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Justice et efficacité

Publié le 06 août 2010 par Jlhuss

capture.1281043626.JPG Lu dans Le Monde du 5 août 2010 : «  Damien Meslot, député UMP de Belfort a déposé mardi, une proposition de loi pour autoriser la déchéance de nationalité à l’encontre des étrangers naturalisés depuis moins de dix ans et condamnés à une peine de plus de trois mois de prison ferme (1) . »


Whaoouu ! ! ! Ils sont de plus en plus fort à l’UMP ! Du coup, pendant que la petite dernière faisait la sieste, je me suis permis un peu de politique fiction :
Le Président du tribunal essuya ses lunettes. Encore une affaire et cette interminable journée serait terminée. Il se tourna vers le procureur qui était en train de s’entretenir avec la greffière.

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Il toussota pour attirer leur attention. En vain. La discussion se prolongeait. Il toussa plus fort. La greffière tourna la tête et lui fit signe d’attendre encore un instant. Il eut un soupir d’impatience. Il était déjà tard et on l’attendait chez le député de la circonscription qui avait le double mérite d’être un ami de la Présidente de la République et d’avoir à son service une des plus exceptionnelles cuisinières du département. Enfin la conversation cessa et la greffière se dirigea vers lui.
-   Monsieur le Président nous avons un problème. Vous n’avez pas respecté vos quotas.
Il eut une moue dubitative
-   Je viens de vérifier avec Monsieur le Procureur. Sur les soixante-dix-neuf prévenus d’aujourd’hui vous n’avez prononcé que cinquante-neuf condamnations pour un total de cent quatre-vingt-douze années de prisons et sept cent cinquante-six mille écus d’amendes. Et le plus grave, il nous manque une déchéance de nationalité, nous n’en avons que dix-neuf.
-   Vous êtes certaine ?

Le Président posait la question pour la forme. Depuis que la loi « Justice et efficacité », voulue par la Présidente et aussitôt votée par une Assemblée nationale à sa dévotion, était entrée en application, les tribunaux étaient dans l’obligation de condamner au moins les trois quarts des prévenus qui leur étaient présentés par la police et, lorsqu’ils étaient d’origine étrangère, de prononcer pour un quart d’entre eux, la déchéance de la nationalité. En outre, et en fonction de la gravité des délits qui étaient reprochés aux prévenus, ces condamnations entraînaient des peines de prison et d’amende dont le total ne devait pas être inférieur à un tarif fixé conjointement par le ministère de l’Ordre Public (rassemblant les anciens départements de la Justice et de l’Intérieur) et celui des Finances. Les sanctions financières et disciplinaires qui frappèrent ceux des juges qui crurent, au nom de principes obsolètes, pouvoir se dispenser d’appliquer les nouvelles règles, vinrent rapidement à bout des réticences de la magistrature. Ce n’était pas une surprise : le passé ayant montré que, pourvu que le pouvoir prenne la précaution de couvrir ses exigences du voile de l’intérêt national, ce corps savait se montrer complaisant. En outre, pour améliorer la productivité de la justice, la durée des plaidoiries était désormais strictement minutée. Si leur client comparaissait pour la première fois, les avocats disposaient d’une demi-heure. Ce temps était amputé de cinq minutes à chaque récidive jusqu’à une durée incompressible de dix minutes (il avait bien fallu faire un geste pour respecter les engagements internationaux du pays en matière de droits de la défense). Eux aussi avaient vite compris, confiscations d’honoraires et interdictions de plaider aidant, qu’ils n’avaient d’autre choix que de se plier aux nouvelles habitudes.
-   La loi est dure mais c’est la loi soupira le Président. Puis il ajouta : Faites entrer le prévenu.
-   Tout de suite Monsieur le Président.
Au premier regard, le juge le reconnu. Par acquit de conscience, il ouvrit son dossier. Pas d’erreur possible, c’était bien lui. Mais quelle déchéance ! Les cheveux avaient blanchi, les joues s’étaient empâtées. Il avait tout perdu qui était le sien de l’air conquérant du temps de sa splendeur, il y avait… Combien d’années au fait ? Le Président se livra à un rapide calcul. Pas tant que ça après tout ! Il fit signe à l’avocat de commencer. Un changement de plus, mais sans importance, étant donné ce que le défenseur avait à dire. D’ailleurs, il n’utilisa même pas les vingt minutes auxquelles il avait droit. En un quart d’heure, sa plaidoirie était bâclée. Le refrain habituel : son client n’avait pas vu le panneau de sens interdit et un léger début de surdité l’avait empêché d’entendre le sifflet des policiers et d’arrêter aussitôt le vélo sur lequel il tentait d’entretenir une santé chancelante. Bien sûr il regrettait le ton sur lequel il avait répondu aux représentants de l’ordre, un vieux reste de sa vie antérieure contre lequel il luttait depuis sa première condamnation pour des faits similaires. D’ailleurs il se rendait régulièrement chez un psychologue et il espérait pouvoir bénéficier de l’indulgence du tribunal.
En moins de cinq minutes, le procureur pulvérisa cette pauvre défense. Le prévenu était un multirécidiviste. Oubliant qu’elle était la même pour tous et qu’on avait, heureusement, changé d’époque, il méprisait systématiquement la loi et ses défenseurs. Les excuses qu’il invoquait n’avaient aucune réalité. Le tribunal en avait la preuve grâce au compte-rendu de l’examen médical qu’il avait subi à son arrivée au poste. La vue et l’ouie de ce délinquant étaient excellentes, mais il n’était pas exclu qu’il ait absorbé des substances illicites dans les vingt-quatre heures précédant les faits. L’accusateur conclut en demandant au tribunal une peine exemplaire pour un prévenu qui ne l’était guère, et, satisfait de ce trait d’esprit, il s’assit. Le juge, fit mine de consulter son dossier, puis il cogna de l’index sur son pupitre, geste qui signalait à la greffière qu’elle aurait à compléter le formulaire 12A. Il vit, avec satisfaction, qu’anticipant sa décision, elle avait déjà disposé devant elle la feuille violette où deux rectangles blancs attendaient un nom et un prénom. Alors il ordonna au prévenu de se lever et, s’étant éclairci la voix, il commença :

