac aujourd’hui utilise l’Internet et les outils du 2.0...
Quant à moi, je pense qu’il y aura un jour un e-parti.. Mais la chose ne va pas être simple.

Remarquez qu’il y a déjà un Pirate Party avec 2 députés au Parlement Européen...Un monde qui s’éteint, un autre qui naît...

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