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Jean Narboni ... Pourquoi les coiffeurs ? Notes actuelles sur Le Dictateur, 132 p. Bibliogr.
Editions Capricci, 2010
C'est l'histoire d'un film. Celui que Charlie Chaplin a consacré au nazisme, son premier film parlant. L'auteur montre et démonte la richesse et la précision de ce film, souvent sous-estimées. Le film fait rire, mais il fait aussi penser à ce qui fait rire.
Jean Narboni prend le parti de prendre Chaplin au sérieux, chaque plan, chaque dialogue. Tout y passe et le produit de cette analyse attentionée est impressionnant : les noms (de personnes, de pays), la ressemblance entre l'acteur et le dictateur (la fameuse moustache), la réception du film dès que la nouvelle du tournage fut connue, la science des longs monologues, la bande-son (l'exploitation subtile de Lohengrin de Wagner), la langue des personnages (ce n'est pas de l'allemand mais une purée sonore d'où émergent quelques mots-clés de la langue des nazis, c'est un idéal-type du discours totalitaire), etc.
Commencé en 1936, le scénario (300 pages) fut achevé en 1938, le tournage commença en septembre 1939 pour s'achever en mars 1940. Dès que le projet fut connu, les nazis et leurs "alliés objectifs" réagirent par voie diplomatique et médiatique. Les intérêts économiques, la crainte de représailles en Allemagne tout fournissait des raisons de ne pas tourner (la diplomatie anglaise était hostile au tournage également). La consigne dominante - quelle lucidité - était de ne pas évoquer l'antisémitisme hégémonique en Europe. Les frères Warner (Warner Bros.), militants antinazis, ne fléchirent pas sous la menace de la censure américaine.
Cette analyse subtile montre le constant sérieux du comique de Chaplin ; sa pertinence, sa rigueur, son sens de l'anticipation impressionnent. Revoyez le film après avoir lu le livre.
Bien sûr en lisant ce livre de papier consacré à un film,combien de fois a-t-on envie de cliquer pour voir tel ou tel plan, entendre tel ou tel motif. Vivemment le livre et l'auteur numériques !