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Au nom du Peuple Français
Attendu que le prévenu a contrevenu gravement aux règles élémentaires du code de la route, agissement de nature à mettre en danger la vie d’autrui
Attendu qu’il a refusé d’obtempérer au signal d’arrêt des forces de l’ordre ce qui constitue un délit de fuite
Attendu que, pour le rattraper, le brigadier Jérôme Poitevin a été contraint de lui barrer la route à l’aide de son véhicule de service et qu’il n’a évité que par miracle un choc qui aurait pu avoir sur la vie de ce policier les plus graves conséquences
Attendu que ces faits ont été commis en état de récidive
Condamne Nicolas S. (1) a une peine de neuf ans de prison  non assortie du sursis ainsi qu’à une amende de soixante-dix sept mille écus.
Dit qu’il devra payer à Jérôme Poitevin, brigadier de Police au Commissariat de la rue Colonel Argoud à Paris XV°, la somme de seize mille huit cents écus à titre de dommages et intérêts.
Déclare en outre que le prévenu étant d’origine étrangère, la récidive entraîne sa déchéance de la nationalité française et la privation des droits y afférents. Ordonne en conséquence qu’après l’exécution de sa peine, il sera conduit à la frontière de son choix. Cette peine comporte l’interdiction définitive du territoire de l’Etat Français.
Là-dessus, sans jeter un regard au condamné que deux gardes entraînaient hors du prétoire, le Président se leva, consulta sa montre et, constatant qu’il arriverait à temps chez le député pour ne rien manquer du souper, il eut un soupir de satisfaction. Dans son cadre, d’où elle veillait sur la salle d’audience, la photo de la Présidente affichait le même sourire.

Chambolle

(1) Peine qui, comme chacun sait, correspond à des actes gravissimes, mettant en cause la sécurité nationale et l’intégrité du territoire (vol de scooter, grivèlerie, injure à agent en état d’ébriété…)
(2) Nous n’avons pas cru devoir livrer à la publicité le nom de la famille S. dont plusieurs membres (bien que d’origine étrangère) sont, pour l’instant, honorablement connus


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