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CLUB COULEURS DU TEMPS, par M.-O. Supplligeau

Publié le 04 août 2010 par Balatmichel

CLUB COULEURS DU TEMPS.

"Madame, j'administre depuis des années cet hôpital de la Croix-Rouge Française, bénévolement. Je ne vous permets pas, je ne permettrai à personne, jamais, de changer la couleur de sa croix ! J'avais consenti, de ma qualité de directrice, dans l'ignorance de ce détail. Tant que je serai en poste, il n'y aura ni club, ni coopérative, ni association loi 1901 ou d'aucune sorte ici. Je m'oppose formellement et définitivement à cette déclaration en Préfecture. Suite de l'ordre du jour de notre réunion, s'il vous plait !"

Au décours de cette mensuelle réunion institutionnelle, pour ne pas disparaître à ma propre conscience, je me crispais sur la liasse de documents rapportés de la clinique de La Borde . J'y prenais conseil, le week-end précédent, auprès de Brivette pour formaliser (club ? coopérative ? association du personnel ? de parents ?) le travail collectif qui -de fait- s'institutionnalisait, laborieusement, dans l'établissement pour enfants qui m'employait. Brivette me combla d'une brassée de modèles de statuts, d'articles, de son sourire encourageant et de ses recommandations : "Envisagez aussi une éventuelle affiliation aux Croix Marines . Ca fera sérieux. Vous serez moins isolés."

Enclave d'un secteur de pédopsychiatrie parisien à la riche histoire, ce complexe thérapeutique se distinguait vigoureusement du réputé secteur du 13ème arrondissement auquel il disputait, rival jaloux, ses identiques valeurs fondatrices. Les arcanes de ces tensions échappèrent longtemps à mon incurie politique. Les rivalités fraternelles s'éteignirent avec le décès accidentel, sur la route des vacances, du fondateur des lieux, le docteur Abraham. Son successeur, le Dr Ben, "nommé par l'opération du Saint Esprit", dernière recrue de la bande des médecins, se destinait à une fonction de psychothérapeute, dans l'hôpital voisin, pour d'adolescents. Illégitime successeur, car le Dr Simon, dauphin officiellement désigné, faisait brillamment ses classes, la carrière d'Abraham tirant vers sa fin. Lors de notre entretien d'embauche, le nom de Claude Poncin sur mon CV eut valeur de sésame auprès du Dr Ben : leur collaboration passée à l'hôpital de jour de St Quentin (Aisne) virait à l'amitié et, au miroir biseauté de leur estime réciproque, ils se contemplaient l'un pour le maître de l'autre. Ben, usant de son nouveau titre, recruta des collègues issus de leurs partages.

Mademoiselle De, fille de grande famille, bénévole de la Croix-Rouge, gouvernait. Chaque matin, postée avant l'heure au palier du premier étage, de sa présence vigilante, d'une poignée de main et d'un mot bienveillant, elle saluait en le nommant chaque membre de son personnel et pointait le moindre dysfonctionnement : - "Vous avez cinq minutes de retard. Veillez à ce que cela ne se reproduise pas." Son adjoint, salarié, fils et petit-fils de militants communistes, bercé par les sirènes des houillères du nord, grandit à l'ombre des drapeaux rouges, avant de faire dans le social des études de boursier. La psychologue, une des filles spirituelles d'Abraham et le nouveau médecin chef "nommé par l'opération du St Esprit", fille et fils d'émigrés juifs, taisaient encore leurs ancêtres disparus de la shoah et complétaient l'équipe directoriale.

Trois "couples éducatifs" prenaient en charge, pour l'entière durée de leur hospitalisation, chacun douze filles et garçons de six à quatorze ans, au sein de "groupes de vie", modèle importé des internats et que les "Hôpitaux de Jour", dans les espérances désaliénistes de l'époque, compléteraient, transformeraient ou éviteraient. Les groupes "verticaux et mixtes", les couples éducatifs induiraient les identifications masculine et féminine, mais début de la fuite des mâles de nos métiers mal gratifiés, un homme seul demeurait en poste et les éducatrices en couple. L'évaluation de l'évolution des enfants transitait, pour l'essentiel, par "la dynamique de groupe", schème savant et évolutif que Simon le dauphin, élaborait mensuellement, avec chacun des couples éducatifs, pendant l'heure de classe des enfants, c'est-à-dire en leur absence. La méthode -d'actualité- répondait à des préoccupations fines de repérage des relations individu-groupe d'appartenance, subjectivité et socialisation, transfert et contre-transfert. Évaluer, par ailleurs, le sérieux des éducateurs à partir de ce document était un jeu d'enfant. L'honnête et attentif Simon n'en pouvait, n'en voulait rien savoir. L'administration, si. Ben, promu, se heurta à la contestation endeuillée des anciens, chagrins et loyaux aux valeurs éprouvées, alors que bâtards et nouveaux (exclus de la lignée du père fondateur) l'encensaient, enclenchant des conflits bruyants, révélateurs des principes qui, à l'insu de chacun, gouvernaient l'établissement.

(…)


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